Vers le milieu du XIXe siècle, le presbytère de Cideville, en Normandie, fut le théâtre des plus incroyables événements. L’affaire fit tant de bruit que ces messieurs de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres discutèrent de son cas, sans jamais parvenir à s’entendre.
Au début du mois de mars 1850, M. Tinel, le curé de Cideville, visitait l’un de ses paroissiens malades quand il rencontra chez lui un certain G… qui était, de l’avis de tous, un guérisseur et un sorcier. Le curé le réprimanda vertement pour ses sombres activités et ne voulant plus le voir dans la maison, il le fit renvoyer. Peu de temps après, l’homme fut arrêté et condamné à une ou deux années de prison, et il en conclut, à tort ou à raison, que le prêtre était responsable de ses problèmes avec la justice. Fou de rage, le sorcier jura de se venger et comme il brûlait de mettre sa menace à exécution, il choisit le berger Thorel, qui était son disciple et son ami, pour accomplir ses sinistres desseins.
Deux enfants étaient élevés au presbytère de Cideville, Gustave Lemonnier, douze ans, et Clément Bunnel, quatorze ans, dont l’éducation était assurée par le père Tinel, qui y prenait un véritable plaisir. Le prêtre leur était sincèrement attaché et ce fut donc à travers eux que le sorcier décida de l’atteindre. Un jour de vente publique, Thorel accosta le jeune Gustave sous un prétexte quelconque, touchant discrètement un morceau de sa chemise lors de la discussion. De l’extérieur, la scène paraissait des plus banales mais quand le garçon retourna au presbytère, aussitôt une bourrasque vint s’abattre sur le bâtiment et des coups, qui étaient pareils à des coups de marteau, commencèrent à résonner dans toutes les parties de la maison, qui parut soudain vouloir s’effondrer. Puis, comme le phénomène ne cessait de s’intensifier, bientôt les coups devinrent si violents qu’à deux kilomètres de distance ils s’entendaient encore. Intrigués par ce vacarme extraordinaire, une grande partie des habitants de Cideville, l’histoire dit qu’ils étaient cent cinquante, se rendirent alors au presbytère, l’encerclant et le fouillant sans pouvoir en découvrir la cause.
Ils cherchaient toujours l’origine des perturbations quand certains, par simple fantaisie, demandèrent à ce qu’un air connu leur soit joué à un endroit précis, et se pliant au bon vouloir des spectateurs, la mystérieuse force se mit à battre la cadence, reproduisant la mélodie à l’endroit indiqué. L’étrange concert se poursuivait toujours quand brusquement les carreaux se brisèrent, projetant des morceaux de verre un peu partout, différents objets s’agitèrent, les tables se promenèrent, se heurtant parfois, les chaises se regroupèrent et restèrent suspendues dans les airs, les chiens furent jetés au plafond, les couteaux, les brosses et les bréviaires s’envolèrent par une fenêtre, revenant par une autre qui lui était opposée, les pelles et les pincette quittèrent le foyer et s’avancèrent toutes seules dans le salon, les fers repasser, qui se trouvaient devant la cheminée, reculèrent, poursuivis par le feu jusqu’au milieu de la pièce, des marteaux s’envolèrent avec force, retombant sur le plancher avec la légèreté d’une plume, tous les ustensiles de toilette quittèrent le chambranle sur lequel ils venaient d’être déposés et instantanément, ils retournèrent s’y ranger, puis d’énormes pupitres s’entrechoquèrent violemment, se brisant instantanément, et l’un d’entre eux, qui était chargé de livres, vola horizontalement vers l’un des témoins, et s’arrêtant juste devant son front, il tomba inexplicablement à ses pieds.
La nuit n’arrêta en rien l’indésirable visiteur qui fit une démonstration de ses talents des jours durant. A une certaine occasion, une dame se sentit tirée par la pointe de sa mante, sans qu’elle ne puisse apercevoir la main invisible qui accomplissait ce geste. Une autre fois, le maire du village reçut un violent coup sur la cuisse qui lui arracha un cri un douleur et aussitôt une caresse bienfaisante vint le consoler, qui lui enleva instantanément toute douleur.
Peu de temps après, un homme qui possédait une propriété à quelques kilomètres de là, vint visiter le presbytère à l’improviste et s’installa dans la chambre des enfants. Il interpela la force invisible, lui demanda de cogner dans tous les coins de la maison puis, tentant d’instaurer un dialogue avec elle, il lui proposa de répondre à ses questions selon un système bien connu des spirites, un coup pour oui, deux pour non, etc… Cela étant convenu, il lui fit deviner son nom, ses prénoms, ceux de ses enfants, son âge, le leur, le nom de sa commune et elle répondit à tout avec une irréprochable exactitude. Un prêtre, un vicaire de St-Roch, M. l’abbé L…, qui se trouvait par hasard de passage à Yvetot, décida de se rendre au presbytère de Cideville afin d’interroger l’étrange force dont il avait entendu parler. A cette occasion, elle lui révéla, par le même système de coups, les prénoms et l’âge de son père et de sa mère, que l’abbé avait oublié, s’il l’avait jamais connu. Il prit note de tout ce qui lui était dit avec la plus grande attention et dès son retour à Paris, il courut à la mairie pour y consulter les registres de l’état-civil, où il découvrit que les révélations qui lui avaient été faites à Cideville étaient en tous points exactes. Par la suite, d’autres curieux vinrent dialoguer la force inconnue et elle leur répondit avec la même justesse, quelles que soient les questions.
Depuis que le berger l’avait touché, Gustave paraissait victime de quelque sortilège. Un poids lui écrasait les épaules en permanence, qui lui comprimait également la poitrine, et il semblait en proie à quelque malaise nerveux. Il se plaignait toujours de voir derrière lui l’ombre d’un homme en blouse, qu’il disait ne pas connaitre, et à une occasion un ecclésiastique crut apercevoir lui-aussi une sorte de » colonne grisâtre ou de vapeur fluidique. » Un jour, le jeune garçon se trouvait près de cheminée quand soudain une main noire en descendit, qui lui donna un soufflet avant de retourner d’où elle était venue. Personne ne vit la main, mais le bruit de la gifle fut entendu par tous, la joue de l’enfant devint rouge et elle le resta longtemps. Alors, dans sa grande naïveté, Gustave, qui espérait voir la main ressortir par le haut de la cheminée, courut à l’extérieur, bien entendu en vain.
Aidé de certains de ses confrères, le curé de Cideville avait tenté de guérir l’enfant par la force de la prière sans y parvenir. Un soir, alors qu’ils cherchaient un moyen de le débarrasser de cette malédiction, l’un des prêtres se souvint avoir lu dans un vieux livre que les esprits redoutaient les pointes de fer. Alors, armés de bouts de métal, les braves ecclésiastiques se mirent à s’escrimer dans le vide, tentant de toucher la force invisible partout où le bruit se faisait entendre. Après s’être livrés à cet exercice pendant quelque temps, un coup parut avoir été porté, qui fit jaillir une flamme verdâtre, suivie d’une fumée tellement épaisse qu’il fallut ouvrir les fenêtres sous peine d’asphyxie. Le procédé semblant donner quelque résultat, les hommes reprirent leurs morceaux de métal et ils recommencèrent à battre l’air, guidés par les bruits qui résonnaient ici ou là suivant le moment.
Soudain, un gémissement se fit entendre, puis des cris inarticulés au milieu desquels les prêtres crurent distinguer le mot pardon.
» Pardon! s’écrièrent les ecclésiastiques, nous te pardonnerons et nous prierons Dieu qu’il te pardonne aussi, mais à la condition que tu viennes toi-même demander pardon à cet enfant.
– Nous pardonneras-tu à tous?
– Vous êtes donc plusieurs?
– Nous sommes cinq, y compris le berger.
– Nous pardonnerons à tous. «
Alors brusquement, les bruits s’arrêtèrent et le silence retomba sur le presbytère.
Le lendemain, dans l’après-midi, quelqu’un frappa à la porte et l’ouvrit sans attendre. Thorel se présenta alors, l’air humble et visiblement embarrassé, qui cherchait à cacher sous son chapeau les écorchures saignantes qui recouvraient son visage. En l’apercevant, Gustave s’écria: » Voilà l’homme qui me poursuit depuis quinze jours! «
» Que voulez-vous, Thorel? lui demanda alors M. le curé.
– Je viens… Je viens de la part de mon maître chercher le petit orgue que vous avez ici.
– Non, Thorel, non, on n’a pas pu vous donner cet ordre là. Encore une fois, ce n’est pas pour cela que vous venez ici. Que voulez-vous? Mais auparavant, d’où vous viennent ces blessures, qui donc vous les a faites?
– Cela ne vous regarde pas, je ne veux pas le dire.
– Dites donc ce que vous voulez faire. Soyez franc, dites que vous venez demander pardon à cet enfant. Faites-le donc et mettez-vous à genoux.
-Eh bien, pardon! » dit alors Thorel en s’agenouillant. Puis se trainant sur le sol, il réussit à attraper Gustave par sa blouse et brusquement, les souffrances de l’enfant et les bruits mystérieux redoublèrent d’intensité.
Craignant quelque subterfuge le père Tinel demanda alors au berger de l’accompagner jusqu’à la mairie mais une fois sur place sans que personne ne lui dise rien, l’homme tomba trois fois à genoux et demanda encore pardon. Surpris, le curé lui dit alors: » De quoi me demandez-vous pardon? Expliquez-vous. » Thorel continua à s’excuser sans répondre à la question puis se trainant sur ses genoux il s’approcha du prêtre, cherchant à le toucher comme il l’avait fait avec l’enfant. » Ne me touchez pas! s’écria le père Tinel. Au non du ciel, ne me touchez pas ou je vous frappe! «
Ignorant ses menaces Thorel continua à avancer vers le curé, jusqu’à ce que ce dernier, acculé dans l’angle de la pièce où il s’était réfugié et visiblement terrifié, se voit obligé de lui asséner trois coups de canne sur le bras pour le faire reculer. D’une surprenante manière, ce geste lui valut un procès, qui se déroula au palais de justice d’Yerville. Là, plus de vingt personnes vinrent décrire les phénomènes observés au presbytère, et le juge de paix, après avoir entendus leurs témoignages, rendit son jugement. Le 4 février 1851, le berger Thorel fut débouté de sa demande, il réclamait 1200 francs de dommages et intérêts pour les coups de canne, et condamné à tous les dépens. Il dut donc payer les frais liés aux instances, aux actes et aux diverses procédures d’exécution.
Telle fut la fin juridique de cette singulière histoire. Cependant, ce jugement n’arrêta en rien les esprits, qui continuèrent à se manifester tous les jours, et sans interruption. Alors, comme rien ne semblait pouvoir faire cesser le phénomène, le 15 février 1851, Mgr l’archevêque de Rouen ordonna que Gustave et Clément soient éloignés du presbytère de Cideville et confiés à un ecclésiastique rouennais qui devrait se charger de leur éducation. Les phénomènes cessèrent avec leur départ et il devint alors évident que sorcier s’était vengé de la pire des manières, en enlevant au malheureux père Tinel les deux enfants qu’il aimait tant.
Source: Magie magnétique ou Traité historique et pratique de fascinations, miroirs cabalistiques, apports, suspensions, pactes, talismans de Louis Alphonse Cahagnet.