La Hantise du Révérend Phelps

Le Manoir du Révérend Phelps

En février 1848, le révérend Eliakim Phelps, qui venait de quitter ses fonctions de pasteur à Philadelphie, s’installa avec sa famille dans un grand manoir de trois étages situé au 138 Elm Street à Stratford, dans le Connecticut. Il avait acheté la maison à un ancien capitaine de la marine, M. George R. Dowell, qui l’avait faite construire en 1828 et l’avait mise en vente en partant à la retraite. Sa femme en avait dessiné les plans et pour lui être agréable elle avait imagé un bâtiment qui ressemblait à son bateau. L’entrée principale, qui était surplombée d’un fronton soutenu par quatre colonnes massives, était des plus classiques mais le couloir central rappelait le pont principal du navire et deux escaliers jumeaux menaient à l’étage, qui étaient semblables à ceux qu’il empruntait pour monter sur le pont supérieur. Le manoir, qui était desservi par six grandes cheminées et décoré de lambris finement ciselé et de bas-reliefs en plâtre moulé était, de l’avis de tous, une illustration exquise du style néo-grec.

Âgé de cinquante-neuf ans, le révérend Phelps s’était retrouvé veuf quelques années auparavant et ses enfants ayant grandi il avait épousé Sarah Nicholson, une veuve beaucoup plus jeune que lui qui avait déjà trois enfants d’un premier mariage, Anna, seize ans, Henry, onze ans, qui ne s’était toujours pas remis de la mort de son père, et une petite fille de six ans. Ensemble, ils avaient eu un garçon qui était âgé de trois ans au moment de leur déménagement. En apparence, leur vie était des plus heureuses, mais si Mme Phelps tentait de masquer ses sentiments et fréquentait la haute société de la ville comme elle se devait de le faire, elle n’aimait pas Stratford et encore moins ses habitants. De nature délicate, elle se plaignait sans cesse d’être fatiguée et bouleversée et sa fille, Anna, souffrait des mêmes malheureuses dispositions que sa mère.

En 1850, le spiritisme n’était pas encore à la mode dans les salons de la bourgeoisie mais le révérend Phelps était depuis longtemps fasciné par les mystères de l’occulte et ses penchants étaient bien connus des cercles religieux, qui le considéraient comme excentrique. Il s’intéressait plus particulièrement au mesmérisme, au spiritisme et à la voyance, et il consacrait de nombreuses heures à ses passions, lisant différents ouvrages, effectuant des recherches ou tentant d’hypnotiser les membres de sa famille. Le 4 mars, un vieil ami du révérend vint lui rendre visite, et après avoir discuté du monde des esprits pendant un certain temps les deux hommes décidèrent, par caprice, de se livrer à une séance de spiritisme. Malheureusement, le résultat de l’expérience ne fut pas à la hauteur de leurs espérances et si quelques coups résonnèrent en réponse à leurs questions, l’affaire fut vite oubliée.

Le dimanche 10 mars au matin, M. Phelps, sa femme et leurs quatre enfants se rendirent à l’église pour assister à l’office, laissant la maison vide. Ce jour-là, la bonne était de congé aussi le révérend vérifia-t-il consciencieusement que toutes les portes et les fenêtres étaient bien fermées avant de glisser les clefs, dont il ne possédait qu’un seul jeu, dans sa poche. Une fois la messe terminée ils reprirent le chemin du manoir et ils longeaient le trottoir quand s’approchant de la maison ils remarquèrent avec effroi qu’un voile de crêpe noir drapait maintenant le lourd panneau de bois de la porte, qui était grande ouverte.

Le Manoir des Phelps
Le Manoir des Phelps

Stupéfait, le prêtre demanda à sa femme de rester sous le porche avec les enfants et ne sachant à quoi s’attendre, il pénétra prudemment à l’intérieur. Une tornade semblait avoir dévasté le manoir, renversant les meubles, arrachant les rideaux, brisant les assiettes de porcelaine et jetant sur le sol les peintures raffinées, les livres, les papiers et les vêtements. D’une étrange manière, rien ne semblait avoir été volé. Sa montre en or, les objets précieux et même l’argent liquide avaient été sortis de leurs rangements mais ils avaient été laissés là, bien en évidence, et le révérend en conclut que les cambrioleurs avaient probablement été surpris par leur retour et qu’ils avaient trouvé le moyen de s’enfuir par une fenêtre.

Comme tout danger semblait écarté, il proposa à sa famille de rentrer et tous ensemble ils montèrent à l’étage pour inspecter les chambres. Fort heureusement, personne ne s’y cachait, mais dans l’une d’entre elles, quelqu’un avait recouvert un lit d’un drap blanc puis il y avait posé la chemise de nuit et les bas de Mme Phelps, les arrangeant de telle manière que le corps de la malheureuse semblait allongé là, qui avait été préparé pour son enterrement. La scène formait un sinistre tableau, qui semblait presque une menace, mais comme rien n’avait été volé ils se contentèrent de remettre de l’ordre dans leur maison.

L’horloge venait de sonner midi quand Mme Phelps et ses enfants repartirent à l’église pour assister aux services de l’après-midi. Le révérend, qui craignait que les cambrioleurs ne reviennent chercher le butin qu’ils avaient, pensait-il, étaient obligés d’abandonner, avait décidé de monter la garde, aussi s’était-il enfermé dans son étude et armé d’un pistolet, il attendait en silence. Quelques heures plus tard, las d’écouter le vent souffler, il sortit de son bureau et descendit le grand escalier du rez-de-chaussée mais quand il ouvrit la porte du salon, il en resta stupéfait.

Une multitude de femmes se trouvaient au centre de la pièce, qui étaient rentrées dans la maison sans faire le moindre bruit et qui, formant une sorte de cercle, se tenaient debout, immobiles, ou priaient à genoux dans des positions de dévotion religieuse. Plusieurs d’entre elles tenaient des bibles entre leurs mains, et certaines se prosternaient tellement bas que leurs fronts brossaient le sol. Il lui fallut quelques instants pour réaliser que ces femmes, qui lui semblaient terriblement réelles, n’étaient que des poupées de tissu. Baignées d’une admiration béate elles semblaient toutes regarder vers le ciel et suivant machinalement leurs regards le prêtre remarqua qu’une horrible petite créature, semblable à un  » nain grotesque,  » avait été suspendue au lustre par une ficelle. Sidéré, il réalisa alors que quelqu’un s’était introduit dans la maison alors qu’il guettait au premier, qui avait fabriqué ces mannequins dans le plus grand silence, remplissant les robes de sa femme de chiffons et de tissus, pour les disposer ensuite au centre du salon dans cette misérable parodie de prière.

Le 11 mars, des objets se mirent à bouger tout seuls, éclairant les événements d’une nouvelle lumière. Un parapluie sauta en l’air, parcourant près de huit mètres, puis des fourchettes, des cuillères, des couteaux, des livres, des stylos et tout un tas de petits objets hétéroclites s’envolèrent d’endroits où personne ne se tenait. Les oreillers, des draps et les couvertures s’arrachèrent des lits et indifférents aux lois de la pesanteur, ils flottèrent un moment avant de retomber sur le plancher. L’agitation dura toute la journée puis au coucher du soleil elle cessa brusquement, plongeant la maison dans un silence troublant. Le lendemain matin, les objets recommencèrent à voler, semblant parfois viser les enfants qui les esquivaient de justesse, et terrifiée, Mme Phelps supplia son mari de demander de l’aide. Le révérend, qui ne savait vers qui se tourner, décida d’en parler à l’un de ses vieux amis, John Mitchell, un prêtre à la retraite en qui il avait toute confiance. Après avoir écouté son histoire, le révérend Mitchell, qui était un homme de raison, déclara qu’à son humble avis Anna et Henry leur jouaient des tours et il proposa aimablement de les prendre chez lui mais à sa grande surprise, de nombreux phénomènes se produisirent en leur absence. Pendant quelques temps, le révérend Mitchell resta persuadé que les incidents avaient une cause naturelle, qu’il s’obstina à chercher, puis il fut témoin de telles merveilles qu’il en conclut qu’elles étaient inexplicables.

Le 14 mars, le phénomène sembla gagner en puissance. Au petit matin, une pomme de terre surgit de nulle part atterrit sur la table du petit déjeuner puis, tout au long de la journée, quarante-six objets, dont la plupart étaient des vêtements qui provenaient des placards de l’étage, se matérialisèrent dans la pièce verrouillée où s’étaient enfermés M. Phelps, sa femme et le révérend Mitchell. Au cours des semaines suivantes, de nombreux observateurs furent témoins de l’apparition des objets et de leur flottement dans les airs. Ils semblaient se déplacer à une vitesse anormalement lente et parfois ils changeaient de direction avant de se poser délicatement sur le sol, comme si une main invisible les y avait soigneusement placés.

Article sur les Phénomènes

Certains accusaient la famille de tricherie, mais le révérend Phelps ne s’en offusquait guère et il invitait tous les sceptiques, les reporters, les savants et même les simples curieux à venir voir par eux-mêmes, les accueillant aimablement et leur proposant de séjourner dans la maison aussi longtemps qu’ils le souhaitaient. Les journalistes rapportaient leurs observations dans des articles à sensation, parlant d’ esprits, de bruits bizarres, d’enfant soulevé par des mains invisibles et déposé doucement sur le plancher, de pelle et de pinces de cheminée qui venaient se placer au milieu d’une pièce pour y effectuer une sorte de danse, de chandelier qui s’envolait et s’obstinait à frapper le sol et de lampe à huile qui mettait le feu à quelques papiers après avoir glissé sur une table et s’être renversée. Les femmes de tissu, qui étaient toujours présentées dans de pieuses dispositions, réapparaissaient régulièrement et s’extasiant devant de telles merveilles, ils soulignaient que ces mannequins  » n’étaient construits et agencés par aucun pouvoir visible. « 

Si la plupart des journaux considéraient les faits comme authentiques, une rumeur était reprise par certains qui prétendait que Mme Phelps, laquelle était présentée comme  » considérablement plus jeune que son mari et se languissant des gaités de la ville,  » conspirait avec ses ainés pour se jouer de son malheureux époux. Ayant appris l’histoire par la presse, Austin, le fils de M. Phelps, se rendit à Stratford pour enquêter sur l’affaire. Le jeune homme, qui travaillait comme professeur au Andover Theogical Seminary, était accompagné de son oncle, Abner Phelps, un médecin réputé de Boston. Aucun de ces respectables messieurs n’avait approuvé le mariage de leur parent avec Sarah Nicholson et ils se trouvaient fort contrariés de la notoriété grandissante de l’histoire de hantise, qui venait entacher la réputation de leur famille. Ils étaient certains qu’un plaisantin se moquait du révérend et ils se faisaient un plaisir de le démasquer.

Austin et Abner Phelps
Austin et Abner Phelps

Lors de leur première nuit à Stratford, de terribles martèlements résonnèrent dans le manoir, qui provenaient vraisemblablement de la porte d’entrée et les incitèrent à monter la garde. Ils attendaient derrière la porte, se précipitant à l’extérieur à chaque fois que le marteau retentissait contre le panneau de bois, mais comme ils ne voyaient jamais personne et que la même scène se répétait inlassablement, alors ils décidèrent de changer de tactique, Austin allant se dissimuler à l’extérieur tandis que son oncle restait à guetter dans le hall, sans plus de succès. Le lendemain, ils entendirent des bruits de coups à l’étage, qu’ils avaient déjà remarqués la nuit précédente sans trouver le temps de s’y intéresser, et comme ils semblaient émaner de la chambre d’Anna ils firent irruption dans la pièce pensant la prendre sur le fait, mais la jeune fille se trouvait dans son lit, couverte et loin de la porte qui avait été si violemment frappée qu’elle en était bosselée. Les deux hommes finirent par repartir de la maison persuadés que tous les phénomènes étaient authentiques. Austin Phelps écrivit plus tard:  » Les faits étaient réels, un millier de personne en ont témoigné. Ils étaient inexplicables par les principes connus de la science et pourtant, ils étaient clairs pour ceux qui les voyaient et les entendaient. Des experts en science sont allés à Stratford dans de triomphantes attentes, mais ils en sont repartis en un silence obstiné, convaincus que rien ne pouvait les résoudre. « 

Au fil des jours, les manifestations se faisaient plus fréquentes, et bientôt elles transformèrent la vie de la famille Phelps en un enfer perpétuel. Durant toute la nuit, des grattements, des coups, des bruits bizarres et des voix fantomatiques, qui chuchotaient ou poussaient de hauts cris déchirants, retentissaient dans la maison puis, aux premières lueurs de l’aube, le silence se faisait et les objets commençaient à bouger, les armoires se vidaient de leur contenu, les couverts en argent se tordaient, les fenêtres explosaient, les papiers se renversaient sur le plancher, les chaises se précipitaient contre les murs et les tables dansaient, comme si elles étaient venues à la vie. Les dévotes de tissu continuaient à apparaitre dans différentes pièces, et commentant ce prodige, un journaliste de New Haven rapportait:  » Dans un court espace de temps tellement de mannequins avaient été fabriqués qu’il n’aurait pas été possible à une demi-douzaine de femmes, qui auraient travaillé plusieurs heures d’affilé, de terminer la conception et l’arrangement de ce pittoresque tableau. Pourtant, ces choses étaient apparues en un bref instant, alors que toute la maison se trouvait sous surveillance. En tout, plus de 30 mannequins avaient été confectionnés. « 

Ces esquisses de femmes étaient si réalistes qu’un jour où M. Joseph Citro, un auteur réputé, s’était présenté au manoir, le plus jeune des enfants pénétra dans une chambre pour prévenir sa mère, et voyant un mannequin portant l’une de ses robes agenouillé au centre de la pièce, il chuchota à leur invité:  » Attendez. Maman est en train de dire ses prières. « 

Après avoir déchainé sa colère destructrice contre les objets pendant un certain temps, la force commença à harceler les enfants quand ils se trouvaient dans leurs lits puis, se faisant plus audacieuse, elle s’en prit à eux à toute heure. Pour une obscure raison, Anna et Henry étaient ses cibles favorites, et jamais elle ne se lassait de les tourmenter. La jeune fille était souvent giflée par des mains invisibles. Les personnes présentes la voyaient seulement secouer la tête mais souvent ils entendaient le bruit de la gifle et des marques rouges apparaissaient sur son visage. Vers la fin du mois d’avril 1850, un journaliste se trouvait dans une pièce avec Anna et Mme Phelps, les surveillant à tout instant, quand soudain la jeune fille fit un mouvement brusque avec l’un de ses bras, s’écriant qu’elle venait d’être pincée. L’homme lui demanda alors de retrousser sa manche, découvrant ainsi plusieurs marques rouges sur sa peau. A une autre occasion, pendant qu’elle dormait, un oreiller vint lui recouvrir le visage, qui fut ensuite attaché autour de son cou avec du ruban adhésif, la laissant presque morte.

Le calvaire du jeune Henry était peut-être pire encore. L’enfant était parfois si violemment battu qu’il en sombrait dans l’inconscience. Des pluies de pierres s’abattaient sur lui, il était soulevé de son lit et jeté sur le sol, et à une occasion il flotta si haut dans les airs que ses cheveux effleurèrent le plafond. Parfois, il disparaissait mystérieusement, obligeant tous les visiteurs, les femmes, les hommes, les jeunes, les vieux, les prêtres, les journalistes et les curieux à partir à sa recherche. Le garçon était toujours retrouvé dans des endroits improbables, sous une haie, ligoté et suspendu à un arbre, abandonné sur une botte de foin ou perché sur une étagère du placard, une corde autour du cou. Visiblement confus, l’enfant mettait longtemps à reprendre ses esprits, parfois une heure, et quand ses parents lui demandaient comment il avait pu se mettre en aussi mauvaise posture alors il était incapable de leur répondre, affirmant avoir repris conscience à l’endroit où il avait été trouvé. Un jour, alors que des membres du clergé rendaient visite à la famille, Henry fut brûlé, jeté dans une citerne, et ses vêtements se déchirèrent sous les yeux de l’assistance épouvantée.

Depuis qu’ils avaient été eux-mêmes témoins des incroyables phénomènes, les accusations des sceptiques avaient cessé et de nombreuses théories étaient émises quand à leur nature. Certains savants se demandaient si Anna ou Henry n’en étaient pas les auteurs inconscients, attirant les objets à eux ou les repoussant de leur magnétisme, mais la plupart des gens pensaient que la famille était aux prises avec des revenants, qui lui étaient liés d’une quelconque manière et cherchaient à lui nuire. Mme Ellen Olney Kirk, une habitante de Stratford qui avait assisté à de nombreuses manifestations inexplicables, pensait même avoir identifié le coupable en la personne de Goody Basset, une femme accusée de sorcellerie qui avait été pendue non loin de là en 1651, mais si rien ne venait démentir sa théorie, rien ne la confirmait.

Goody Bassett
Goody Bassett

Pour le révérend Phelps et ses confrères, la maison était clairement en proie à quelque créature démoniaque et l’apparition régulière des mannequins de tissu se livrant à de vulgaires simulacres de prière les confortait dans cette idée. Le révérend John Mitchell, qui avait passé beaucoup de temps à étudier le phénomène, avait réussi à engager la conversation avec la force invisible en utilisant un code simple reliant les lettres de l’alphabet au nombre de coups frappés, mais les réponses obtenues étaient si abominables qu’elles n’avaient fait que confirmer leurs certitudes.

Puis, pour une obscure raison, les esprits commencèrent à communiquer d’eux-mêmes, sans que rien ne leur soit demandé. Des messages apparurent sur les murs, qui étaient souvent écrits dans un langage mystérieux, et d’autres furent retrouvés gravés dans la chair de légumes stockés à la cave, qui révélaient de curieux symboles lorsque leur peau était pelée. Un jour le révérend Phelps se trouvait seul dans son étude quand soudain, après s’être brièvement retourné pour attraper quelque chose, il découvrit que la feuille de papier posée sur le bureau devant devant lui, qui était vierge quelques instants auparavant, était recouverte d’une écriture étrange, dont l’encre était encore humide. Au cours des jours suivants, plusieurs morceaux de papier du même genre apparurent dans différents endroits de la maison, flottant dans les airs et descendant lentement sur la table du diner ou se matérialisant dans des boites fermées à clef. Une centaine de messages furent ainsi retrouvés, dont la plupart étaient recouverts d’une écriture indéchiffrable, et pensant qu’ils étaient l’œuvre du diable, le révérend les détruisit aussitôt.

Témoin de ce prodige, Mme Kirk rapporta:  » Il y avait des coups, mais pas simplement des coups, des coups violents, comme si la force d’un géant en était à l’origine. C’était d’incroyables coups, qui résonnaient en haut et en bas des escaliers et le long des couloirs. Il y avait aussi des apparitions, d’étranges silhouettes dans d’étranges endroits. Il y avait des messages qui venaient du pays invisible des esprits, qui étaient épelés non seulement par des coups et des vibrations sur les têtes des lits, sur le plafond, les murs, les portes et le plancher, mais écrits sur des morceaux de papier, qui flottaient vers le bas depuis l’invisible comme les feuilles du Cumes Sybil. « 

Le révérend Phelps, qui voulait se débarrasser de son indésirable invité, pensait qu’il se devait de connaitre sa nature et ses inventions pour y parvenir aussi finit-il par accepter qu’une nouvelle séance de spiritisme soit organisée dans la maison. Lors de cette tentative un esprit se manifesta rapidement, se présentant comme une  » âme de l’Enfer,  » tourment qu’il endurait pour les péchés commis durant sa vie mortelle. M. Phelps lui demanda ce qu’il pouvait faire pour lui venir en aide, et se servant du système de coups mis au point par le révérend Mitchell, le revenant lui ordonna de lui apporter un morceau de tarte à la citrouille. Confus, le prêtre répéta sa question et semblant se moquer de lui l’esprit commanda un verre de gin. Ignorant ses stupides exigences, le révérend lui demanda pourquoi il s’obstinait à saccager sa maison et le revenant lui répondit qu’il agissait ainsi par plaisir. Le prêtre commençait à perdre patience quand soudain, sans se faire prier, l’esprit commença à raconter son histoire, prétendant être un ancien clerc de Philadelphie qui avait escroqué Mme Phelps alors qu’il effectuait un certain travail pour elle. Malheureusement, quand le révérend voulut l’interroger sur les raisons de sa présence dans la maison, l’esprit refusa de s’expliquer et il put rien en tirer de plus.

Quelques temps plus tard, comme M. Phelps voulait vérifier ses dires, il fit une visite au cabinet d’avocats de Philadelphie où l’esprit disait avoir été employé et il retrouva les documents incriminés. La fraude était bien réelle et elle aurait pu, si elle avait été découverte, envoyer son auteur en prison. Cependant, s’il lui avait révélé l’identité d’un homme, le révérend pensait qu’il lui avait menti et il déclara:  » Je suis convaincu que les communications sont sans valeur, en ce sens qu’elles sont souvent fausses, contradictoires et absurdes. « 

Épuisée par des mois de harcèlement, la famille Phelps finit par se résoudre à repartir à Philadelphie. Peu après que cette décision ait été prise, un morceau de papier se matérialisa dans les airs, qui vint se poser sur le bureau de M. Phelps. Dessus, il était écrit un message, qui lui était visiblement destiné:  » Quand la famille pense-t-elle aller en Pennsylvanie? Je souhaiterais faire quelques arrangements avant leur départ. S’il vous plait, répondez par écrit.  » Se servant de la feuille posée devant lui, le révérend répondit qu’il pensait partir vers le 1er octobre et l’esprit ne fit aucun commentaire. Peu de temps après, M. Phelps envoya sa femme et les enfants à Philadelphie, et il resta brièvement à Stratford pour mettre ses affaires en ordre. Curieusement, durant cette période, aucune manifestation étrange ne fut à déplorer. Fidèle à sa parole, le prêtre rejoignit sa famille à Philadelphie le 2 octobre 1850, et il constata avec soulagement que la hantise était terminée. Ils y passèrent l’hiver et le printemps puis, au début de l’été 1851, ils retournèrent à Stratfort, où ils vécurent pendant huit ans sans jamais être importunés. Quelle qu’ait été sa nature, l’esprit avait disparu.

En 1859, la famille Phelps vendit la maison à Moïse Y. Beach, le fondateur du journal The New York Sun, qui y vécut pendant des dizaines d’années, puis son fils Alfred en hérita, et jamais aucun incident ne fut signalé. Au début des années 1940 Mme Maud Thompson, qui avait racheté le manoir, le transforma en maison de repos et sept ans plus tard elle le revendit à M. Carl Caserta et son épouse, qui étaient tous les deux infirmiers diplômés. Après avoir fait rénover le bâtiment M. et Mme Caserta s’installèrent au troisième étage, où un appartement avait été aménagé à leur intention, et ils firent poser des sonnettes pour que les pensionnaires puissent appeler si le besoin s’en faisait sentir. Alors brusquement, des portes commencèrent à s’ouvrir et se refermer toutes seules, des voix s’élevèrent de pièces vides, des bruits de coups retentirent, et le tintement caractéristique des sonnettes se fit entendre, sans que personne ne soit là pour les actionner.

Un soir que son mari s’était absenté, me Caserta coucha son fils, Gary, puis elle recouvrit la lampe près de son lit d’une couverture pour en atténuer la lumière. Elle devait s’absenter un moment et elle voulait laisser allumer pour son retour. Elle se trouvait au le sous-sol depuis une trentaine de minutes quand soudain elle entendit une sonnette. Aidée de deux de ses employée, Mme Caserta parcourut rapidement les chambres des malades, cherchant celui qui avait appelé, mais ils étaient tous alités et si faibles qu’aucun n’aurait pu se lever pour sonner. Elle grimpait l’escalier du troisième étage quand soudain elle sentit une odeur de fumée et au même moment, Gary se mit à pleurer. Affolée, elle se mit à courir vers la chambre et prenant son fils dans ses bras elle l’éloigna du danger. Une grosse auréole calcinée se dessinait sur la couverture qu’elle avait posée sur la lampe, et une inquiétante fumée en sortait. Jamais elle ne sut qui avait sonné pour la prévenir. Ses employés se trouvaient avec elle au sous-sol, les patients étaient trop âgés pour sortir de leur lit tout seuls et son fils était trop petit pour atteindre la sonnette.

Une nuit, alors que son fils et son mari dormaient dans l’appartement, Mme Caserta était de garde et elle veillait, seule dans la salle des infirmières du rez-de-chaussée, quand soudain le bruit d’une sonnette la fit sursauter. Elle inspecta toutes les chambres, les unes après les autres, sans pouvoir trouver un seul patient réveillé mais en arrivant au troisième elle aperçut son fils, qui avait grandi depuis l’incident de la lampe, en train d’enjamber la rambarde de la fenêtre. Se précipitant vers lui, elle le rattrapa de justesse et le ramena dans son lit, où il se réveilla. Le garçon n’avait gardé aucun souvenir de ses aventures nocturnes et il apparut qu’il était somnambule, ce qu’elle ignorait alors. Une fois encore, Gary avait été sauvé d’une mort certaine et Mme Caserta comprit alors que quelqu’un ou quelque chose veillait sur son fils.

Vers la fin des années 1960, la propriété fut rachetée par une société de Nouvelle-Angleterre qui projetait de faire construire une clinique tout en conservant la maison pour y héberger les bureaux, mais malheureusement des problèmes financiers vinrent empêcher la réalisation de ce projet. Alors, pendant des années, le Manoir Phelps fut laissé à l’abandon et il devint le refuge de tous les marginaux de Stratford qui brisèrent ses fenêtres, firent des trous dans les murs, mirent le feu dans différentes pièces et dérobèrent les colonnes qui ornaient le devant de la maison.

Un jour de 1971, alors qu’ils menaient une enquête sur les actes de vandalisme, des policiers aperçurent une petite fille qui déambulait dans la maison et ils la poursuivirent jusqu’au troisième étage où elle disparut inexplicablement. Personne ne savait vraiment qui était cette petite fille, mais certains supposaient qu’elle était Anna Phelps, qui était retournée dans la maison qu’elle aimait tant sous l’apparence d’une enfant. Ed et Lorraine Warren, les célèbres chercheurs du paranormal, furent alors amenés à enquêter dans le manoir, sans pouvoir trouver plus d’explication que leurs confrères du siècle précédent. Ed Warren raconta l’histoire ainsi:  » Les policiers plaisantaient tous les deux sur le fantôme. Ils sont entrés par la porte de derrière et ils ont entendu quelque chose près de l’immense escalier. Alors ils ont vu une petite silhouette, comme une enfant vêtue d’une robe de dentelle. Elle a grimpé l’escalier en courant, ils l’ont pourchassée au troisième étage, puis elle a filé dans une pièce et ils ont vu une porte de placard fermée. Pensant que des enfants leur jouait un tour, ils ont ouvert la porte du placard, mais il n’y avait personne à l’intérieur. « 

Le Grand Escalier du Manoir
Le Grand Escalier du Manoir

En mars 1972, le Manoir Phelps fut démoli, emportant à jamais ses secrets avec lui. Trois ans plus tard, la ville de Stratford décida de faire construire un parking pour l’American Shakespeare Theater, un théâtre tout proche, dans ce qui était autrefois la cour de la maison. Peut-être n’était-ce qu’une coïncidence mais ce théâtre connut une multitude de problèmes étranges, électriques, techniques ou humains, et certains affirmèrent que parfois la silhouette translucide d’une femme se montrait à la fenêtre de l’étage, dans les bureaux de l’administration. Outre les différents incidents, des rumeurs vinrent entacher réputation de l’établissement, qui prétendaient qu’une jeune femme avait été violée et tuée sur le site et qu’un vieil homme y était mort de froid. Alors, au début des années 1980, le théâtre commença à connaitre de graves difficultés financières et en 1995 il dut fermer ses portes, après que le corps d’un homme battu à mort ait été retrouvé sur la propriété.

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