L’histoire suivante fut racontée à M. Elliott O’Donnell, l’auteur de Dangerous Ghosts, par M. Divorne, un marchand français à la retraite, lequel se porta garant de son authenticité mais demanda à ce que tous les noms soient changés.
De l’avis de tous, la Maison Grise était hantée. Il y avait quelque chose de sinistre dans son apparence. Elle se dressait dans un grand parc près d’une route fréquentée, et si elle était bien grise, comme le laissait supposer son nom, elle n’était pas d’un gris ordinaire. Elle avait la couleur de la mort. Les gens qui vivaient dans son voisinage se plaignaient toujours de connaître une étrange sensation de froid quand ils passaient près d’elle, et les enfants étaient tellement effrayés par son aspect et ses histoires de fantômes qu’ils évitaient même de la regarder. Si, par malchance, l’un d’entre eux jetait négligemment une balle dans ses jardins, alors aucun ne s’aventurait jamais à aller la chercher. La Maison Grise avait souvent changé de propriétaire, personne n’y restait jamais longtemps, et elle se retrouvait une fois de plus en vente. Selon la rumeur, plus d’une mort mystérieuse avait eu lieu entre ses murs maudits, et malgré son prix ridiculement bas, les acheteurs tardaient à se manifester.
La maison, qui était située à quatre-vingt kilomètres de Paris, finit néanmoins par susciter l’intérêt d’un homme, celui M. Divorne. Acheter une demeure aussi spacieuse et son grand parc en pleine propriété pour une somme aussi dérisoire, à peine un tiers du prix de sa maison de Nantes, lui parut merveilleux et inespéré, aussi s’empressa-t-il de conclure l’affaire. Malheureusement, quand sa femme vint la visiter, elle se montra autrement plus réservée. Elle lui fit remarquer que la Maison Grise possédait tant de marches d’escalier et si peu de commodités modernes qu’elle ne serait pas facile à entretenir avec seulement deux serviteurs, un cuisinier et une femme de chambre. Son mari ne semblant guère s’émouvoir de ces problèmes domestiques, elle rajouta que quelque chose dans l’atmosphère de la maison ne lui plaisait guère, qu’elle ne pouvait décrire avec exactitude mais qui la déprimait et lui donnait presque un sentiment d’effroi.
En entendant ces mots M. Divorne se mit à rire et il lui répondit d’une voix enjouée qu’elle s’imaginait toutes ces choses et que la maison avait juste besoin d’être rénovée pour paraître plus gaie. Puis, comme elle restait silencieuse, il lui promit que quelques rouleaux de papiers peints et qu’un bon feu de cheminée suffiraient à la rendre plus chaleureuse et que bientôt elle oublierait ses sombres pensées. Sa femme se tourna alors vers lui, visiblement peu convaincue, et elle s’apprêtait à protester quand il s’écria fougueusement: » J’aime la maison. Il y a beaucoup d’espace et ce sera un régal après avoir été enfermé si longtemps dans notre petite villa de la ville. L’air frais de la campagne va faire du bien à tout le monde. Il n’y aura pas besoin d’acheter de fruits et de légumes, nous pourrons produire tout ce que nous voulons et si nous en avons plus que nécessaire, nous pourrons le vendre. Des poules, aussi! Nous pourrons avoir des œufs frais tous les jours! »
La discussion était close. Au cours des jours suivants, M. Divorne tenta de communiquer son enthousiasme à sa femme et à leurs six enfants, mais ce fut en vain. Tout comme leurs parents, Henri, Louise, Pierre, Marie, Henriette et Maxime ignoraient la terrible réputation de la Maison Grise, le vendeur de l’agence immobilière qui avait servi d’intermédiaire s’étant bien gardé d’y faire allusion, mais pour une obscure raison, ils n’avaient aucune envie d’aller y habiter.
M. Divorne, qui pensait que ses proches changeraient d’avis une fois installés, commença alors à la faire rénover. Les murs furent retapissés, les portes et les fenêtres repeintes, mais personne ne vint l’habiter avant la fin des travaux. Étrangement, le jour du déménagement, Raoul et Muffin, les deux chiens de la famille, montrèrent une grande une grande réticence à pénétrer dans l’enceinte de la propriété et une plus grande encore à rentrer dans la maison. Pourtant, habituellement, quand ils découvraient un endroit où ils n’avaient jamais été, ils couraient inspecter les lieux et ne revenaient pas sans y être obligés. Leur comportement surprit Mme Divorne, qui se demanda, perplexe, s’ils ne sentaient pas ce quelque chose de désagréable qui flottait dans l’atmosphère. Au bout de quelques minutes, ils semblèrent néanmoins se calmer et se laissant emporter par la multitude de détails qu’elle avait à régler, elle oublia l’incident.
Son mari avait eu raison de qualifier la Maison Grise de spacieuse car en effet, elle l’était. Avec ses grandes pièces, son escalier majestueux, ses vastes chambres, ses hauts plafonds et ses profondes cheminées, elle était même immense. Mme Divorne aurait du être enchantée de vivre dans un tel endroit, et elle le savait, mais elle sentait la présence de cette ombre curieuse qui rôdait sur la propriété et une angoisse sourde serrait son cœur, que rien ne pouvait empêcher. Étrangement, son mari ne semblait toujours rien remarquer.
Durant les premières semaines, rien d’inhabituel ou d’alarmant ne fut à signaler, sauf peut-être le comportement des chiens, qui se montraient très agités pendant la journée et se mettaient à pleurer et grogner dès le coucher du soleil. Puis une nuit, vers le milieu du mois de septembre, Louise, une ravissante jeune fille qui travaillait comme sténo-dactylo, se retrouva réveillée par les aboiements des chiens et immédiatement après elle entendit un bruit étrange, comme si quelque chose était tiré ou poussé sur le plancher au-dessus de sa tête. Intriguée, elle se redressa dans son lit et pendant quelques secondes, elle écouta sans bouger. Une sorte de cognement commença alors à résonner, puis il y eut un autre bruit, qu’elle eut du mal à reconnaître mais qui ressemblait à celui d’un objet lourd, peut-être un tonneau, dévalant l’escalier.
Poussée par la curiosité, la jeune fille se leva précipitamment de son lit puis elle alluma la lumière et nullement impressionnée, elle ouvrit la porte de sa chambre. L’escalier se trouvait de l’autre côté du couloir mais la lueur de la lune passait à travers une fenêtre de l’étage supérieur, lui permettant de voir assez nettement. Le bruit de rebondissement finit par atteindre le palier sur lequel elle se tenait puis il le traversa et empruntant le grand escalier, il descendit dans le hall. Quelques secondes plus tard il y eut un grand fracas, de nombreuses assiettes semblaient être tombées ou avoir été jetées d’une certaine hauteur sur le sol de pierre, puis un silence profond s’abattit sur la maison et sans savoir pourquoi, elle se retrouva transie d’effroi.
Louise n’avait rien vu, mais il y avait quelque chose de si étrange et de si effrayant dans ce silence qu’elle retourna immédiatement dans sa chambre, verrouilla sa porte et se glissa dans son lit. Elle garda la lumière allumée jusqu’au lever du soleil. Au petit déjeuner, elle demanda innocemment si quelqu’un avait remarqué quelque chose d’inhabituel et sa sœur Henriette, une fillette qui allait toujours à l’école, lui expliqua qu’elle avait entendu des bruits bizarres pendant la nuit. L’histoire des bruits inquiétants de la jeune Henriette fut accueillie avec scepticisme par toute la famille, à l’exception de Mme Divorne, qui ne fit aucun commentaire mais apparut préoccupée.
Deux jours plus tard, le cuisinier et la femme de chambre se plaignirent des canalisations. Ils expliquèrent qu’en allant se coucher la nuit précédente, ils avaient été presque étouffés par une vile puanteur qui les avait saisis alors qu’ils se trouvaient sur l’escalier qui menait du sous-sol à leurs quartiers, à l’arrière de la maison. Sceptique, M. Divorne leur répondit qu’il ne croyait pas que les canalisations puissent être mises en cause car avant d’acheter la maison il les avait soigneusement testées, et qu’il les avait trouvées en très bon état.
Peu de temps après, Henri, l’aîné des enfants qui était comptable, fut victime d’une expérience qui sembla confirmer le témoignage des domestiques. Un soir, alors que le jeune homme contemplait rêveusement le ciel à travers la fenêtre de sa chambre, il remarqua les aboiements et les grognements des chiens puis une froideur intense l’enveloppa, qui se transforma en une haine presque palpable, et ses narines se retrouvèrent assaillies par une puanteur insupportable. L’odeur était si terrible qu’il s’empressa d’ouvrir la fenêtre pour la chasser, et pendant quelques minutes il resta ainsi, inhalant l’air frais de la nuit par grandes inspirations. Soudain, un bruit retentit derrière lui et se retournant rapidement il vit une grande silhouette noire traverser la pièce et disparaître par la porte. La forme était trop vague et trop sombre pour en distinguer tous les détails, mais il eut l’impression d’avoir vu quelque chose de si désagréablement bizarre que terrifié, il s’enfuit dans la salle de dessin du rez-de-chaussée, où le reste de sa famille était réunie. Après avoir repris son souffle, Henri raconta sa terrible mésaventure et son père le réconforta, affirmant que son imagination était la seule responsable.
Le lendemain, M. Divorne était assis dans la salle à manger, il lisait au coin du feu, quand soudain un courant d’air le fit frissonner. Survolant la pièce du regard, il remarqua que la porte, qu’il était sûr d’avoir fermée, était maintenant grande ouverte. Surpris, il songea qu’il avait du mal la fermer ou que quelqu’un l’avait ouverte sans qu’il l’entende, et il la referma soigneusement avant de reprendre sa lecture. Il était plongé dans son ouvrage depuis quelques minutes à peine quand un vent froid balaya l’air devant lui, et se tournant vers la porte il s’aperçut qu’elle était à nouveau ouverte. Se levant en soupirant, il était sur le point de s’en approcher pour la refermer quand il sentit une abominable odeur. Elle semblait venir de la porte et même s’il n’avait rien vu qui puisse le confirmer, il avait la nette impression que quelque chose était rentré dans la pièce, qui se tenait là devant lui et le regardait. La puanteur ressemblait à celle d’un corps dans les dernières étapes de la putréfaction et incapable de la supporter plus longtemps, il s’enfuit par la fenêtre française, faisant une sortie indigne et précipitée dans le jardin. M. Divorne se sentait tellement effrayé qu’il aurait voulu en parler à ses proches mais craignant de les inquiéter un peu plus encore, il savait qu’ils n’aimaient toujours pas la Maison Grise, il décida de garder l’incident pour lui.
Un beau dimanche d’automne, Marie, qui travaillait comme manucure, et sa petite sœur Henriette se promenaient dans les jardins quand le crépuscule commença à tomber et croyant sentir une présence, elles se retournèrent en vain. Les deux filles continuèrent à avancer, persuadées d’être suivies, et au bout d’un certain temps ce sentiment devint si fort qu’elles se sentirent obligées de regarder à plusieurs reprises derrière elles, sans jamais voir personne. En arrivant à la jonction de plusieurs chemins, elles aperçurent un vieux puits couvert qui n’avait pas été utilisé depuis de nombreuses années et étrangement fascinées, elles firent une pause pour le contempler. Elles se tenaient là, étrangement subjuguées, quand soudain quelque chose passa en courant près d’elles et un énorme bruit résonna dans le puits, comme si quelque chose de lourd était tombé dans l’eau. Terrifiées, les deux sœurs retournèrent chez elles en courant et tout au long du chemin des bruits de pas semblèrent les poursuivre.
Un peu plus tard dans la nuit, Marie se réveilla et elle aperçut un voile funèbre vaporeux descendre lentement depuis le plafond sur le lit où dormait Henriette. D’une abominable manière, il dessinait les contours d’un cercueil. Horrifiée, la jeune fille se redressa brusquement et un cri lui échappa, qui fit disparaître le voile et réveilla sa sœur. Marie, qui souhaitait la préserver, prétendit avoir fait un mauvais rêve mais cette nuit-là aucune des deux filles ne put se rendormir et elles discutèrent jusqu’au matin.
Une semaine après, le cuisinier et la femme de chambre donnèrent leur congé, expliquant que des bruits inquiétants les empêchaient de dormir et qu’ils se retrouvaient sans cesse indisposés par des odeurs abominables. Mme Divorne se mit alors à chercher une nouvelle femme de chambre mais à sa grande surprise elle ne put en trouver aucune qui soit d’accord pour s’installer dans la Maison Grise. Après de difficiles négociations, deux femmes finirent par accepter de venir travailler comme servantes pendant la journée, mais comme elle ne parvenait jamais à les persuader de rester après le coucher du soleil, Mme Divorne dut se résigner à préparer les dîners elle-même.
Un jour, Maxime, le plus jeune des enfants de la famille, se trouvait dans le jardin en compagnie de ses sœurs quand un bruit curieux se fit entendre, qui venait apparemment de derrière un buisson qui poussait près du mur d’enceinte. Aussitôt les deux chiens se mirent à grogner, les poils hérissés, et le garçon s’écria: » Va chercher Raoul! Allez, va les chercher! Va voir qui est là! » Le chien, ainsi exhorté, courut jusqu’au buisson avec une réticence évidente, puis il disparut pendant quelques secondes et en ressortit précipitamment, la queue tombante et visiblement terrifié. Intrigué, Maxime fouilla soigneusement le buisson sans rien trouver d’inhabituel.
Le lendemain, Raoul refusa de toucher à sa nourriture et toute la journée il resta prostré dans sa niche, recroquevillé sur lui-même, dans un état si inquiétant que M. Divorne demanda à un vétérinaire de passer l’examiner. Le vétérinaire ausculta consciencieusement le chien et visiblement perplexe, il admit ne pas comprendre le problème. Pensant que Raoul avait peut-être été victime d’une grande frayeur, il lui donna des médicaments qui n’améliorèrent en rien son état et un ou deux jours plus tard, le pauvre chien n’était plus. Tous les membres de la famille aimaient les animaux, ils étaient fous de Raoul, et son inexplicable disparition les bouleversa. Le jeune Maxime était persuadé que quelque chose dans le buisson, une certaine horreur cachée, était responsable de la mort de son chien. Alors, comme M. et Mme Divorne ne pouvaient rien faire de plus, ils achetèrent un chiot, un fox-terrier à poil dur, pour tenir compagnie à Muffin.
Pendant une semaine, la famille connut un peu de répit puis Henriette commença à se sentir mal et son indisposition causa de grandes angoisses à ses parents. Le médecin local, qui fut appelé, attribua d’abord ses troubles à une indigestion, puis à des problèmes gastriques, puis à une infection, et enfin à une combinaison des trois. D’une étrange manière, tous les remèdes qu’il essayait restaient sans effet. Mme Divorne, qui était sûre que la maladie de sa fille était due à l’atmosphère néfaste de la Maison Grise, demanda à son mari de la vendre ou de la quitter, ce qu’il se refusa de faire.
» La maladie d’Henriette n’a rien à voir avec le maison, lui dit-il. Elle aurait probablement été malade à Nantes, où nous avions l’habitude de vivre. Elle a travaillé trop dur, ils lui donnent trop de leçons à l’école. Elle a besoin de bonnes et longues vacances et de beaucoup d’air frais. Ça lui fera plus de bien que n’importe quel traitement. Nous n’avons pas encore donné sa chance à cette maison. Attendons encore six mois, et si quelque chose de désagréable se produit pendant cette période, une répétition de ces puanteurs par exemple, je suivrai ton conseil et nous partirons. Mais nous retrouverons jamais un tel endroit, qui nous convient si bien par tous ses aspects. Les pièces, l’espace, les jardins, la situations, la maison a tout ce que nous voulons. »
Mme Divorne, qui venait de réaliser qu’elle n’avait aucune chance de le faire changer d’avis, poussa un long soupir. Son mari était le plus têtu des hommes… Cependant, une influence plus puissante que tout argument était sur le point de se manifester, qui allait se charger de le convaincre.
M. Divorne était un homme d’habitudes et de routines. Tous les jours, il se réveillait, se levait, prenait ses repas et faisait une promenade de santé à la même heure. Si le temps était ensoleillé, alors il passait un certain temps dans le jardin, et quand il pleuvait, alors il restait à l’intérieur et il lisait pour améliorer son esprit, du moins le prétendait-il. Ses paroles pouvaient sembler des plus sages mais la découverte de certains de ses livres, soigneusement cachés à l’abri des regards, aurait considérablement amusé ses proches et elle aurait certainement entraîné quelques moqueries.
Un soir de la dernière semaine de novembre, comme il ne se sentait pas très bien, M. Divorne monta se coucher plus tôt que d’habitude. Sa chambre était la seule pièce d’un petit couloir qui menait au premier étage, et elle était un peu isolée. Elle restait toujours plongée dans l’obscurité, même les jours de grand soleil, mais il ne s’en souciait guère. Il aimait son ancienne cheminée et son grand placard enfoncés dans le mur, et la lucarne qui lui offrait une large vue sur les pelouses et l’arrière pays.
Ce jour-là, il faisait particulièrement froid et un feu de charbon avait été allumé dans sa chambre. Le vent hurlait dans la cheminée, rabattant avec une telle fureur la neige et les feuilles de lierre contre la fenêtre qu’il menaçait d’en briser le verre. M. Divorne se déshabilla et se coucha sans tarder, mais il resta longtemps éveillé, écoutant le bruit du vent et regardant les ombres grotesques projetées sur le plafond par les flammes vacillantes du feu. Au bout d’un certain temps, il finit par somnoler puis il s’endormit d’un sommeil sans rêve. Quand il se réveilla, le vent criait sauvagement à ses oreilles et une vile, une nauséabonde odeur emplissait la pièce. Il se redressa péniblement et ouvrant les yeux, il reçut un terrible choc. Debout au pied de son lit, se trouvait une grande silhouette nue enveloppée d’une lumière macabre, d’un bleu grisâtre. Elle tendait agressivement son horrible tête vers l’avant, et son visage était semblable à celui d’un cadavre en état de décomposition avancée. Sa chair livide, écailleuse, semblait tomber de ses os et ses lèvres putrides, décharnées, révélaient de longues dents jaunâtres déchiquetées. Seuls ses yeux pâles et bridés semblaient vivants et ils le regardaient fixement avec une expression de joie malveillante.
En voyant un tel spectacle épouvantable, M. Divorne eut tellement peur qu’il s’évanouit. Quelque temps plus tard, il reprit connaissance mais il était si effrayé qu’il attendit un moment avant d’ouvrir les yeux et quand il osa enfin le faire, la créature avait disparu. Cette nuit-là, l’aurore mit longtemps à venir et jamais il ne sentit aussi soulagé d’entendre le grattement de la femme de chambre sur sa porte, qui venait lui apporter sa première tasse de café de la journée.
M. Divorne ne dit pas un mot de son expérience à ses proches mais en voyant son visage fatigué, ils devinèrent qu’il avait passé une mauvaise nuit. Leur suspicion s’accrut encore quand il leur avoua qu’il en était venu à penser comme eux et qu’il estimait maintenant qu’il était plus sage de quitter la maison. Par un heureux hasard, une certaine ruée sur l’immobilier rendit aisée la vente de la Maison Grise, et ils eurent la chance de trouver un nouvel endroit à habiter presque immédiatement. Le déménagement offrit une nouvelle vie à Henriette, dont la mystérieuse maladie disparut aussitôt.
Curieux de connaitre l’histoire de la Maison Grise, Pierre Divorne, qui venait tout juste d’avoir dix-huit ans et qui occupait un emploi de commis dans le bureau d’un avocat, fit de longues recherches et il apprit que sur la propriété se trouvait autrefois une demeure très ancienne. Des actes innommables étaient censés avoir eu lieu entre ses murs sinistres, qui étaient si horribles que non seulement le bâtiment avait été maudit, mais le sol l’avait été aussi. L’histoire de la propriété n’était qu’une succession de sombres tragédies.
Au 17e siècle, la famille De Morvelle avait acheté la maison et à partir de ce moment-là, elle n’avait plus connu que des ennuis et des catastrophes. Elle avait fini par la vendre aux Lantiere, qui l’avaient habitée pendant un certain temps, puis un mystérieux incendie s’était déclaré une nuit, qui avait brûlé toute la maison, ne laissant que ses murs noircis. Après ce désastre, la famille Fodeuil avait acheté la propriété puis elle avait fait déblayer les ruines du vieux manoir et une nouvelle maison avait été construite. Malheureusement, cette maison avait été rasée peu de temps après par la Révolution Française et tous ses occupants, les vivants comme les morts, avaient été jetés au fond du puits. Quelques années plus tard, la Maison Grise avait été construite par une famille, qui l’avait habitée, puis elle avait été transformée en auberge, laquelle avait acquis une terrible réputation au fil du temps. A la mort de son propriétaire, la Maison Grise était redevenue une résidence privée mais tous ceux qui l’avaient possédée par la suite semblaient avoir été heureux de s’en débarrasser.
Si l’histoire que Pierre Divorne avait réussi à retracer était vraie, alors il n’était guère surprenant que la Maison Grise soit hantée. Les lieux maudits sont réputés exsuder d’influences malfaisantes, lesquelles agiraient comme des aimants pour tous les mauvais esprits.
Source: Dangerous Ghosts d’Elliott O’Donnell.