Sur la colline de Groom, à Greenwich, un quartier de Londres, résidait M. H…d, un gentleman d’une grande respectabilité aux capacités intellectuelles remarquables, un érudit qui aimait à étudier la littérature, la religion et la science. M. H. était en affaire avec la Lloyd, une banque réputée, et il partageait sa grande et confortable maison avec sa femme et leurs enfants. Parmi toutes les personnes à son service se trouvait une jeune veuve, Mme Potter, qui était employée comme lingère et femme de chambre. Mme Potter avait un fils nommé Tom, un beau, charmant jeune homme qui se montrait brillant dans tout ce qu’il entreprenait. Il était intelligent, accompli en toutes choses et il pouvait avec autant de talent chanter ou jouer la comédie. Il excellait dans ses études, quand il voulait bien leur accorder son attention, et même s’il se montrait parfois capricieux et entêté, tout le monde l’adorait.
Ce gentil quoique turbulent garçon était hébergé et instruit à l’orphelinat catholique voisin, un établissement qui se trouvait alors sous la direction d’un prêtre, le Dr T. D., dont la réputation n’était plus à faire. Ses qualités de pédagogue, sa gentillesse, sa générosité, son dévouement et ses hauts principes moraux le faisaient aimer de tous ceux qu’il honorait de son amitié. Son cœur était aussi tendre que son esprit était fin et si vous pouviez aisément vous jouer de sa bonne nature, berner son intelligence relevait de l’impossible. Pourtant, malgré toute sa bonne volonté, le Dr T. se trouvait incapable de calmer l’impétueux écolier, qui causait beaucoup de tracas à sa mère. La pauvre femme, qui s’inquiétait de son avenir, parlait souvent de lui avec ses amies et leurs conversations se terminaient toujours de la même manière, par cette question à laquelle personne ne trouvait rien à répondre: » Mais que vais-je faire de Tom? «
Au cours de l’année 1863-1864, alors qu’il avait environ quatorze ans, Tom fut placé dans une très bonne maison de produits séchés à Manchester, mais il apparut rapidement que telle n’était pas sa vocation. Alors, comme il se voyait pas passer toute sa vie à transporter et exposer des marchandises, il décida de suivre ses propres aspirations et s’engagea dans la marine, au grand désespoir de ses proches qui tentèrent de le retenir en vain. Le jeune garçon embarqua à Woolwich, où il passa quelques temps à apprendre les rudiments du métier sur un bateau école, et une fois formé il se retrouva affecté sur l’un des navires de guerre de Sa Majesté. Malheureusement, après un ou deux voyages, il commença à se lasser de la vie en mer et se révolta. Il déserta le navire en compagnie d’autres mauvais garçons, et après quelques aventures désastreuses qui le laissèrent dans un état épouvantable, il retourna voir sa mère, fatigué, affamé et à demi-nu. Tom tomba alors gravement malade et sa mauvaise santé l’obligea à rester quelques temps à Greenwich.
L’évasion de l’intrépide jeune homme n’était pas passée inaperçue, un mandat avait été délivré pour son arrestation et celle de ses compagnons, aussi un jour fut-il arrêté devant la maison de M. et Mme H., et emmené sous les yeux de sa mère. Quand il apprit la nouvelle, le dévoué Dr T., qui avait toujours eu beaucoup d’affection pour Tom Potter, intercéda en sa faveur et à force d’insistance il finit par vaincre la réticence du capitaine, qui consentit à le reprendre. Le garçon aurait du être sévèrement châtié pour avoir ainsi déserté, mais une fois encore son charme le sauva et après un sermon moralisateur il fut envoyé sur une autre frégate, la Doris, qui était rattachée aux Indes.
Quelques mois plus tard Mme Potter, qui était rassurée sur le sort de son fils, se remaria, elle devint alors Mme Cooper et souhaitant se consacrer à son nouveau ménage, elle quitta définitivement le service de M. et Mme H.. Peu de temps après une jeune fille, qui s’appelait Mary et qui n’avait jamais entendu parler de Mme Potter ou de son fils, fut engagée pour la remplacer comme employée de maison. Dans la nuit du 8 septembre 1866, la sonnette de la porte d’entrée de la maison de M. et Mme H. réveilla la femme de chambre, qui s’empressa de répondre à l’appel. Elle ouvrit la porte, et après une brève discussion, elle la referma sans inviter le visiteur à rentrer. Mme H., qui était malade, était allongée dans son lit et de sa chambre elle entendit les voix qui s’élevaient depuis le hall entrée. Écoutant attentivement elle reconnut formellement la voix de Tom Potter et surprise de cette visite, elle appela immédiatement sa servante.
– Mary, qui était à la porte?
– Oh Madame, c’était un jeune marin qui voulait voir sa mère. Je lui ai dit que je ne savais rien à son sujet et je l’ai renvoyé à ses affaire.
Mme H., que l’angoisse avait maintenant complétement réveillée, demanda alors à quoi ressemblait le garçon, et la jeune femme le décrivit ainsi: » Eh bien, Madame, c’était un beau garçon en habits de marin et ses pieds étaient nus. Je le reconnaitrais si je le rencontrais à nouveau. Il était très pâle et semblait en grande détresse. Quand je lui ai dit que sa mère n’était pas là, il a mis sa main sur son front et s’est écrié Oh! Mais que vais-je faire? «
Mme H. courut alors dans la chambre de son mari pour le prévenir qu’un jeune homme s’était présenté à leur porte et qu’elle avait la certitude qu’il s’agissait de Tom Potter, lequel s’était probablement enfui de son navire une fois encore. Inquiets, ils décidèrent d’envoyer un de leurs domestiques se renseigner auprès de leur ancienne femme de chambre, mais la malheureuse ne savait ni lire ni écrire et elle n’avait pas eu de nouvelles de son fils depuis des mois. Avertis de ce fait, M. et Mme H. en conclurent que le jeune homme avait du se perdre en cherchant sa mère, qui avait changé de nom et d’adresse, et ils s’en voulurent terriblement de l’avoir ainsi chassé de chez eux. Dans leur détresse, ils eurent alors l’idée d’aller demander conseil au Dr T., mais sa réponse ne fit qu’aggraver leur confusion: » Il est pratiquement impossible que Tom Potter ait déserté son bateau. J’ai reçu une lettre du garçon il y a deux mois de cela, et il semblait prendre son travail très au sérieux. «
Le Dr T., qui voulait en avoir le cœur net, demanda à rencontrer la servante afin de l’interroger et ayant obtenu l’accord de M. et Mme H., il envoya quelqu’un pour la faire chercher. Il conservait dans un placard les photographies d’un grand nombre de ses élèves, dont un portrait de Tom Potter, et en posant un certain nombre devant elle, il lui demanda si elle reconnaissait le garçon qu’elle avait vu. Tentant de l’induire en erreur, il attira son attention sur le portrait d’un autre jeune homme, lui demandant avec une innocence feinte: » Pensez-vous que ce puisse être ce garçon? Il serait tout à fait capable de s’enfuir de son navire. » » Non, lui répondit-elle avec assurance, ce n’est pas celui que j’ai vu. » Son regard balaya rapidement les photographies étalées sur la table et remarquant celle de Tom Potter elle la pointa immédiatement du doigt, s’écriant vivement: » Je pourrais jurer de lui! «
L’histoire était des plus intrigante mais comme personne ne savait quoi faire de plus, alors il fut décidé d’attendre la suite des événements. Le mois suivant, en octobre, l’Amirauté, qui ne connaissait pas l’adresse de la mère de Tom Potter, prit la liberté de contacter le Dr T. pour lui faire part d’une bien triste nouvelle. Le 24 juillet 1866, alors que sa frégate baignait dans les eaux de la Jamaïque, le jeune homme avait été victime d’un terrible accident, tombant de la tête de mât et se blessant grièvement. Il était resté plusieurs semaines entre la vie et la mort, appelant désespérément sa mère, et le 6 septembre, deux jours avant qu’il ne soit remarqué à la porte de la maison de M. et Mme H., il avait rendu son dernier soupir.
Ainsi le mystère fut-il résolu. Tom Potter avait abandonné sa mère devant la porte de la maison de M. et Mme H., et comme il ignorait tout de sa nouvelle situation, son esprit tourmenté était retourné à l’endroit où il l’avait laissée.
M. Newton Crosland, qui rapporta l’histoire dans son livre Apparitions An Essay Explanatory of Old Facts and a New Theory, affirmait avoir soigneusement vérifié tous les faits et les présentait comme incontestables.
Source: The Spiritual Magazine.