Jacques Rollet

Le 4 août 1598, dans la vallée de la Loire, Symphorien Damon, archer des gardes du grand prévôt d’Angers, rencontra, sur sa route, un homme couché contre terre, les cheveux longs et le regard mauvais, qui, lorsqu’il l’aperçut, prit la fuite à travers les genêts. Or, en arrivant au village voisin, Damon apprit qu’un jeune garçon d’une quinzaine d’années avait été dévoré par les loups. Presque aussitôt on rapporta les restes du cadavre, horriblement mutilé et couvert de sang, sur une charrette. A la charrette était attaché un homme à l’aspect épouvantable. A moitié nu, il portait de longs cheveux, une barbe hirsute et ses mains étaient rouges de sang. Au bout de ses ongles, longs de deux doigts, recourbés comme des griffes, étaient encore accrochés des lambeaux de chair humaine.

En 1599, dans son Discours de la lycanthropie, Beauvoys de Chauvincourt en faisait cette surprenante description:
 » J’ai ouï dire que quand il fut pris il avait les cheveux pendants jusque sur les épaules, les ongles merveilleusement grands, voire de telle grandeur qu’il serait quasi impossible de le croire, si puant et infect qu’homme du monde ne pouvait approcher de lui; couvert de graisse de deux doigts d’épais par tout le corps, la vue fort égarée, les sourcils renfrognés, et les yeux enfoncés en la tête qui sont indices et pertinentes conjectures, outre ses confessions, qu’ayant si longtemps mené cette misérable vie, il semblait avoir déjà dépouillé toute humanité et était assujetti par son maître Satan à la brutalité « .

Les hommes qui avaient découvert le jeune garçon avait retiré ses restes d’entre les pattes de deux loups, tandis qu’un troisième loup s’enfuyait dans le champ voisin. Ils l’avaient alors poursuivi mais ils avaient perdu sa trace et ils avaient trouvé cet homme. Lorsqu’ils lui avaient demandé ce qu’il faisait là, l’homme avait répondu:  » Pas grand chose! « . Puis, comme ils lui demandaient qui avait mangé l’enfant, il répondit que c’était lui, son frère et son cousin. Il affirmait que tout trois étaient des loups, des hommes qui se transformaient en bête, des loups-garous.
Le malheureux, qui s’appelait Jacques Rollet fut donc arrêté. C’était un vagabond qui mendiait de maison en maison, vivant dans la plus abjecte pauvreté. Ses compagnons de mendicité étaient son frère John et son cousin Julien. Par charité, on lui avait offert un hébergement dans un village voisin, mais il ne s’y était plus présenté depuis huit jours.
Damon reconnut facilement en lui l’être singulier qu’il avait croisé au matin. La chair de l’enfant que l’on avait retrouvé était hachée et découpée comme avec des  » dents ou ongles de bestes  » mais Jacques Rollet ne revint pas sur ses déclarations. Il affirmait qu’il se transformait en loup grâce à un onguent et il déclara même avoir mangé ou blessé quantité d’autres enfants. Pierre de l’Estoile, un chroniqueur qui suivit de près cette affaire, rapportait ses affirmations, indiquant que l’homme avait  » mangé, là autour, tout plein d’enfants et autres personnes, même les bras et les mains à quelques pauvres femmes « 

Les parents de Jacques, qui étaient des gens respectables et pieux, furent en mesure de prouver que son frère John et son cousin Julien avaient trouvé du travail ce jour-là et se trouvaient loin du lieu du crime. Jacques Rollet, quand à lui, fut jeté en prison le soir même, à Caude. Il avait  » le ventre grand, tendu et fort dur « . Le soir de son arrestation il but un seau d’eau mais par la suite, il ne voulut plus jamais boire. On le surnommait le loup-garou de Caude.

Transféré à la prison d’Angers le 7 août, Jacques Rollet expliqua comment il s’y était pris pour dévorer l’enfant. Il l’avait d’abord mordu au bas-ventre. Mais confronté avec le cadavre, il ne le reconnut pas.
En 1598, la peste sévissait à Angers et il y avait une recrudescence des attaques de loups dans les campagnes mais l’affaire du loup-garou fit néanmoins grand bruit. Elle intéressa entre autres Pierre de Lancre, le fameux démologue bordelais qui avait condamné au bûcher des centaines de présumées sorcières et qui avait semé la terreur en 1608 au Pays Basque. Dans son livre Incrédulité et mescréance du sortilège, il décrivit la victime du présumé loup-garou en ces termes:
 » Il avait les cuisses, la nature, tout le gros du corps, et la moitié de la face mangée, et la chair qui était à l’endroit, paraissait évidemment être hachée et découpée avec des dents et des ongles de bête, et ledit Rollet avait la face et le dedans des mains toutes sanglantes « . D’après l’inquisiteur, l’homme se métamorphosait en loup grâce à un onguent que lui avaient donné ses parents:  » Il confessait avoir été au sabbat, et avoir eu des graisses dont il se frottait pour devenir loup « . Toutefois, ses crimes semblaient peser sur sa conscience.
Lorsqu’on lui demanda qui lui avait appris à se transformer ainsi en loup, il répondit qu’il n’en savait rien, sinon qu’il avait été excommunié par sentence d’excommunication. Mieux encore que cette réponse, voici un extrait de son interrogatoire du 8 août:

 » -Quel est votre nom et votre domaine? demande le juge, Pierre Hérault.
– Mon nom est Jacques Rollet, trente-cinq ans et je suis un mendiant.
– Que vous accuse-t-on d’avoir fait?
– D’être un voleur, d’avoir offensé Dieu. Mes parents m’ont donné une pommade, je ne sais pas sa composition.
– En vous frottant de cet onguent, deveniez-vous loup?
– Non, cependant j’étais loup lorsque j’ai dévoré l’enfant Cornier.
– Étiez-vous loup lorsqu’on vous arrêta?
– J’étais loup.
– Étiez-vous habillé en loup?
– J’étais habillé comme à présent. J’avais les mains et le visage ensanglantés car j’avais mangé la chair de cet enfant.
– Les pieds et les mains vous venaient-ils pattes de loups?
– Oui.
– La tête vous venait-elle tête de loup?
– Je ne sais pas comment était ma tête à ce moment-là; j’ai utilisé mes dents, ma tête était comme elle est aujourd’hui. j’ai blessé et mangé de nombreux autres petits enfants. J’ai également été au sabbat. « 

Le 5 octobre 1598, le tribunal d’Angers condamnait Jacques Rollet, le loup-garou d’Anjou, à être pendu et brûlé pour avoir  » tué et mangé le corps dudit défunt Michel Cormier, blessé et offensé autres enfants en qualité de loup « .
Lorsqu’il fut rejugé en appel, les juges du Parlement de Paris ne prirent pas, cette fois, au sérieux ses délirants aveux. En plus de ses prétendues victimes, il reconnaissait avoir aussi dévoré:  » des charrettes ferrées, des moulins à vent, des avocats, procureurs et sergents, disant que cette dernière viande était tellement dure et assaisonnée qu’il n’avait pu la digérer « .
Il avoua également avoir mangé René Bautru et Pierre Ayrault, deux des magistrats qui avaient statué sur son sort à Angers.
Finalement, les magistrats du Parlement de Paris en conclurent  » qu’il y avait plus de folie en ce pauvre misérable idiot, que de malice et de sortilège  » et Jacques Rollet fut condamné à deux années d’internement à l’hôpital de Saint-Germain-des-Prés, dans l’espoir qu’il reviendrait ensuite dans le droit chemin, avec l’aide de Dieu.

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