Elias Baker avait fait fortune en travaillant comme maître des forges dans la ville d’Altoona, en Pennsylvanie. En 1836, il se porta acquéreur, avec son cousin Ronald Diller, d’une fonderie au bord de la faillite. Ensemble, ils réussirent à la redresser. Elias déménagea ensuite dans une maison près de l’usine avec sa femme Hetty et ses deux enfants, et peu après leur arrivée, leur fille Anna vit le jour. En 1844, il racheta les parts de son cousin, devenant ainsi le seul propriétaire de la fonderie. Les affaires étaient tellement bonnes qu’en 1845, il embaucha à un architecte renommé, Robert Cary Long, Jr. de Baltimore, pour dessiner les plans de son futur manoir. Une fois la maison terminée, quatre ans plus tard, Elias s’y installa avec sa femme Hetty et leurs trois enfants. Les murs extérieurs étaient recouverts de plomb et une grande partie des décorations en fer avaient été forgées au four d’Alleghany. À l’intérieur, les pièces étaient ornées de boiseries en noyer noir, de cheminées de marbre italien et d’une suite de meubles en chêne sculptés à la main importés de Belgique. Cette petite fantaisie lui couta quinze mille dollars, une véritable fortune à l’époque.
Quelques années plus tard, Anna s’éprit d’un jeune homme qui travaillait à la forge de son père, et ses sentiments étant partagés, elle se mit en tête de l’épouser. Soutenue par sa mère, elle se fit confectionner la plus ravissante des robes de mariée avant d’annoncer la nouvelle à son père. La légende raconte que sa colère fut telle que ses cris s’entendirent à des kilomètres à la ronde. Hetty fit l’éloge du bien-aimé de sa fille, mais son mari refusa de l’écouter et le mariage ne se fit pas. Désespérée, Anna déclara que si elle ne pouvait épouser celui qu’elle aimait alors elle ne se marierait jamais. Et elle tint sa promesse. Sa robe de mariée fut ensuite été achetée par une demoiselle de la haute société, Elizabeth Bell, la fille de l’éminent homme d’affaires Edward Bell, qui avait fondé et donné son nom à la ville de Bellwood. Elizabeth, qui se moquait souvent du célibat d’Anna, porta la robe le jour de son mariage à William Dysart. Jamais Anna ne pardonna à son père. Elle mourut en 1914, le cœur rempli d’amertume.
Anna fut la dernière personne de sa famille à habiter la maison. Après sa mort, le Manoir Baker resta fermé jusqu’en 1922, puis la Société Historique du Comté de Blair y ouvrit un musée. Des années plus tard, elle hérita de la robe de mariée d’Anna, et elle l’exposa dans son ancienne chambre, avec ses chaussures. La robe se retrouva alors suspendue dans une armoire vitrée, et des phénomènes étranges commencèrent à se produire. Parfois, elle se mettait à se balancer doucement d’avant en arrière, sous les regards stupéfaits des visiteurs et des employés du musée. Certains disaient que le fantôme d’Anna la secouait car elle était furieuse de la voir ainsi exposée, d’autres qu’elle voulait la récupérer pour la porter, et les plus sceptiques parlaient de courants d’air. Les nuits de pleine lune, et celles d’Halloween, la robe s’agitait si violemment qu’elle menaçait de briser sa vitrine. Inquiets, les responsables du musée décidèrent de mener une enquête. Ils placèrent plusieurs caméras à détecteur de mouvement dans la chambre, et ils constatèrent que la robe bougeait toute seule, que ses mouvements étaient « évidents et délibérés, » même si personne n’était présent dans la pièce.
La robe de mariée d’Anna n’est plus exposée au Manoir Baker. Officiellement, pour la protéger de la lumière et des polluants atmosphériques, officieusement, pour éviter qu’elle ne brise sa vitrine.