Naissance d’une Malédiction
Le 4 septembre 1985, le journal The Sun proposa un article intitulé » La Malédiction Brûlante du Garçon qui Pleure. » Il racontait comment un couple, Ron et May Hall, reprochait à la reproduction d’un tableau, Le Garçon qui Pleure, l’incendie qui avait ravagé leur maison de Rotherham, une ville minière du Yorkshire. Le feu avait éclaté dans leur cuisine et s’était rapidement propagé, ravageant le rez-de-chaussée de leur maison de 27 ans. Alors que tout n’était plus que ruines autour d’elle, ils avaient retrouvé la copie encadrée du tableau accrochée au mur, mystérieusement intacte.
Normalement, cette histoire aurait dû faire, au mieux, quelques lignes dans un journal, mais cette fois, l’affaire prit une autre ampleur grâce à l’intervention de Peter, le frère de Ron Hall, qui était pompier à Rotherham. Un collègue de Peter, Alan Wilkinson, officier à la caserne, commentait l’événement en affirmant que des copies intactes du même tableau étaient fréquemment retrouvées dans les vestiges de maisons calcinées.
Depuis 1973, M. Wilkinson se souvenait être personnellement intervenu dans une cinquantaine d’incendies de maisons possédant une reproduction du Garçon qui Pleure et avoir constaté ce phénomène à chaque fois. Pourtant, il ne croyait pas en une cause surnaturelle. Il disait que la plupart des sinistres avaient été causé par négligence mais que certains restaient inexpliqués et qu’il ne pouvait expliquer comment des peintures échappaient aux flammes et résistaient à une telle chaleur. Cependant, sa femme proposait une théorie tout à fait personnelle: » Je dis toujours que ce sont les larmes qui mettent le feu. » Illustrant le sujet, se trouvait une photographie du tableau le Garçon qui Pleure, avec comme légende: Des larmes pour la peur… le portrait que des pompiers affirment être maudit. Jamais les pompiers n’avaient utilisé le mot maudit, c’était une simple déduction du journal. The Sun expliquait également qu’environ 50 000 copies du tableau Le Garçon qui Pleure avaient été vendues dans des succursales de grands magasins britanniques, en particulier chez des travailleurs de la classe ouvrière du nord de l’Angleterre.
Un Vent de Panique
Ce reportage mit les lecteurs du journal en émoi. Le 5 septembre 1985, The Sun publia un nouvel article, expliquant que des » lecteurs horrifiés qui affirmaient être victimes de la malédiction du Garçon qui Pleure » avaient inondé le journal d’appels… ils craignaient tous d’avoir été ensorcelés car ils possédaient une reproduction du tableau chez eux. » Dora Mann, une femme originaire de la ville de Mitcham, rapportait son expérience en ces termes: » Six mois seulement après avoir acheté le tableau, ma maison a été entièrement détruite par un incendie. Toutes mes peintures ont été détruites, sauf celle du garçon qui pleure. » Sandra Kaske, de Kilburn, affirmait qu’elle, sa belle-sœur, son beau-frère et un ami avaient tous été victimes de graves incendies après avoir acheté le tableau. Une famille de Nottingham accusait la copie du Garçon qui Pleure d’être responsable d’un incendie qui les avait laissés à la rue. Brian Parcs, dont la femme et les trois enfants avaient été sérieusement intoxiqués par la fumée, déclarait qu’en revenant de l’hôpital, il avait découvert, suspendue au mur noirci du salon, sa copie du Garçon qui Pleure intacte et qu’il s’était empressé de la détruire.
Au cours des mois qui suivirent, The Sun et d’autres journaux présentèrent plusieurs articles sur des incendies de maison dont les propriétaires possédaient la peinture incriminée. A chaque fois, Le Garçon qui Pleure avait été épargné par les flammes. Les témoignages affluaient, s’éloignant parfois du sujet, mais incriminant toujours la même peinture. Une londonienne affirmait que son tableau se balançait d’un côté à l’autre alors qu’il était accroché au mur et Mme Rose Farrington, de Preston, déclarait dans une lettre: » Depuis que je l’ai achetée en 1959, mes trois fils et mon mari sont tous morts. Je me suis souvent demandée si elle n’avait pas une malédiction. » Un autre lecteur signalait qu’à son plus grand effroi, il avait tenté de détruire deux reproductions par le feu, en vain: elles n’avaient pas brûlé. Il avait alors demandé de l’aide à Paul Collier, un agent de sécurité, qui avait alors tenté de jeter deux de ses copies sur un feu de joie. Il les avait laissées pendant une heure, et elles en étaient ressorties intactes. Son propriétaire parlait du tableau en ces termes: » C’était effrayant, le feu ne le touchait même pas. Je crois vraiment qu’il est ensorcelé. Nous nous sentons doublement menacé avec deux exemplaires à la maison et nous sommes déterminés à nous en débarrasser. «
Les journalistes, qui cherchaient une explication au phénomène, finirent par se tourner vers des spécialistes de l’occulte. Roy Vickery, secrétaire de la Folklore Society, suggéra que le peintre avait peut-être maltraité son modèle puis il précisa: » Tous ces incendies pourraient être la malédiction de l’enfant, sa façon de se venger. » Voulant rassurer les propriétaires du tableau, un porte-parole des pompiers déclara que même s’il n’y avait pas de quoi s’alarmer, ces incidents étaient de plus en plus fréquents.
La peur avait gagné les esprits. Mais si toutes les personnes victimes d’incendies inexplicables possédaient bien un exemplaire du Garçon qui Pleure, toutes ne parlaient pas du même tableau. En effet, cette peinture faisait partie d’une série sur les enfants en larme peinte par un artiste d’origine italienne, Bruno Amadio, et les toiles variaient parfois suivant les témoignages. Face à la panique qui semblait se généraliser, le service des incendies du Yorkshire fit une déclaration visant à démystifier le lien entre les incendies et les reproductions. Selon Mick Riley:
» La raison pour laquelle cette image n’est pas toujours détruite dans un incendie c’est parce qu’elle est imprimée sur un panneau de fibres de forte densité, ce qui est très difficile à enflammer. » Cette déclaration fut sans effet. Quelques temps plus tard, un restaurant italien de Great Yarmouth brûlait, épargnant une seule toile, celle du Garçon qui Pleure, ce qui conforta encore un peu plus la théorie de la peinture maudite. Kelvin MacKenzie, le rédacteur en chef du journal The Sun, fit alors une déclaration à ses lecteurs:
» Assez, c’est assez les gens. Si vous êtes inquiets à cause d’une image du Garçon qui Pleure accrochée dans VOTRE maison, alors envoyez-la nous immédiatement. Nous allons la détruire pour vous. «
Personne, au journal, ne savait le crédit que MacKenzie accordait à toute cette histoire mais la réponse leur fut donnée lorsque l’adjoint du rédacteur en chef accrocha une photo du Garçon qui Pleure à l’un des murs de la rédaction: » MacKenzie, qui s’agitait dans la salle de presse à son allure habituelle, fut stoppé net dans son élan et devint blanc. » Enlevez-moi ça « , dit-il sèchement. Je ne l’aime pas. Il porte malchance. «
Alan Wilkinson, l’officier des pompiers qui avait déclaré ne pas croire en une cause surnaturelle réagit de la même façon lorsque ses collègues lui remirent une copie encadrée du Garçon qui Pleure à l’occasion de sa retraite. Il retourna immédiatement la peinture en disant: » Non merci, vous pouvez le garder. » A l’occasion d’une interview pour un journal local, Wilkinson avoua qu’une femme inquiète lui avait donné son exemplaire du Garçon qui Pleure. Il avait voulu plaisanter et l’avait accroché dans le bureau de la caserne des pompiers. Quelques jours plus tard, ses supérieurs lui avaient demandé de l’enlever et le jour même, un four dans la cuisine à l’étage avait surchauffé et les dîners des pompiers avaient été brûlés. Mick Riley, l’homme qui avait tenté de démystifier la malédiction, affirma qu’il n’accepterait pas le tableau chez lui car sa femme ne voulait pas qu’il rentre dans la maison.
2500 exemplaires du Garçon qui Pleure avaient été envoyés au journal The Sun et Kelvin MacKenzie se trouvait fort embarrassé. Il avait tout d’abord prévu de les brûler sur le toit de leurs bureaux rue de la Bouverie, mais les pompiers s’y étaient fermement opposés. Contrairement à ce que l’on aurait pu croire, s’ils se montraient si hostiles à une telle méthode, ça n’était pas à cause des risques éventuels. Les pompiers, qui étaient déjà débordés par les centaines d’appels et visites de propriétaires anxieux qui croyaient que leurs reproductions étaient maudites, craignaient qu’un tel événement n’attise encore un peu plus le mouvement de panique qui semblait embraser le pays. Finalement, trois camions remplis de copies du tableau quittèrent les locaux de The Sun et un grand bucher fut organisé près de la ville de Reading, en Angleterre. Le journal en fit un reportage, annonçant fièrement: » The Sun cloue la malédiction du Garçon qui Pleure pour de bon. » Cet événement, qui eut lieu pour Halloween, en 1985, sembla exorciser la malédiction du tableau et l’intérêt du public commença à décliner.
Peu à peu, une légende naissait de toute cette affaire. Certaines rumeurs affirmaient que les personnes qui traitaient le mieux leurs copies étaient récompensées par de la chance et que réunir cote à cote les tableaux de la Fille qui Pleure et celui du Garçon qui Pleure portait chance. Cependant, trois ans plus tard, en 1988, de nouveaux incendies furent signalés et dans les années 1990, le phénomène s’étendit à d’autres parties du monde. Un médium déclara alors que l’esprit de l’enfant était pris au piège dans la peinture et qu’il tentait de se libérer en mettant le feu. D’autres prétendaient que la peinture était hantée et qu’elle attirait les poltergeists.
En juillet 2002, la malédiction fit parler d’elle une nouvelle fois. Stan Jones, un habitant de Rotherham, la ville qui avait vu naître la légende, rapportait que ses trois maisons successives avaient été victimes d’incendies, et que chacune avait eu Le Garçon qui Pleure accroché aux murs. Il avait acheté sa copie dix ans auparavant et il tenait, mais il commençait néanmoins à avoir des doutes. Le troisième incendie avait failli couter la vie à Michelle Houghton, sa compagne, qui était alors enceinte. La jeune femme s’était endormie, oubliant leur souper sur la cuisinière. Stan avait appelé les pompiers et ils avaient réussi à sauver la jeune femme, alors inconsciente, de justesse.
Depuis, personne n’a jamais pu expliquer pourquoi tant de copies du tableau Le Garçon qui Pleure étaient sorties intactes d’incendies qui auraient dû les réduire en cendres, et la légende continue encore aujourd’hui. Mais peut-être faudrait-il remonter dans son passé pour comprendre cette étrange histoire.
La Légende de Bruno Amadio
Le tableau Le Garçon qui Pleure (El Niño Lorando) est l’œuvre de Bruno Amadio, un artiste peintre d’origine italienne né à Venise en 1911 et qui était également connu sous les pseudonymes de Franchot Séville, Angelo (Giovanni) Bragolin, et J. Bragolin. Les informations sur la vie de Bruno Amadio sont rares et confuses. Il possédait une formation académique, et il travaillait à Venise comme peintre et restaurateur. Il était fasciste, adepte de Mussolini, et il aidait à sa propagande à l’aide de ses peintures.
Après la Seconde Guerre Mondiale, Amadio se réfugia en Espagne, à Séville, où il passa plusieurs années de sa vie, puis il s’installa à Madrid où sa trace se perd. Des années plus tard, il était de retour en Italie et il mourut à Padoue en 1981.
Bruno Amadio est à l’origine d’une série de 27 portraits connus sous le nom Les Enfants qui Pleurent. En 1979, dans une interview qu’il accorda à un étudiant en art en 1979, l’artiste expliquait que cette idée lui avait été soufflée par un marchand d’art. Ses portraits d’enfants étaient rapidement devenus populaires et chaque année, des milliers de reproductions en étaient vendues dans le monde. La légende raconte qu’à une certaine époque, frustré de courir après une renommée qui le fuyait, Amadio fit un pacte avec le Diable. Il peignit alors une série de tableaux représentant des enfants en larmes, choisissant ses modèles dans des orphelinats ou des hospices.
Il existe deux versions de l’histoire sur la naissance de la malédiction du Garçon qui Pleure :
Dans la première, il est dit qu’après avoir peint le portrait d’un petit garçon, Amadio offrit la toile à l’orphelinat qui l’avait recueilli. Malheureusement, peu après, un terrible incendie ravagea le bâtiment, faisant de nombreuses victimes, dont le jeune modèle. Le feu n’avait rien épargné, si ce n’était son portrait qui trônait, intact, au milieu du mur brûlé. L’esprit de l’enfant se serait réfugié dans le tableau et ainsi aurait commencé la malédiction.
Dans la seconde version, Amadio aurait trouvé un jeune garçon errant aux alentours de Madrid en 1969. Il ne parlait jamais et son regard semblait empli de tristesse. Le peintre décida alors de faire un portrait du garçon, qu’un prêtre catholique identifia comme étant Don Bonillo, un enfant qui s’était enfui de chez lui après avoir vu ses parents mourir dans un incendie. Le prêtre mit Amadio en garde: partout où le jeune garçon s’installait, de mystérieux incendies survenaient. Les villageois l’avaient surnommé El Diablo. Le peintre ne tint pas compte des avertissements du prêtre et il adopta le garçon, dont les portraits se vendaient particulièrement bien.
Mais un jour, son atelier prit feu et l’artiste se retrouva ruiné. Amadio accusa le petit garçon d’avoir mis le feu volontairement et l’enfant s’enfuit, en larmes. Jamais on ne le revit. Peu après, de toute l’Europe arrivèrent des témoignages affirmant que le tableau Le Garçon qui Pleure provoquait des incendies. L’artiste lui-même faisait preuve de malchance car depuis ce désastre, plus personne ne lui commandait de toiles ni même ne regardait ses peintures. En 1979, à la périphérie de Barcelone, une voiture explosa en une énorme boule de feu après avoir percuté un mur. La victime avait été carbonisée et elle était méconnaissable mais l’on découvrit dans sa boite à gants un morceau de son permis de conduire, ce qui permit de l’identifier. Il s’agissait d’un jeune homme de 19 ans, Don Bonillo.
Certains affirment qu’Amadio aurait avoué avoir faire un pacte maléfique avec le Diable sur une chaîne de télévision brésilienne. Apparemment, durant cette émission, l’artiste expliquait avoir passé un accord avec le démon dans le but de vendre ses toiles et il donnait ce conseil aux gens qui possédaient des copies de ses œuvres: » S’il vous plaît, si vous avez un de ces tableaux, jetez-le tout de suite. «