» Sur l’ile de la Jamaïque il y a très longtemps de cela
A la plantation de Rose Hall, où soufflent les brises de l’océan
Vivait une fille appelée Annie Palmer, la maitresse de la place
Et les esclaves vivaient tous dans la crainte de voir un froncement de sourcils sur le visage d’Annie
Où est ton mari Annie, le un, le deux et le trois
Dorment-ils sous les palmiers au bord de la mer des Caraïbes
La nuit, je t’entends chevaucher et j’entends tes amants appeler
Et je peux toujours sentir ta présence près de la grande maison de Rose Hall. «
Johnny Cash – The Ballad Of Annie Palmer (La Ballade d’Annie Palmer)
Parfois, la réalité se mêle à la fiction, créant une nouvelle histoire dont personne ne peut garantir la véracité. Telle est la légende de Rose Hall et celle de sa terrible propriétaire, Annie Palmer.
L’Histoire de Rose Hall
Le 16 juillet 1746, Henry Fanning épousa Rosa, une ravissante irlandaise de 24 ans, la fille du révérend John Kelly et de sa femme Mary, qui vivaient à St. Elizabeth. Peu avant leur mariage, le jeune homme avait acheté une grande propriété surplombant la mer à Saint-James afin d’y faire bâtir une maison pour sa bien-aimée, mais quelques mois plus tard il décéda brusquement, laissant tous ses biens à Rosa. En 1750, la jeune veuve, qui était toujours aussi charmante, se remaria avec George Ash, un propriétaire foncier de Saint-James, qui dépensa 30 000£ pour faire construire une grande demeure aux portes, aux planchers et aux escaliers d’acajou richement sculptés, sur la propriété dont avait hérité sa femme. Il baptisa la maison Rose Hall, en l’honneur de Rosa, mais peu de temps après, George tomba malade et mourut, laissant la jeune femme seule avec ses souvenirs. En 1753, Rosa, qui vivait mal sa solitude, épousa Norwood Witter sur un coup de tête, mais son mari semblant plus s’intéresser à sa fortune qu’à sa personne, ce mariage ne fut pas des plus heureux. Après la mort de Nordwood, en juin 1765, Rosa hérita de son argent et de toutes ses possessions, mis à part une petite somme dont bénéficièrent William et John, les deux fils qu’il avait eu d’une précédente union, afin, signifiait le testament, qu’ils s’achètent une bague de deuil.
Le sort semblant s’acharner sur elle, son père et John Boyd, son meilleur ami, disparurent l’année suivante. Dans ses dernières volontés, John lui demandait de devenir la tutrice de sa fille, Rosa Kelly Boyd, et Rosa se retrouvant seule une fois de plus, elle accepta. En 1767, elle connut enfin le bonheur en épousant John Palmer, l’un de ses voisins qui possédait la propriété de Palmyre, un veuf dont les deux fils, John et James, habitaient en Angleterre. Elle ne vivait pas une grande passion romanesque, mais un amour profond, qui lui apporta la paix. Dans son testament, daté de 1777, Rosa écrivit: » En parfaite santé, d’esprit et de mémoire, puisse Dieu être remercié pour cela, je donne et lègue tout le reliquat de ma succession réelle et personnelle à mon mari bien-aimé John Palmer, qui est le plus méritant de ceux-ci. » Elle s’éteignit en 1790, laissant tous ses biens à son mari, comme elle l’avait indiqué. En hommage à sa femme, John commanda un mémorial, qui se trouve toujours dans l’église Saint-James, au célèbre artiste John Bacon.
En 1797, John se remaria pour la troisième fois à une jeune fille de 20 ans originaire de Trelawney, Rebecca Ann James et il perdit la vie la même année. Selon ses dernières volontés, Rose Hall et de Palmyre furent placées en fiducie pour ses deux fils et pour leurs héritiers mais malheureusement John et James s’éteignirent sans jamais avoir visité la Jamaïque. Comme ils n’avaient pas d’enfant, en 1818, les deux propriétés revinrent alors au petit-neveu de John Palmer, John Rose Palmer.
La Légende d’Annie Palmer
Peu de temps après, John Palmer déménagea à la Jamaïque et après avoir rénové les deux propriétés dont il avait hérité, il s’installa à Rose Hall. Deux ans plus tard, il épousa Annie Mary Paterson, qui était alors âgée de 17 ans, une toute petite femme, elle mesurait 1m45, d’une grande beauté. Les origines d’Annie restent confuses. Selon certains elle était née en Angleterre vers 1802, d’une mère anglaise et d’un père irlandais, mais selon d’autres elle était d’origine française. Quoi qu’il en soit, à l’âge de 10 ans, Annie avait suivi ses parents, qui étaient marchands, en Haïti mais ils avaient succombé à la fièvre jaune, la laissant orpheline. La fillette avait alors été recueillie par sa nurse, une prêtresse vaudou haïtienne qui lui avait enseigné la sinistre sorcellerie de sa religion.
Le 28 mars 1820, Annie s’installa à Rose Hall, mais malheureusement, elle se lassa rapidement de son mari et commença à prendre des amants pour se distraire, qu’elle choisissait parmi les esclaves de la plantation. Les serviteurs de la maison, témoins de son inqualifiable conduite, se montraient résolument hostiles et d’horribles rumeurs commencèrent à courir, tant sur son comportement que sur la sombre magie qu’elle tenait de sa nurse. Quelques mois après son arrivée, une terrible dispute éclata entre les deux époux, qui fut si violente que tout le personnel aurait pu en témoigner. Alors qu’ils se querellaient, un valet de chambre indiscret entendit John reprocher à sa femme d’avoir eu une aventure avec un jeune esclave. Leurs cris résonnèrent dans la maison pendant un long moment, puis d’une voix blanche, John signifia à Annie que leur mariage était terminé et qu’elle devait se préparer à quitter Rose Hall au petit matin. Le lendemain, à la surprise de tous, la jeune femme se présenta au salon et prit son petit déjeuner comme à son habitude, expliquant que son mari était malade et qu’il avait demandé à rester seul. Au cours de l’après-midi, une servante se rendit dans la chambre de son maitre et elle découvrit son corps déjà froid allongé sur son lit. Tous les serviteurs qui avaient été témoins de la querelle de la veille pensèrent que sa femme l’avait assassiné en empoisonnant son café, mais le médecin qui examina le corps déclara qu’il avait été intoxiqué par les fruits de mer qu’il avait mangé la veille, ce qui ne convainquit personne. Si elle ne l’avait pas empoisonnée, alors elle s’était probablement servi de sa magie vaudou pour le tuer.
Au cours des jours qui suivirent, des rumeurs coururent parmi les esclaves que l’un d’eux avait vu Annie commettre l’irréparable. Puis l’histoire se précisa et bientôt il se murmura que le soir du meurtre, un certain esclave avait assommé John alors qu’il gisait agonisant sur son lit et que le poison faisait son effet. Quand Annie ordonna la mort de cet homme, sous un prétexte frivole, alors tous furent persuadés que l’histoire était vraie. Cependant, comme elle avait fait tuer le seul témoin de son crime, personne ne put l’accuser.
Dans son testament, John Palmer léguait tous ses biens à sa femme, y compris Rose Hall, son immense plantation de cannes à sucre et ses 2000 esclaves, et cet héritage fit d’Annie une femme riche. Elle fréquentait la haute société, elle y avait de nombreux amis, dont aucun ne soupçonnait, bien évidemment, qu’elle ait pu assassiner son mari. Si ses serviteurs devaient composer avec sa tyrannie et ses caprices, elle terrifiait ses esclaves, se montrant envers eux d’une rare cruauté. Chaque matin, ils devaient se rassembler dans la cour puis Annie apparaissait sur son balcon, leur dictant ses ordres. Si ses directives n’étaient pas suivies comme elle l’entendait, alors la jeune femme châtiait cruellement ceux qui l’avaient offensée, les faisant publiquement fouetter avec une verge de bois jusqu’à ce que leur dos soit en sang. Pour capturer ceux qui tentaient de s’enfuir, elle faisait poser des pièges à ours puis les captifs étaient jetés dans des cachots profonds de cinq mètres qu’elle avait fait aménager dans le donjon et elle les laissaient mourir, les privant d’eau et de nourriture.
Parfois, elle se promenait à cheval sur la propriété, frappant de sa cravache tous les esclaves qu’elle rencontrait, sans raison aucune. La jeune femme était également réputée pour son goût pour les hommes, et certains disaient que lorsqu’elle prenait un amant, alors ses jours étaient comptés. Pour une obscure raison, ou tout simplement par caprice, elle les tuait dès qu’elle s’en lassait, les faisant enterrer dans des tombes anonymes.
Durant cette période, Annie développa un nouvel intérêt pour le vaudou. Certains de ses esclaves, qui versaient dans les arts occultes, lui transmettaient leurs connaissances car il était connu qu’elle s’en montrait parfois reconnaissante, épargnant les plus coopératifs. La légende raconte que lors de ses rituels de magie noire elle tuait des nourrissons, se servant de leurs os pour quelque sombre usage. Elle parvint ainsi à acquérir une puissance extrême, terrifiant ses esclaves et tenant à distance les importuns, et cette sulfureuse réputation lui valut son surnom, » La Sorcière Blanche de la Jamaïque. «
La jeune veuve, qui était attrayante, avait de nombreux prétendants, ce qui la conduisit à se marier à trois reprises mais tous ses maris finirent de la même manière… ou presque. Si le premier avait péri empoisonné, le second trouva la mort sous la lame d’un poignard. L’examen de son corps révéla que pour une raison inconnue, de l’huile bouillante avait été versée dans ses oreilles. Quand au troisième, il fut étranglé, tout simplement.
Cependant, la fin du règne de la terreur approchait. En 1831, jalouse de l’intérêt que l’un de ses amants anglais, l’écrivain Robert Rutherford, avait montré pour Millicent, la petite-fille de Takoo, un esclave affranchi, Annie jeta un sort à la jeune fille, qui commença alors à dépérir et mourut dans les neuf jours. Il existe de nombreuses versions de cette première partie de l’histoire, mais elles se terminent toutes de la même façon. Le vieillard pénétra alors dans la maison, furieux, et un terrible combat s’en suivit, où chacun fit preuve de l’étendue de ses pouvoirs. A l’issu de cette lutte, décrite comme épique, Annie perdit la vie, emportant avec elle celle du vieil homme. Le corps de la maitresse de Rose Hall fut alors placé sur son lit, puis des esclaves préparèrent sa tombe suivant un certain rituel destiné à l’empêcher de se relever d’entre les morts. Malheureusement, Annie était probablement trop puissante pour être ainsi enchainée, car la cérémonie échoua et peu de temps après, des manifestations étranges étaient signalées dans la maison.
Selon un autre conte, plus fantastique encore, Annie aurait été victime de Baron Samedi (une sorte de démon Vaudou), qui aurait pris sa vie après qu’elle l’ait invoqué pour lui proposer une relation charnelle. Ce soir-là, quand ils entendirent leur maitresse crier, les esclaves se précipitèrent dans la maison mais en arrivant devant sa chambre, ils trouvèrent la porte fermée de l’intérieur. L’un d’entre eux regarda alors par le trou de la serrure mais apercevant Baron Samedi à l’intérieur de la pièce, il fut brusquement frappé d’aveuglement. Alors Annie cria une nouvelle fois, puis brusquement, le silence retomba sur la grande demeure.
Les esclaves décidèrent alors de casser la porte, et ils découvrirent le corps d’Annie. Tout autour d’elle, les murs étaient couverts de symboles ésotériques qu’elle avait tracés avec son propre sang afin d’invoquer son dangereux amant, et près de son lit, se trouvaient trois empreintes sanglantes, les mêmes qui avaient été observées près du lit de son premier mari la nuit de sa mort. Un prêtre fut alors appelé, qui enquêta sur toute l’affaire, mais ne put trouver d’autre cause à sa mort. Annie était bien morte étranglée par les mains de Baron Samedi.
Rose Hall, qui était autrefois un haut lieu de la vie sociale de l’ile, avait été partiellement détruite lors d’une révolte d’esclaves en 1831, et certains racontaient qu’Annie avait été assassinée lors de cet événement, étranglée par l’un des insurgés, probablement l’un de ses amants. En 1940, la maison était pratiquement abandonnée depuis plus d’un siècle. Sa réputation était telle que personne ne s’aventurait à y rentrer, même pour la piller. Le vent s’engouffrait par ses fenêtres brisées et le toit vermoulu laissait passer la pluie, qui détériorait les murs, les planchers, et les vieux meubles qui s’y trouvaient encore. Si tout le monde fuyait la grande bâtisse, des ouvriers continuaient à travailler sur la plantation. Sur un promontoire isolé surplombant la mer se trouvaient trois palmiers centenaires. Selon certains employés, Annie avait enterré là ses trois maris, plantant un palmier sur chacune de leurs tombes. Ces arbres ne fleurissent qu’une fois tous les cent ans et ce fut le cas cette année-là. Comme personne ne les avait jamais vus ainsi, cet événement causa un grand émoi parmi les travailleurs de la plantation qui pensèrent que les grands bouquets de fleurs blanches étaient d’origine surnaturelle. Alors, durant toute la floraison, ils évitèrent soigneusement de passer près des arbres.
En 1966, John Rollins tomba sous le charme de Rose Hall et après s’en être porté acquéreur, il commença à restaurer la maison, faisant refaire ses planchers d’acajou, ses fenêtres intérieures, ses portes, ses lambris et ses plafonds de bois. Malheureusement, la plupart des meubles étaient irrécupérables et seuls quelques tableaux et un vieux miroir purent être sauvés de la ruine. Il fit poser sur les murs du papier peint en soie orné de palmiers et d’oiseaux, accrocha des lustres anciens au plafond, et redécora la maison avec de vieux meubles. Le tout dans le plus grand respect de l’esprit de l’époque. Cette entreprise lui couta 2 millions de dollars, mais le résultat était somptueux.
L’histoire de la Sorcière Blanche a été reprise dans de nombreux romans, en particulier The White Witch of Rose Hall, écrit en 1929 par Herbert De Lisser, qui proposait une version romancée de la vie d’Annie Palmer, mais pour certains, son destin aurait été tout autre. Ainsi, selon leurs informations, la jeune femme, qui était d’origine écossaise, aurait bien épousé John Palmer, un homme endetté comme l’étaient tous les planteurs à l’époque, mais ils auraient vécu une vie des plus banales jusqu’à la mort de John, à l’âge de 42 ans. Jamais elle ne se serait jamais remariée. Elle se serait éteinte en 1846, à Bonavista, et aurait été enterrée le 9 juillet dans la cour de l’église de Montego Bay par le révérend T. Garrett. Mais étrangement, dans le petit cimetière rattaché à l’église, aucune pierre tombale n’est marquée de son nom.
La Hantise
Si l’histoire d’Annie Palmer est sujette à caution, son esprit hanterait toujours la propriété et elle n’aurait rien perdu de ses anciens pouvoirs. Au début du 20e siècle, une famille aurait voulu s’installer à Rose Hall mais elle n’y serait pas restée très longtemps. Peu de temps après leur installation, leur femme de chambre nettoyait une pièce au premier étage quand brusquement, elle se retrouva projetée par-dessus le balcon. Cette chute lui fut fatale. Par un étrange hasard, ce balcon était celui dont se servait Annie pour donner ses ordres aux esclaves et assister à leurs châtiments.
En 1952, la célèbre médium américaine Eileen Garret visita Rose Hall à quatre reprises, cherchant à rentrer en contact avec Annie, et un jour, elle réussit. Lors d’une séance de spiritisme, un témoin rapporta qu’Annie avait parlé à travers le corps d’Eileen, faisant cette terrible promesse: » Ne laisse personne penser que je suis finie. Mes cris continueront à se faire entendre et ceux qui cherchent à hériter de Rose Hall verront une malédiction s’abattre sur eux. » Cette déclaration calma les ardeur d’Eileen, qui affirma que le fantôme d’Annie Palmer ne pouvait pas être chassé de la demeure et qu’il ne devait plus être dérangé.
Vers la fin des années 1960, alors que des ouvriers rénovaient Rose Hall, ils rapportèrent que parfois, leurs outils disparaissaient inexplicablement, réapparaissant en des lieux inaccessibles, que des voix les appelaient par les noms, et qu’ils entendaient la musique d’une ancienne mélodie, qui semblait venir de nulle part. Alors, quand des tâches de sang apparurent sur le plancher qu’ils venaient de poser dans les chambres du premier étage, certains refusèrent de continuer à travailler dans la maison et des personnes extérieures à l’ile durent être appelées à la rescousse.
En 1978, un groupe de médiums se rendit à Rose Hall afin de contacter l’esprit de la terrible sorcière, et 8000 curieux se précipitèrent à leur suite, espérant assister à quelque phénomène. Ce jour-là, Annie semblait en de meilleurs dispositions car une médium affirma que son fantôme lui avait donné des indications, qui les conduisirent jusqu’à un gros nid de termites, derrière la maison. Là, ils découvrirent un ancien vase de laiton qui contenait une poupée vaudou, de celles utilisées lors des cérémonies. Pensant qu’ils parviendraient par ce moyen à apporter la paix à Rose Hall, les médiums détruisirent le vase et son contenu, puis tout le monde quitta la propriété. Malheureusement, la méthode n’aurait pas été efficace car au cours des années qui suivirent, de nombreuses manifestions paranormales continuèrent à être rapportées.
De nos jours, Rose Hall appartient à la chaine des Hilton Hotels, qui fait la fait visiter, et elle serait toujours le théâtre de multiples phénomènes. Parfois, des cris déchireraient le silence, les portes et les fenêtres se fermeraient toutes seules, des coups retentiraient dans les murs, des bruits de pas résonneraient dans l’escalier principal, des pleurs de bébés se feraient entendre, les voix profondes des victimes d’Annie chuchoteraient dans les donjons, une vieille musique s’élèverait du néant, les robinets du bar s’ouvriraient et se fermeraient, et les petites silhouettes fantomatiques d’un homme et d’une femme déambuleraient dans la maison.
Une activité paranormale particulière aurait été remarquée autour de l’ancien miroir retrouvé dans la maison, qui se trouve actuellement dans l’une des pièces du rez-de-chaussée. Des visiteurs auraient aperçus, alors qu’ils regardaient dans le miroir, des esclaves passer silencieusement derrière eux et de nombreuses photographies laisseraient apparaitre les visages de spectres se reflétant dans la glace.
Certaines nuits, Annie se montrerait, vêtue d’une robe de velours vert, et une cravache à la main, elle parcourrait la plantation à cheval, cherchant inlassablement quelque esclave à fouetter.