Je m’appelle Oïa, et dans quelques jours j’aurais 21 ans. Pas que mon âge ait une quelconque importance, mais symboliquement je commence à réaliser que j’ai fini par accepter ce qui m’était arrivé. Je vais avoir 21 ans et ce soir, en découvrant le site, je me dis que je peux enfin confier mon expérience l’esprit tranquille. Je vais avoir 21 ans, et je vais bien.
Il y a bientôt 7 ans, peut-être plus, j’ai commencé à voir « des gens qui n’existent pas ». J’étais alors une adolescente et ce genre de visions étaient bien loin de m’aider à m’intégrer. Elles m’angoissaient. C’est terrifiant de se réveiller de manière fugace, une nuit, le temps de se retourner dans ses couvertures et de tomber nez à nez avec une femme qui vous fixe d’un regard intense avant de disparaître subitement. C’est terrifiant d’entendre un rire et de constater qu’il n’y a personne, qu’il ne PEUT y avoir personne. Aussi, à 14 ans, j’ai vite commencé à croire que j’étais atteinte de troubles psychiatriques. Peut-être que mon histoire serait allée beaucoup plus vite si j’avais décidé d’en parler à un professionnel à cette période, mais ce que l’on peut trouver sur internet au sujet de la schizophrénie et des troubles de la personnalité m’effrayait encore bien plus que ce que je pouvais voir ou entendre. Aussi, pendant deux ans, j’ai été le témoin silencieux de beaucoup, beaucoup, d’apparitions ; chez moi comme chez d’autres.
Je suis, par exemple, persuadée que l’esprit d’une petite fille habite chez mes parents. La première fois que je l’ai rencontrée, elle était venue toquer à la porte de ma chambre en pleine nuit. Je me souviens m’être réveillée et, après avoir ouvert la porte, l’avoir entraperçue en train de filer vers les escaliers. Elle s’est retournée, le sourire aux lèvres et l’air joyeuse, avant de filer dans les escaliers en riant et d’y disparaître. J’aurai été bien incapable de vous décrire les traits de son visage… Je savais qu’elle avait les cheveux bruns, qu’elle mesurait environ 1m40, et qu’elle était habillée d’une robe blanc-cassé en tissu épais. Mais son visage m’était comme inaccessible. Je crois que c’est une petite fille joueuse, il arrive régulièrement que je l’entende rire, ou courir dans la maison. Parfois je l’entends s’adresser au chien de la famille. D’autres fois je sens quelque chose me tapoter le creux du dos, mais quand je me retourne il n’y a personne.
Pendant toutes ces années je ne pense pas avoir rencontré une seule entité malveillante. La plupart cohabitaient avec leur(s) hôte(s) sans poser le moindre problème, certaines étaient même vraiment bienveillantes, et les dis-hôtes ne se rendaient pas compte de leur présence (la plupart du temps !). Tout au plus ai-je rencontré des esprits qui étaient profondément perdus et effrayés, dans des lieux publics plus que dans des habitations, pour lesquels j’éprouvais une incroyable empathie. Par ailleurs, je n’ai jamais pu avoir de conversation avec l’un d’entre eux : c’est comme si ce que je disais ne les atteignait pas. La communication se faisait autrement, sans que je ne puisse vraiment expliquer comment, comme si nos émotions pouvaient être partagées par la pensée. J’ai l’impression que les enfants sont particulièrement réceptifs à de telles manifestations, mais peut-être oublient-ils avec l’âge… Je suis persuadée que les animaux les perçoivent eux aussi.
A 16 ans, j’ai quitté le domicile familial pour intégrer un internat. Mes « visions » s’étaient beaucoup estompées l’année précédente, et je les avais mises sur le compte d’une possible dépression-juvénile. Ma vie était alors parfaitement heureuse. Alors, quand j’ai recommencé à voir « ceux que personne ne voyait », j’en ai parlé à mes parents et ai suivi une thérapie auprès d’un psychiatre. Il en est résulté que je ne pouvais pas être schizophrène. L’IRM n’a rien révélé, les médicaments (des antipsychotiques) n’ont fait qu’aggraver le problème en me plongeant dans un état de torpeur continu et j’ai finalement arrêté cette mascarade au bout d’une année.
Dans quelques jours j’aurai 21 ans et j’ai fini par accepter que ce qui m’arrivait ne recevrait aucune explication. J’ai le sentiment que mes « visions » se sont émoussées, mais elles sont encore bien présentes. Je vais avoir 21 ans et je n’ai plus peur de ce que je vois, je peux même en contrôler l’impact dans une certaine mesure (et faire disparaître une manifestation qui interviendrait à un très mauvais moment) ou au contraire exacerber mon ressenti quand je sens une présence. Je vais avoir 21 ans et je vis une vie épanouie et parfaitement normale, quand bien même il m’arrive de voir « des gens qui ne sont pas là ». Aujourd’hui j’ai 21 ans et je suis capable de parler de mon expérience à des gens, et de constater que je ne suis pas la seule à vivre ou à avoir vécu des événements incompréhensibles.
Mon seul regret est de ne pas comprendre l’origine de ce que j’ai. Si c’est un don alors je ne sais pas comment l’utiliser, je ne sais pas comment aider les gens avec ce que je vois, et je ne sais pas si j’en aurais le courage. Je ne suis pas réellement croyante, je suis agnostique, mais je me dis que si l’on m’a donné cette capacité c’est que tôt ou tard elle servira à quelqu’un. Je ne suis pas encore parfaitement sûre de la véracité de ce que j’ai vu, et je crois que je me demanderais toujours un peu si mon esprit ne débloque pas, et s’il ne vaudrait pas mieux pour moi que je consulte un spécialiste.
J’aurais toujours un doute mais, aujourd’hui, à presque 21 ans ; je viens d’apprendre que mes parents habitent en réalité un ancien pensionnat pour jeunes filles.
Oïa.
(Photo fournie par l’auteur)
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