En 1943, à Frontenay Rohan-Rohan dans les Deux-Sèvres, une maison devint le théâtre d’étranges phénomènes que rien ne semblait pouvoir expliquer. Alors, comme des gendarmes avaient été témoins de certaines manifestations, le capitaine Émile Tizané, qui étudiait les petites et les grandes hantises depuis presque vingt ans, se rendit sur place pour y enquêter.
Au début des années 1940, M. Henri Aucher, sa femme Alexandrine, et leur petite-fille Geneviève, 15 ans, occupaient une petite maison près de la route nationale à Frontenay Rohan-Rohan, un village de 1200 habitants situé dans les Deux-Sèvres. L’habitation, dont ils étaient locataires, était composée d’une grande pièce au rez-de-chaussée, qui servait à la fois de salle à manger et de chambre à coucher, et de deux étages, qui ne proposaient chacun qu’une seule pièce, une chambre au premier et un grenier au second. Dans cette maison provinciale de la France de 1943, le confort moderne n’était pas encore disponible, aussi ne disposait-elle ni d’une salle de bain, ni même de toilettes.
Le 22 novembre 1943, Mme Aucher, 77 ans, était assise devant sa table de nuit, surveillant distraitement Geneviève qui jouait avec sa poupée sur le plancher, quand brusquement, une chaise s’envola à travers les airs, venant doucement se poser à ses pieds et la faisant sursauter. Une fois sur le sol, la chaise remua encore un peu avant de s’immobiliser complètement et brusquement effrayée, la vieille dame appela sa petite-fille qui lâcha aussitôt sa poupée et vint se réfugier près d’elle. A ce moment-là, l’horloge sonna six heures et demi, ce qui sembla écarter l’hypothèse d’un fantôme et Mme Aucher se sentit quelque peu rassurée à cette pensée. Elle se pencha alors sur la chaise qui venait de traverser la pièce et l’inspectant attentivement, elle lui trouva en tous points son aspect habituel.
Les deux femmes se couchèrent vers 21h, chacune dans leur lit respectif, mais peu de temps après des grattements s’élevèrent dans la grande salle qui leur servait de chambre, qui semblaient provenir du lit de Geneviève. Ce bruit rappela à Mme Aucher les phénomènes étranges qui s’étaient déjà produits au mois de mai, où elle avait entendu des choses semblables, et brusquement anxieuse, elle sentit que quelque chose allait arriver sans pouvoir en préciser la nature. Alors, comme elle l’avait si bien deviné, soudain son lit sembla prendre vie. Le traversin se replia sur son visage, les draps glissèrent de son corps, l’édredon se mit à gonfler comme une baudruche puis le phénomène parut gagner en puissance, et toute la pièce s’anima d’une étrange activité. La tringle à rideaux dégringola, comme si une main invisible avait tiré sur les voilages, des objets chutèrent de leurs emplacements respectifs et se trainant sur le plancher, des meubles se mirent à bouger. A 22 heures, ne pouvant en supporter d’avantage, Mme Aucher enfila précipitamment un manteau et prenant sa petite-fille avec elle, elle courut prévenir son mari qui travaillait comme gardien de nuit dans une presse à fourrage.
A son arrivée, M. Aucher constata que la grande salle du rez-de-chaussée, habituellement bien rangée, avait été complétement bouleversée, et aussitôt il se mit à râler. Il gesticulait au milieu du désordre quand soudain le fourneau à charbon commença à se déplacer vers le centre de la cuisine, où il se renversa, puis des grattements s’élevèrent du buffet, dont l’une des portes se fendit, des assiettes sautèrent de la cuisinière, qui se brisèrent sur le plancher, et brusquement, tout s’arrêta. Le vieil homme, qui avait regardé toute la scène en silence, demanda alors à sa petite-fille de retourner se coucher puis il s’installa près du feu pour discuter des événements avec sa femme mais à peine Geneviève s’était-elle allongée que les couvertures s’enroulèrent autour d’elle, et brusquement emportée, elle se retrouva à terre. Cet incident spectaculaire fut le dernier de la soirée et le reste de la nuit fut des plus calmes.
Le lendemain matin, se soulevant inexplicablement dans les airs le manteau de M. Aucher traversa la cuisine et s’approchant du lit, il tomba juste à côté. A ce moment-là, sa femme décida de se lever mais semblant vouloir l’en empêcher soudain les draps du grand lit conjugal se tendirent, la délivrant quelques secondes plus tard. Puis, quand la vieille dame voulut pousser le rideau qui dissimulait le lit, alors le tissu s’allongea brusquement de vingt-cinq centimètres, et venant toucher le sol il devint dur comme du bois. Une terreur irraisonnée monta alors en elle, mais tout comme les draps le rideau retrouva bientôt sa souplesse habituelle et elle put se libérer de son étrange prison. Des boites, qui se trouvaient sur la grande table, se mirent alors à bouger toutes seules puis la tablette de marbre qui recouvrait la table de nuit tomba inexplicablement sur le plancher, se brisant sous le choc.
Alertés par le bruit, certains de leurs voisins finirent par s’inquiéter et un attroupement se créa devant la maison, que remarqua M. André Billon, un gendarme de Frontenay qui se rendant à la caserne, passait par hasard dans la rue. Une agitation fébrile parcourut l’assistance quand M. et Mme Aucher, visiblement troublés, racontèrent au gendarme leur effroyable expérience. M. Billon inspecta les lieux sans rien remarquer d’anormal, si ce n’était un effroyable désordre, et il s’apprêtait à ressortir quand soudain:
» En sortant, je me suis arrêté sur le seuil de la porte en regardant à l’intérieur. A cet instant, une boîte métallique déposée auparavant sur la table au milieu de la pièce a été projetée à 50 cm environ de mes pieds. La fille et la grand-mère n’ont fait aucun geste ni mouvement. «
Le gendarme retourna alors à l’intérieur, où il entendit un étrange grattement en provenance du lit de Geneviève, et ne sachant qu’en penser, il décida alors de rendre-compte des événements à son supérieur hiérarchique.
M. et Mme Aucher, qui se pensaient victimes de quelque sortilège, demandèrent au prêtre de la paroisse de leur venir en aide mais ce dernier, apparemment peu convaincu de la véracité de leur histoire, proposa de les accompagner chez eux afin d’observer le phénomène par lui-même. Durant sa visite, il remarqua que l’horloge qui se trouvait dans la grande pièce centrale semblait être arrêtée depuis un moment, mais toutes les choses restèrent parfaitement immobiles comme elles se devaient de l’être et rien ne lui parut inhabituel. Il s’apprêtait à repartir quand soudain une chaise s’envola, venant heurter violemment sa jambe, puis la table se mit à frapper la mesure, semblant se moquer de lui, une série de coups se fit entendre, qui provenaient vraisemblablement du buffet, et se décrochant inexplicablement du mur un tableau tomba à terre. Après avoir récité une courte prière, le prêtre conseilla au couple de signaler les phénomènes à la gendarmerie puis il s’éloigna en boitant pour ne jamais revenir.
Le 24 novembre, à 13h30, M. Aucher se rendit à la gendarmerie, expliquant que sa petite-fille ne parvenait plus à rester assise sur une chaise et qu’à chaque fois qu’elle essayait elle tombait, comme poussée par une force invisible. Deux gendarmes le suivirent alors jusqu’à chez lui, M. Billon, qui avait déjà assisté à un certain phénomène, et M. Maurice Folope, qui ne croyait pas un mot de l’histoire.
» Nous nous sommes rendus à son domicile. Le gendarme Folope a parfaitement constaté que la jeune Aucher s’étant assise sur une chaise, les 4 pieds de cette dernière et les deux siens se sont soulevés ensemble du sol, en la projetant hors de son siège, comme si des mains invisibles avaient saisi la chaise. Ce phénomène s’est répété 4 fois. «
Persuadé que quelqu’un leur avait jeté un sort, M. Aucher déclara vouloir porter plainte, mais sa demande ne fut pas entendue. Les gendarmes conseillèrent à Geneviève d’aller passer la nuit chez ses parents, et ils firent la même chose avec ses grands-parents, leur proposant de se réfugier chez des voisins. Alors, plus rien ne se produisit durant les 36 heures qui suivirent, jusqu’à ce qu’ils retournent dans la maison.
Le 26 au matin,M. et Mme Aucher regagnèrent leur domicile sans rien constater d’anormal mais deux heures plus tard Geneviève les rejoignit et aussitôt le garde-manger, qui était pourtant accroché au mur avec des fils de fer, se renversa, puis un seau se retourna, vidant son contenu sur le sol. Les gendarmes furent alors rappelés, qui retournèrent sur place en compagnie d’un journaliste, lequel rédigea par la suite un article sur la maison hantée de Frontenay. Un incroyable désordre régnait dans la grande pièce du rez-de-chaussée, où le vaisselier et certains meubles, qui semblaient avoir été brisés par une force inexplicable, gisaient toujours sur le sol. Peu après leur arrivée, un couteau qui se trouvait sur une étagère au-dessus de l’escalier traversa la pièce, venant se planter sous la table avec une telle rapidité que les trois hommes le virent à peine passer, puis une chaussure de femme qui était rangée à environ 2 mètres de hauteur s’envola pour venir se poser sur le lit. A ce moment-là, Geneviève, qui était soupçonnée provoquer, volontairement ou involontairement les manifestations, se trouvait dans un coin opposé de la pièce.
Peu de temps après, une salière en faïence se souleva toute seule de son crochet, et tombant sur la cuisinière, elle se brisa, puis un sécateur et des tenailles accrochés au mur sautèrent en l’air, retombant sur le sol sans aucun bruit. D’une étrange manière, malgré la grande vitesse à laquelle ils étaient projetés, aucun des objets ne rebondissait ou ne glissait. Les gendarmes en avaient assez vu et ils s’apprêtaient à sortir de la maison quand soudain, une brosse commença à nettoyer la cheminée de sa propre initiative. Les grands-parents de Geneviève n’en pouvaient plus, et comme rien ne se produisait quand la jeune fille n’était pas là, ils en venaient à souhaiter son départ.
En milieu d’après-midi, les gendarmes retournèrent à la maison en compagnie du capitaine Émile Tizané, un officier de la brigade de Melle qui était passionné par les phénomènes surnaturels et qui parcourait la France, menant des enquêtes sur tous les types de hantise depuis 1929. Il était, de l’avis de tous, un homme prudent et perspicace. Lors de sa visite, le capitaine demanda à M. et Mme Aucher la permission de passer la nuit chez eux, ce à quoi ils consentirent, lui permettant ainsi d’être le témoin de manifestations qu’il jugea incontestables.
A 17 heures, comme un grand désordre régnait dans la pièce principale, M. Tizané proposa à Geneviève et à sa grand-mère de relever un bahut qui avait été renversé mais alors qu’ils se baissaient pour le soulever, le capitaine sentit un vent glacé le traverser et il entendit un objet siffler à ses oreilles qui tomba à quelques mètres de lui. Se redressant rapidement, le gendarme fouilla aussitôt la pièce, et il s’aperçut alors que le moulin à café, qui se trouvait auparavant sur la cuisinière, avait traversé toute la pièce pour atterrir derrière le lit, laissant tomber son petit tiroir sur la table en passant au-dessus. Dix minutes plus tard, M. Tizané se tenait devant la porte d’entrée, tentant d’empêcher un curieux de rentrer, quand un épouvantable fracas retentit derrière lui et tournant machinalement la tête, il eut tout juste le temps de voir une boite rebondir contre le mur près du lit. A ce moment-là, Geneviève se trouvait juste à côté de lui et sa grand-mère était assise près du feu. S’approchant de l’objet, il découvrit qu’une boîte de farine, qu’aucune des deux femmes n’avait pu lancer, avait été projetée avec une grande force depuis le potager où elle se trouvait juste avant.
A 17h30, Marcelle, la mère de Geneviève, venait de rentrer dans la maison pour emprunter une lampe quand soudain un bruit métallique résonna près de la cuisinière. Le capitaine, n’ayant rien vu, se dirigeait vers l’endroit en question quand soudain il s’aperçut que son képi avait disparu de la boule de la rampe de l’escalier sur laquelle il l’avait posé. Le képi avait probablement volé dans les airs pour frapper l’une des casseroles suspendues au-dessus de la cuisinière car son propriétaire le retrouva juste derrière. Quinze minutes plus tard, souhaitant tenter une petite expérience, M. Tizané demanda à rester seul avec Geneviève puis il ferma la porte d’entrée à clef et se tournant vers la jeune fille, il lui dit à haut voix: » Ces bains glacés sont très désagréables, d’autre part il commence à y avoir trop de casse dans cette maison, en conséquence, je vais rester à condition qu’il n’y ait plus de dégâts. » En disant cela, il se pencha vers Geneviève pour lui faire lire quelques mots sur un papier. Soudain, un incroyable bruit retentit dans la pièce des centaines de morceaux de porcelaine tombèrent en pluie sur leurs têtes. L’abat-jour avait été brisé par le couvercle d’une boite métallique. Quand à la boite en question, qui était auparavant posée sur la cuisinière, elle se trouvait sur le lit.
A partir de ce moment-là, les manifestations cessèrent. Durant la soirée Geneviève esquissa deux gestes douteux qui laissaient à penser qu’elle comptait jouer quelque tour au capitaine mais il la démasqua immédiatement et la nuit fut des plus tranquilles. Le lendemain matin, à 7h30, M. Tizané remarqua que ses gants et que sa cravache, qu’il avait déposés la veille sur la deuxième marche de l’escalier, avaient disparu. Il quitta la maison sans les avoir retrouvés mais le lendemain, des gendarmes fouillèrent la demeure et les découvrirent dissimulés sous un traversin. Son expérience aurait pu le faire douter de la bonne foi de Geneviève et pourtant, même si elle avait délibérément tenté de se jouer de lui, il savait que tout comme d’autres témoins avant lui, il avait pu observer des phénomènes que rien ne pouvaient expliquer. Il en conclut:
» Mais eut-il été logique qu’un enquêteur impartial même opérant à titre privé, établisse un constat de mystification conscient alors qu’il avait été le témoin de phénomènes incontestables que je défie quiconque de réaliser dans des conditions identiques. Il me suffisait d’en rendre compte à mon commandant de compagnie et au Parquet, ce que je fis en temps utile. «
Afin de faire cesser les incidents, les gendarmes conseillèrent à M. et Mme Aucher de se séparer de leur petite-fille, au moins pour quelques temps, ce à quoi ils consentirent. Par un curieux hasard, un psychiatre, qui avait entendu parler des étranges phénomènes, vint à visiter la maison hantée de Frontenay et soulignant que dormir dans la même chambre qu’un fantôme était malsain pour la jeune fille, il proposa de la faire travailler chez lui comme cuisinière. Bien évidemment, il masquait ses véritables intentions mais la grand-mère de Geneviève, qui ne se doutait de rien, accepta volontiers cette offre généreuse qui tombait fort à propos. Un mois et demi plus tard, le médecin déclara que la jeune fille ne souffrait d’aucun trouble d’ordre psychique, psychologique ou psychiatrique puis il contacta la gendarmerie, affirmant qu’elle avait avoué être l’auteur de tous les phénomènes. Le 2 décembre 1943, à 14 heures, Geneviève déclara aux gendarmes:
» Tous les faits qui se sont passés chez mes grands parents, à Frontenay Rohan Rohan, aussi bien dans le courant du mois de mai que dans le courant de novembre, ont été faits par moi. Je n’ai pas poursuivi mes plaisanteries parce que je ne voyais plus rien à déplacer. «
Aussitôt la presse se déchaina, se gaussant de ces gendarmes naïfs qui avaient vu des choses prétendument inexplicables. Une rumeur se répandit alors, que Geneviève achetait tous les livres de sciences occultes qu’elle pouvait trouver et que ces histoires avaient du la troubler. Un certain boiteux de mauvaise réputation était supposé lui en avoir vendus, qui avait bien pu de l’avis de tous, jouer à l’esprit et casser des meubles à coups de marteau. Les gendarmes, qui avaient pu assister aux divers phénomènes et qui savaient ce qu’ils avaient vu, ne croyaient pas en une supercherie mais l’affaire avait été classée et leur hiérarchie les ayant sommés de se taire, ils le firent. Pour le capitaine Tizané, ces aveux tardifs ne changèrent en rien son avis. Il les trouva étranges sur certains points, et il pensa qu’ils avaient été » suggérés » à la jeune fille.
En février 1944, Geneviève revint sur ses déclarations, affirmant qu’elle ne s’était livrée à aucune supercherie. Apparemment, le psychiatre l’avait manipulée de telle manière qu’elle avait fini par répondre ce qu’il attendait d’elle. Pour une raison inconnue, peut-être par peur, elle déclara également ne plus vouloir retourner chez ses grands-parents. En 1977, le capitaine Tizané écrivit un livre, Le Mystère des Maisons Hantées, consacrant 77 pages à l’histoire de la maison hantée de Frontenay, ce qui lui permit d’arriver jusqu’à nous.