En 1963, à Arcachon, en Gironde, la clinique du Dr Cuénot devint brusquement le théâtre d’étranges phénomènes dont personne ne parvint à déterminer l’origine. Alors, pour tenter de résoudre le mystère, le Dr Cuénot, qui était le directeur de l’établissement, fit appel à l’un de ses amis qui était à la tête d’un institut de parapsychologie.
Le Dr Alain Cuénot était un ancien interne des hôpitaux de Nancy, un chirurgien orthopédiste estimé, et le fils du savant Lucien Cuénot. Après avoir contracté une tuberculose, il avait orienté ses recherches sur les maladies osseuses consécutives à cette maladie et en 1938, il avait racheté la clinique du Dr Lalesque, qui était déjà spécialisée dans ce type d’affections.
En 1963, le Dr Cuénot dirigeait la Clinique Orthopédique d’Arcachon depuis vingt-cinq ans quand un jour du mois de mai, une pluie de cailloux s’abattit sur certains de ses malades qui profitaient des premiers rayons du soleil printaniers, allongés dans le jardin. Les infirmières présentes se précipitèrent immédiatement à l’intérieur, fouillant le bâtiment à la recherche du fauteur de troubles, mais rien ne leur permit de découvrir d’où provenaient les projectiles.
Au cours des semaines suivantes, le phénomène se répéta régulièrement, faisant pleuvoir des éclats de moellons, des fragments de briques et des morceaux de galets dans le jardin et sur les terrasses de la clinique, exactement à l’endroit où étaient installés les patients. Si leurs chutes semblaient plus fréquentes à la tombée de la nuit, elles pouvaient se produire à n’importe quel moment et la trajectoire des pierres, leur vitesse, leur nombre et leur nature changeaient à chaque fois. Certaines étaient anodines, semblables à des graviers, d’autres avaient la taille d’une demi-brique, elles auraient aisément pu tuer quelqu’un, mais d’une extraordinaire manière jamais elles ne blessaient personne et si deux patients furent touchés, ils ne le furent que très légèrement.
Il ne se passait pas un jour sans que quelques malades, dont la plupart étaient allongés sur des voiturettes, n’en soient la cible. Au début, se pensant victimes de plaisantins, ils choisirent de garder le silence, puis, comme le phénomène se répétait, ils finirent par s’en plaindre, mais personne ne voulut les entendre. Les pensionnaires de la clinique, qui se surveillaient les uns les autres dans l’espoir de découvrir le coupable, remarquèrent bientôt que les manifestations se produisaient toujours en présence d’une certaine Angélina, qui semblait être la cible favorite des jets de pierres. D’une surprenante manière, la jeune femme quitta l’établissement le 7 juillet 1963, mais son départ ne changea rien au phénomène et bientôt le poltergeist sembla sur se concentrer sur Jacqueline R., une jeune fille de 17 ans.
Le Dr Cuénot et les membres de la direction ignoraient alors tout de l’affaire, qui était considérée comme l’œuvre d’un mauvais plaisant. Les infirmières en avaient entendu parler, certaines en avaient même été témoins, mais les incidents leur avaient semblé anodins et elles n’avaient guère prêté attention aux remarques des patients qui, depuis plusieurs semaines, se plaignaient de recevoir de petits cailloux. Puis brusquement, au mois de juillet, le phénomène gagna en intensité, les projectiles se firent plus nombreux, plus lourds et plus rapides, et il devint le principal sujet de conversation des pensionnaires.
Au début du mois d’août, trouvant la situation insoutenable, Jacqueline décida d’en informer directement la directrice, qui attendit le 28 août pour en parler au Dr Cuénot. Effrayé par d’éventuelles retombées judiciaires, si un malade était blessé il pouvait se retourner contre la clinique, le docteur s’empressa de prévenir la police locale, qui ne fit rien sinon le prendre pour un fou. Puis, comme les manifestations étaient semblables à celles d’une maison hantée, il décida d’en parler à l’un de ses amis, le Dr M. Martiny, président de l’Institut Métapsychique International, qui lui proposa d’envoyer à la clinique un enquêteur spécialisé dans ce genre de phénomènes, M. Robert Tocquet, un éminent professeur qui avait, entre autres, étudié les moulages ectoplasmiques du Dr Geley.
A son arrivée à la clinique, M. Tocquet commença par interroger les malades. Certains prétendirent n’avoir jamais observé de chutes de pierres ou n’en avoir vu que deux ou trois passer près d’eux sans y prêter attention, d’autres refusèrent de lui répondre, mais la plupart confirmèrent les faits, tout simplement. Certains rapportèrent avoir vu tomber 10 à 20 cailloux autour d’eux, l’un d’entre eux en avait compté précisément 17 en cinq minutes, et quatre joueurs de bridge signalèrent avoir un jour reçu une grosse pierre, qui aurait facilement pu blesser quelqu’un, sur leur table de jeu. Un malade allongé en avait reçu un projectile sur sa voiture, d’autres dans leur cabinet de toilette et quelques uns affirmèrent avoir du rentrer précipitamment dans leur chambre, la situation devenant intenable sur les terrasses.
Un soir du mois d’août, alors que les pierres pleuvaient en abondance sur l’une des terrasses de la clinique, M. T. André, qui était agent de police à Paris, avait levé la tête au moment précis où une grosse pierre, qui devait peser environ 200 à 300 grammes, avait été lancée par la fenêtre d’une chambre désaffectée au deuxième étage. Il n’avait vu personne, seulement ce caillou qui sortait par cette fenêtre et qui tombait sur le sol, comme s’il était lancé du fond de la pièce par quelqu’un se cachant à l’intérieur. L’étage, qui avait été immédiatement exploré, avait été trouvé vide quand à la chambre, sa porte était fermée à clef, comme toutes les portes des pièces inutilisées.
A une autre occasion, vers 21 heures, trois malades se trouvaient sur la terrasse en compagnie de Jacqueline quand soudain, les jets de pierres, qui semblaient toujours venir du même bâtiment, avaient recommencé. Désirant en avoir le cœur net, ils avaient décidé de monter au troisième étage, dont la porte était fermée à clef de l’extérieur, mais ils n’avaient vu personne. Une fois revenus sur la terrasse, les pierres s’étaient remises à tomber et aussitôt ils étaient remontés, s’arrêtant cette fois au deuxième étage où toutes les portes étaient fermées et les loquets enlevés. Se servant d’un loquet de secours, ils avaient visité toutes les chambres sans pouvoir trouver quiconque.
Un jour, M. C se trouvait sur l’une des terrasses, allongé sur sa voiturette, quand les projectiles avaient commencé à pleuvoir. Il en tombait de telles quantités qu’agacé l’homme s’était écrié: » Il y en a assez! Cet imbécile ne peut-il pas s’arrêter? » Alors aussitôt, les chutes de pierres avaient cessé, pour ne reprendre timidement que trente minutes plus tard. Un jour où le temps était particulièrement beau, tous les malades, sans exception, étaient descendus de leur chambre pour passer l’après-midi sur la terrasse. Ce jour-là, il était tombé tellement de pierres que tout le monde en avait été convaincu qu’aucun des malades ou des membres du personnel ne pouvait être suspecté.
Un soir, alors qu’il se trouvait à l’extérieur, M. C, qui ne pouvait se lever en raison de son affliction, avait été particulièrement visé par une pluie de pierres. Avant de regagner sa chambre, il avait demandé à jacqueline, qui l’accompagnait alors, de ramasser les différents projectiles tombés autour de lui et pensant les montrer à M. Tocquet, il les avait déposés sur sa table de chevet. Étrangement, le lendemain matin quand il s’était réveillé, le tas avait disparu et il lui avait été impossible de savoir qui l’avait enlevé. Les femmes de chambre avaient prétendu n’avoir rien vu, tout comme les malades.
Jacqueline était souvent la cible des jets de pierres et sa présence semblait nécessaire à leur déclenchement, ce qui autorisait tous les soupçons la concernant. Bien évidemment, la jeune fille était attentivement surveillée par les autres malades, mais personne ne l’avait jamais surprise en train de lancer quoi que ce soit, bien au contraire, car en de multiples circonstances et devant un grand nombre de témoins, la malheureuse avait été copieusement lapidée, sans que son attitude n’ait jamais été trouvée suspecte. Il suffisait qu’elle se trouve quelques minutes sur les terrasses extérieures pour que des cailloux se mettent à pleuvoir autour d’elle. Quand elle s’abstenait ce la clinique, le phénomène cessait, et quand elle revenait il se produisait de nouveau, cinq à dix minutes après son arrivée.
Le 1er septembre 1963, le Dr Cuénot, qui avait constaté, comme les autres, que Jacqueline se trouvait involontairement au centre des perturbations, décida de s’entretenir avec elle. A cette occasion, il lui apparut que malgré son jeune âge, la jeune fille était profondément déprimée. Elle semblait lasse de la vie, n’aimait en rien les choses de son âge, riait des choses tristes, pleurait des heureux événements etc… Si cette discussion fut instructive quand au profil psychologique de Jacqueline, elle eut également d’étranges effets sur le phénomène car les pluies de pierres cessèrent immédiatement, remplacées par de nouveaux incidents.
Au cours de la nuit suivante, la porte de la chambre de Jacqueline, qui donnait sur le couloir, s’ouvrit silencieusement mais heurtant le lit de Mme T., elle réveilla les femmes qui se trouvaient là. Comme une tempête se déchaînait à l’extérieur, elles supposèrent que le vent avait du ouvrir la porte et après l’avoir refermée, elles s’endormirent sans plus y penser. Le lendemain, la lumière était éteinte depuis une trentaine de minutes quand brusquement, vers 23 heures, un fort coup de poing retentit sur la porte de la même chambre. Quelques secondes plus tard, l’infirmière de garde apparut, affirmant aux malades intriguées qu’elle n’avait vu personne à proximité. Le 3 septembre, à 4 heures du matin, la porte de la chambre s’ouvrit à nouveau, allant frapper une nouvelle fois le lit de Mme T. qui se réveilla aussitôt. A ce moment-là, toutes les autres malades, dont Jacqueline, se trouvaient dans leurs lits respectifs. Le 4 septembre, à la demande des pensionnaires, un verrou fut placé à l’intérieur de la chambre et plus jamais il n’y eut plus d’incident. Il y eut encore quelques coups de frappés en soirée, puis d’autres qui réveillèrent l’enquêteur de l’Institut Métapsychique, et tous les phénomènes cessèrent définitivement.
Une fois l’enquête terminée, M. Robert Tocquet fit un rapport qu’il remit au président et à ses collègues de l’Institut Métapsychique International: » En septembre 1963, je me suis rendu à la clinique du Dr Cuénot, à Arcachon, afin de procéder à une enquête sur des jets de pierres et sur quelques autres phénomènes qui s’y produisaient depuis cinq mois environ. J’y interrogeais le personnel et tous les malades, soit une trentaine de personnes, qui ne purent me préciser la cause probable des phénomènes dont ils avaient été témoins. Présumant que leur auteur, vraisemblablement involontaire, était Jacqueline R., je m’installais dans une chambre contiguë à celle de cette jeune fille afin d’être, à l’occasion, témoin d’un phénomène. Or, au cours de la première nuit que je passais dans cette chambre, à 4 heures du matin exactement, quatre coups, relativement violents, séparés par des intervalles de 5 ou 6 secondes, furent frappés sur la porte de ma chambre.
Au troisième coup, je me levais et j’ouvris brusquement la porte qui donnait sur un couloir parfaitement éclairé par des lampes électriques. Personne ne s’y trouvait. C’est alors que retentit le quatrième coup, qui semblait avoir été frappé par un poing invisible, faisant vibrer la porte que je tenais de la main gauche. Il est à remarquer, et ce détail était inconnu du Dr Cuénot et de ses malades, que tous les jours je me réveille entre 3 h 30 et 4 heures du matin et que je suis alors parfaitement conscient. C’est, en effet, à partir de ce moment que je procède mentalement à l’examen des travaux que je dois effectuer dans la journée. Deux ou trois minutes après avoir entendu le quatrième coup, je passais rapidement un vêtement et allais frapper à la porte de Mlle Jacqueline R. Elle ne me répondit qu’au bout de quelques minutes, et, quand elle ouvrit sa porte, elle semblait émerger d’un profond sommeil.
En définitive, et c’est ce que j’ai écrit dans le compte-rendu des interrogatoires, je crois qu’il est difficile d’expliquer la plupart des jets de pierres par la mise en jeu de facteurs normaux et j’estime que les quatre coups frappés à la porte de ma chambre étaient d’origine paranormale. «
L’histoire de la Clinique du Dr Cuénot est particulièrement intéressante car le poltergeist a changé de cible, passant d’Angélina à Jacqueline, ce qui est tout à fait inhabituel pour un phénomène de cet ordre. A l’arrêt des chutes de pierres, chacun voulut trouver une explication, ce qui amena à diverses théories, parfois des plus hasardeuses. Peu avant le début des premières manifestations, le Dr Cuénot avait annoncé la vente de sa clinique aux pensionnaires, et certains, supposant que les patients avaient été perturbés par cette annonce, y virent une explication aux phénomènes. D’autres estimèrent que la discussion entre le Dr Cuénot et Jacqueline avait servi de psychothérapie à la jeune fille, quelques uns y virent une sorte d’exorcisme, mais finalement, jamais le mystère ne fut résolut. Depuis, la clinique a été démolie, et sa place se dresse la résidence Maupassant.