Le film Le Pacte des Loups, réalisé en 2001 par Christophe Gans, s’inspire librement d’une histoire vraie, une histoire tellement célèbre qu’elle en est presque devenue une légende: celle de la Bête du Gévaudan.
Durant trois ans, de 1764 à 1767, une mystérieuse créature sema la terreur dans le Gévaudan, dont les limites étaient sensiblement les mêmes que celles du département de la Lozère, tuant plus de cent personnes, uniquement des femmes et des enfants. Cette créature fut baptisée la Bête du Gévaudan.
Au début du mois de juin 1764, alors qu’elle gardait son troupeau dans un pâturage situé aux environs de Langogne, une vachère se fit soudain attaquer par un animal. La femme se défendit avec son bâton puis elle appela ses chiens qui, terrorisés, ne répondirent pas à son appel. Elle ne dut son salut qu’à l’intervention de son troupeau de bœufs, qui, cornes basses, mirent la créature en fuite. Légèrement blessée, les habits déchirés, la femme regagna alors le village pour y conter sa mésaventure:
» La Bête qui m’a attaquée ressemble à un gros loup mais ce n’en est pas un. Sa tête est plus grosse, plus allongée, elle est rousse et porte une raie noire tout le long du dos. Elle n’a pas cherché à s’en prendre au bétail, c’est moi qu’elle voulait dévorer! » En écoutant sa description, l’on en conclut que la peur avait égaré son esprit et que la vachère avait bien été attaquée par un loup, ce qui était courant à l’époque.
Toutefois, quelques semaines plus tard, la rumeur se répandit dans la vallée de l’Allier que la Bête était de retour et le 30 juin 1764, Jeanne Boulet, une jeune fille âgée de quatorze ans, fut tuée à Saint-Étienne-de-Lugdarès, en Vivarais. Ce fut la première victime officielle de la Bête.
N’ayant pu se confesser avant sa mort, la défunte fut portée en terre sans célébration religieuse. Selon les registres du curé de la paroisse, la jeune fille avait été inscrite comme victime de la Bête Féroce, ce qui sous-entend qu’elle n’était pas la première proie de cette créature, ce qui sera confirmé par les témoignages relevés au cours de l’été.
» L’an 1764 et le 1er Juillet, a été enterrée, Jeane BOULET, sans sacremens, ayant été tuée par la bette féroce, présans Joseph VIGIER et Jean REBOUL. «
Le 8 août 1764, une jeune fille de 14 ans périt sous les griffes de la créature et, au cours du même mois, trois garçons de quinze ans, une femme, un jeune berger et une fillette furent retrouvés morts dans les champs. Leurs corps, horriblement mutilés, étaient à peine reconnaissables.
Toutes les battues organisées se révélèrent infructueuses. Si de nombreux loups étaient tués, le massacre continuait. Au mois de septembre, une fille, une femme et un homme disparurent. Leurs restes et des lambeaux de leurs vêtements furent retrouvés disséminés dans les champs et les bois des environs.
Lorsque le comte de Montcan, gouverneur de la province, fut avisé de la situation, il donna l’ordre au capitaine Duhamel de mener les opérations de chasse contre la Bête. Le 15 septembre, le capitaine Duhamal et ses dragons vinrent donc renforcer les rangs des chasseurs, allant même jusqu’à armer les paysans désireux de lui venir en aide. Les battues de paysans encadrées par les soldats ne donnèrent aucun résultat et, dès octobre 1764, la Bête déplaça graduellement son champ d’action vers l’ouest, s’enfonçant dans les terres du Gévaudan, où elle allait bientôt semer la terreur.
Le 7 octobre, une jeune fille fut retrouvée morte et l’on découvrit sa tête huit jours plus tard. Le lendemain, deux garçons vachers furent attaqués par la créature. Cependant, le second, qui se trouvait dans un champ au moment de l’agression, réussit à se réfugier au milieu de son troupeau qui parvint à repousser la Bête. Peu de temps après, des chasseurs qui sortaient d’un bois avoisinant aperçurent la créature qui rodait encore autour du garçon. Deux des chasseurs tirèrent alors, touchant la Bête qui se releva par deux fois et elle disparut dans la forêt. Les chasseurs poursuivirent la Bête durant toute la nuit, mais elle restait invisible. Comme on l’espérait morte, une battue fut organisée le lendemain afin de retrouver sa dépouille, sans succès. Toutefois, deux paysans affirmèrent avoir vu sortir l’animal durant la nuit. Il semblait boiter. Ainsi, pour la première fois, la Bête avait été blessée.
Deux jours plus tard, non loin de là, un jeune homme échappa de justesse à la mort. Il était ensanglanté, son flanc était ouvert et la peau de son crâne avait été arrachée. Le même jour, une fillette fut mordue à la joue et au bras et l’on découvrit dans un champ le cadavre déchiquetée d’une jeune fille de 21 ans.
De l’avis de tous, la Bête n’était pas un loup. Trop de gens l’avaient vue et ils avaient donné d’elle une description qui ne laissait aucun doute. La créature était un animal démoniaque, une créature dotée d’une rapidité sans pareille, qui pouvait se dresser sur ses deux pattes arrières et aimait à faire de » petites singeries « , auquel cas elle semblait » gaie comme une personne « . On l’avait vue marcher sur l’eau sans se mouiller et un témoin affirmait même l’avoir entendue rire et parler.
Le 2 novembre, le capitaine Duhamel et ses dragons quittèrent Langone pour s’installer à l’auberge de Saint-Chély. Ils ne purent toutefois commencer leur première chasse avant le 11 novembre en raison des importantes chutes de neige.
En constant le manque de résultat des battues organisées jusqu’alors, les États du Languedoc se réunirent le 15 décembre et promirent une prime de 2700 livres à qui tuerait la Bête. Afin que chacun put constater qu’elle avait bien été tuée, la dépouille de la créature devrait être présentée devant le conseil.
Du 20 au 27 novembre huit battues furent organisées, en vain. La Bête, quand à elle, s’était éloignée et elle se trouvait maintenant dans les environs de Sainte-Colombe où elle avait tuée cinq filles, une femme et quatre enfants.
Le 31 décembre 1764, monseigneur Gabriel-Florent de Choiseul-Beaupré, évêque de Mende et comte de Gévaudan, lançait un appel aux prières et à la pénitence. Dans le texte rédigé à ces fins, il qualifiait la Bête de » Fléau envoyé par Dieu pour punir les hommes de leurs pêchés « . Quatre heures de prières et de chants, durant trois dimanche consécutifs devaient être respectés. Mais malheureusement, toutes ces prières furent vaines.
Le dimanche 6 janvier, vers 9 heures du matin, deux femmes habitant le hameau des Escures, près de Saint-Juéry, se rendaient à Fournels pour assister à la messe. Sur le chemin, un inconnu les rejoignit. C’était un homme mal vêtu, velu, aux longs cheveux noirs crasseux. Il marcha un moment à leur côté et les deux femmes étaient fort inquiètes de la présence de cet individu qui ressemblait à un loup-garou. Brusquement, l’inconnu disparut.
Vers midi, les deux femmes, de retour chez elles, apprirent que la Bête étaient justement dans les parages. Vers 10 heures, alors qu’elle se trouvait dans son jardin de Saint-Juéry afin de cueillir des herbes pour aromatiser la soupe, Delphine Gervais, une mère de famille, avait été sauvagement agressée par la Bête. La créature l’avait égorgée et elle l’avait horriblement mutilée avant de prendre la fuite.
Le 10 janvier 1765, le capitaine Duhamel retournait à Saint-Chely. Le 12 janvier, la Bête s’attaquait à sept enfants, cinq garçons et deux filles, âgés de huit à douze ans, originaires du Villaret, de la paroisse de Chanaleille. L’admirable combat que livrèrent Jacques Portefaix et ses jeunes camarades contre la créature resta dans les annales.
Craignant la Bête, les jeunes bergers avaient fixé des lames au bout de leurs bâtons. Alors qu’ils gardaient leur troupeau, surgit alors la créature. Elle tourna un moment autour des enfants qui s’étaient regroupés les uns contre les autres pour se défendre mais, d’un bond, elle réussit à s’emparer de l’un des jeunes garçons. Les autres, piquant la Bête à l’aide de leurs lames, réussirent à lui faire lâcher prise. Elle avait cependant eu le temps de dévorer la joue droite de sa jeune victime.
Elle revint ensuite à la charge, saisit Joseph Panafieu, le plus jeune des garçons, par le bras, et l’emporta avec elle. L’un des enfants suggéra alors de prendre la fuite pendant qu’elle était occupée, mais un autre, Jacques André Portefaix, les incita à secourir leur ami. Tentant de l’atteindre aux yeux, ils parvinrent à lui faire lâcher sa proie et à la tenir à distance. Alertés par les cris, plusieurs hommes surgirent alors et la Bête s’enfuit dans les bois.
Un procès-verbal de cet exploit fut envoyé à l’évêque de Mende qui l’adressa au roi à son tour. Celui-ci décida que chacun des sept petits paysans toucherait trois cents livres sur sa cassette personnelle. Quand au jeune Jacques, il serait élevé au frais de l’état. La France entière eut vent de cette épique combat.
Le roi promettant également une prime de 6000 livres à qui triompherait de la Bête Féroce et de toutes parts surgirent de nouveaux héros aspirant à débarrasser le Gévaudan de son Fléau.
Vers le 2 janvier 1765, la Bête déchiqueta un enfant de quatorze ans, Jean Châteauneuf, de la paroisse de Crèzes. Le lendemain, au crépuscule, alors que son père se lamentait dans sa cuisine, la Bête vint le regarder par la fenêtre, posant ses pieds sur l’avant de l’appui de la croisée. L’idée de la saisir par les pattes lui vint, mais il n’osa pas. Une grande chasse fut alors organisée. Le capitaine Duhamel donna l’ordre à tous les volontaires de se réunir et 20 000 hommes armés répondirent à son appel. Comme le pays était recouvert de neige, il fut aisé de relever les traces de la Bête. Cinq paysans du Malzieu la tirèrent: elle s’effondra en poussant un grand cri mais se releva aussitôt et disparut.
Le lendemain, le corps d’une fillette de quatorze ans dont la Bête avait, d’un coup de crocs, tranché la tête, fut découvert. De ce cadavre l’on fit un appât que l’on disposa en bonne place, entouré d’une ligne d’habiles tireurs bien dissimulés. Mais prudente, la maléfique créature ne daigna pas se montrer.
En Normandie, vivait un homme nommé Denneval qui avait la réputation d’être un excellent louvetier. Il avait, affirmait-il, tué plus de douze cent loups. Fasciné par la Bête, il se rendit à Versailles où il offrit ses services au roi Louis XIV. Il lui jura qu’il tuerait la Bête, et la rapporterait, empaillée, à Versailles.
Le 17 février 1765, les Denneval se présentèrent à l’intendant d’Auvergne, monsieur de Ballainvilliers, à Clermont-Ferrand et au début du mois de mars il prit place en Gévaudan.
Le 14 mars, vers midi, Jeanne Chastang, la femme de Pierre Jouve, se trouvait devant chez elle avec trois de ses enfants quand soudain, alertée par un bruit étrange, elle s’aperçut que sa fille de 9 ans venait d’être saisie par la Bête qui était passée par-dessus de la muraille. La fillette portait, en outre, le plus jeune des enfants, un petit garçon de 14 mois environs. Jeanne Louve se jeta alors sur la Bête et elle parvint à lui faire lâcher prise. Cependant, loin de renoncer, la créature revint malgré tout à la charge, tentant de s’emparer du plus jeune enfant que Jeanne parvint à protéger. La Bête jeta alors son dévolu sur Jean-Pierre, âgé de 6 ans, qu’elle saisit par le bras et emporta. Jeanne Jouve se jeta une nouvelle fois sur la malfaisante créature et s’en suivit un long combat au cours duquel Jeanne fut repoussée au sol, mordue et griffée à plusieurs reprises. Finalement, la Bête, qui tenait toujours le petit garçon dans sa gueule, parvint à s’échapper, mais elle se trouva face aux plus grands des enfants de la maison, qui se préparaient à emmener leur troupeau aux pâturages. Ces derniers parvinrent à libérer leur jeune frère et à faire fuir la Bête. Le petit garçon succomba malgré tout à ses blessures dans les heures qui suivirent. En récompense de son acte héroïque, Jeanne Jouve reçut 300 livres de gratification de la part du roi.
Denneval souhaitait l’exclusivité des chasses et pour cela il lui fallait faire partir Duhamel. Il fit alors intervenir monsieur de l’Averdy et, le 8 avril, Duhamel et ses dragons durent quitter les lieux.
En ce mois d’avril 1765, la renommée de la Bête se répandit dans toute l’Europe. Les journalistes tournaient en dérision le fait que l’on ne puisse abattre un simple animal. Pendant ce temps, l’évêque et ses intendants devaient faire face à un afflux de courrier. De toute la France, des personnes écrivaient pour proposer les méthodes les plus farfelues afin de venir à bout de la créature.
Le 5 avril, la Bête s’attaqua à quatre enfants dans un pâturage près de Donnepeau. Après avoir tué l’un d’entre eux, elle commença à le dévorer sur place, alors que les autres la frappaient de toutes leurs forces à coups de bâtons. La Bête ne semblait guère sentir les coups mais agacée, elle gronda en direction des enfants puis se saisit du corps de sa victime dans son énorme gueule et elle l’emporta dans la forêt.
Le 7 du même mois, Gabrielle Pélissier, agée de 17 ans, reçut sa première communion des mains du curé de Rochemure. Au coucher du soleil, ne voyant pas revenir leur fille qui gardait du bétail dans un pré, les Pélissier partirent à sa recherche avec des voisins. Lorsqu’ils arrivèrent sur les lieux, il ne faisait pas encore nuit. Ils aperçurent la jeune fille couchée dans un bourbier. La Bête lui avait ouvert le ventre et dévoré les viscères mais ses vêtements avaient étrangement et si parfaitement bien remis en place sur son corps mutilé que ses parents la crurent endormie. Son chapeau, toujours enfoncé sur son crâne, avait été complètement rongé. Lorsque les malheureux s’approchèrent de leur fille et posèrent la main sur son cadavre, sa tête roula sur la côté. Elle avait été tranchée puis remise sur son tronc.
Le 16 avril, près de de Chaudeyrac, la Bête attaqua un homme à cheval, se jetant à plusieurs reprises sur lui et sa monture. Le cheval prit peur, se cabra et désarçonna le cavalier. Au lieu de se jeter sur l’animal, comme un loup l’aurait fait, la Bête se rua immédiatement sur l’homme. Celui-ci se défendit vigoureusement mais elle esquivait tous ses coups et revenait sans cesse à la charge. Soudain, sans raison apparente et sans hâte, la Bête décida de se retirer, se retournant toutefois pour lui montrer les crocs.
Le 18 avril, la Bête prit la vie d’un jeune vacher de douze ans. Après l’avoir saigné, elle lui dévora les joues, les yeux, les cuisses et lui disloqua les genoux. Puis elle égorgea une femme de quarante ans et deux fillettes dont elle suça tout le sang et arracha le cœur.
Le 22 avril, se produisit un fait étrange. La Bête attaqua un jeune garçon de quinze ans et une fille un peu plus jeune qui gardaient leurs troupeaux ensemble. Les parents, alertés par les cris, survinrent in extremis, accompagné d’un homme armé d’une hache. Ce dernier se précipita sur la Bête et tenta de la frapper, mais il ne parvint pas l’atteindre tant son agilité était grande. La Bête décida alors de se retirer, et, s’éloignant, elle s’en alla retrouver une autre bête, plus petite et portant un gros ventre, qui lui faira le museau et lui lécha les babines. D’autres personnes, notamment un piqueur de Denneval, avaient déjà affirmé avoir vu la Bête en compagnie d’un autre animal qui, lors de ses meurtres, restait prudemment à l’écart.
Le 30 avril, une grande chasse fut organisée par les Denneval avec le concours de cinquante-six paroisses. Plus de dix mille hommes participèrent à cette gigantesque battue. On abattit de nombreux loups, mais aucune Bête.
Le 1er mai, alors que la Bête s’apprêtait à attaquer un jeune berger, un homme l’aperçut depuis la fenêtre de sa maison, située à 200 mètres de là environ. Il prévint alors ses deux frères. Tous trois s’empressèrent de s’armer puis ils sortirent de la maison. Ce jour là, la Bête reçut deux coups de fusil qui la mirent à terre mais elle s’en releva à chaque fois. Bien que blessée au cou, elle parvint à s’échapper. Le lendemain, Denneval, que l’on avait prévenu, se rendit sur place et suivit ses traces, espérant que la créature avait enfin été blessée à mort. Mais l’annonce d’une femme tuée par la Bête au cours de l’après-midi devait les détromper.
Partout l’on se moquait de Denneval et les témoignages sur son inutilité affluaient. La Bête, quand à elle, continuait à faire des ravages et son audace semblait croire. Exaspéré, le 8 juin le roi donna finalement l’ordre à son porte-arquebuse, Monsieur Antoine de Bauterne, de se rendre immédiatement en Gévaudan et de lui rapporter à Versailles la dépouille du monstre. Le 22 juin 1765, Antoine, son fils, ses domestiques, ses gardes, ses valets et ses limiers arrivèrent à Sauges. Monsieur Antoine et ses hommes se joignirent alors à Denneval lors de différentes parties de chasses mais les deux hommes ne parvenaient pas à s’accorder sur la façon dont ces chasses devaient être menées. La cohabitation semblait donc impossible et les Denneval durent quitter les lieux le 18 juillet sur ordre du Roi.
Le 4 juillet, en plein après-midi, la Bête enleva une vieille femme, Marguerite Oustalier, alors qu’elle filait la quenouille dans un champs. Après lui avoir arraché la peau du visage, il la laissa pour morte.
Pour Monsieur Antoine, la Bête n’était un loup mais comme il ne parvenait pas à débusquer l’animal, il demanda de nouveaux chiens en renfort. Il reçut également l’aide du comte de Tournon, un gentilhomme d’Auvergne.
Le dimanche 11 août, Monsieur Antoine organisa une grande battue qui ne fut pas mémorable. Ce même jour, Marie-Jeanne Valet, une jeune fille d’environ 20 ans qui était la servante du curé de Paulhac, empruntait, en compagnie d’autres villageoises, une passerelle afin de franchir un petit cours d’eau quand soudain elles furent attaquées par la Bête. Les filles reculèrent et la créature se jeta sur Marie-Jeanne. Cette dernière parvint alors à lui planter sa lance dans le poitrail. La Bête se laissa choir dans la rivière et disparut dans les bois. L’histoire parvint jusqu’à Monsieur Antoine qui se mit rapidement à la recherche de la Bête. Il découvrit la lance, tachée de sang, et des traces qui semblaient similaires à celles de la Bête. Se référant à Jeanne d’Arc qui avait repoussé les Anglais, Monsieur Antoine surnomma la jeune fille la pucelle du Gévaudan.
Le 16 août, Jean Chastel et ses deux fils participèrent à une chasse organisée dans le bois de Montchauvet. Suite à un incident sur le terrain, ils furent tous trois arrêtés et emprisonnés à Saugues. La consigne donnée aux juges de la ville par Monsieur Antoine était la suivante: » ne les laissez sortir que quatre jours après notre départ de cette province « . Le fait qu’il y ait eu un ralentissement des attaques de la Bête durant cette période d’emprisonnement tendrait à prouver pour certains qu’il y avait un lien entre la famille Chastel et la Bête.
Vers le 20 septembre, François Antoine fut averti qu’un loup de bonne taille, peut-être la Bête, rôdait près de Saint-Julien-des-Chazes. Même si la Bête ne s’était jamais montrée en ces lieux auparavant, Monsieur Antoine décida de s’y rendre et de faire cerner le bois où avait été aperçue la créature par quarante tireurs. Le 21 septembre il se trouvait là, à l’affût, quand il vit venir un animal de forte taille, la gueule ouverte et les yeux en sang. Monsieur Antoine tira et la créature, qui avait reçu la balle dans l’œil droit, s’effondra. Puis elle se releva et se jeta sur lui. L’un de ses hommes, qui se trouvait à proximité, tira à son tour et abattit l’animal. Selon le procès-verbal qu’il écrivit par la suite, cet animal n’était qu’un gros loup de 130 livres. Ils le transportèrent alors à Saugues où il fut disséqué par le chirurgien de la ville et plusieurs témoins confirmèrent qu’il s’agissait bien là de la Bête qui les avait attaqués.
Presque immédiatement après la rédaction du procès-verbal, Antoine de Beauterne, le fils, chargea l’animal sur son cheval et prit la route vers Paris. À Saint-Flour, il le montra à M. de Montluc avant de se diriger vers Clermont-Ferrand pour la faire naturaliser. Le 27 septembre, Antoine de Beauterne partit de Clermont-Ferrand avec l’animal et il arriva à Versailles le 1er octobre. La bête fut alors exposée dans les jardins du Roi. Pendant ce temps, François Antoine et ses gardes-chasse restèrent en Auvergne et continuèrent à chasser dans les bois proches de l’abbaye royale des Chazes, où une louve et ses petits avaient été signalés. Le dernier de ces louveteaux fut abattu le 19 octobre. Le 3 novembre, François Antoine et ses assistants quittèrent le pays. Malgré les événements et les morts qui suivirent, la Bête du Gévaudan avait été officiellement tuée par le porte-arquebuse du Roi, François Antoine. Et elle allait le rester.
Au cours du mois de novembre, aucune attaque ne fut relevée et les habitants commençaient à penser que le loup que Monsieur Antoine avait tué était bien le monstre qui avait terrorisé le pays pendant si longtemps. Et puis, rapidement, des rumeurs relatant des attaques de la Bête vers Saugues et Lorcières prirent de l’ampleur. La Bête était revenue, et elle semblait affamée. A dater du 1er janvier 1766, elle se montra quasiment tous les jours. Il était aisé de la reconnaitre. Comme jadis, après avoir enlever une femme ou un enfant, elle revenait parfois contempler l’intérieur des cuisines. Ça n’était pas un loup, tout le monde aurait pu le jurer. Ils connaissaient bien les loups, dans la région, on en avait déjà tué cent cinquante-deux.
Deux petites filles de Lèbre jouaient devant la maison de leurs parents lorsque soudain, la Bête survenant, se jeta sur l’une d’elles et la saisit entre ses crocs. L’autre fillette, espérant défendre son amie, sauta sur le dos du monstre, s’y cramponna et se laissa emporter. A ses cris, les villageois accoururent, mais il était déjà trop tard. La tête d’une des petites filles était déjà séparée de son corps alors que l’autre avait le visage en lambeaux. Un paysan, Pierre Blanc, affirma avoir lutté contre la bête durant trois heures consécutives. Quand ils étaient trop essoufflés, ils se reposaient puis ils reprenaient le combat.
L’homme eut le temps de l’observer et il affirma qu’elle se plantait sur les pattes de derrière pour mieux allonger des coups de griffes et qu’elle paraissait » toute boutonnée sous le ventre. «
Le peuple suppliait qu’on lui vint en aide, mais ses appels restaient sans écho. Le Roi, que l’on avait prévenu de la réapparition de la Bête, signifia qu’il ne voulait plus en entendre parler car son porte-arquebuse en était venu à bout.
Au mois de mars 1766, les attaques de la Bête se firent plus fréquentes. De nombreuses mesures furent prises, sans plus de résultat. Tout au long de l’année 1766, jusqu’au mois de novembre, la Bête attaqua et dévora les habitants de la région. Parfois, de petites battues étaient organisées, mais toujours en vain. La Bête semblait toutefois ne plus parcourir autant de terrain qu’auparavant. Elle était devenue moins entreprenante, plus méfiante.
Aucune attaque ne fut recensée entre le 2 novembre 1766 et le 1er mars 1767. Mais avec la terreur qu’inspirait l’animal, les gens se montraient prudents: chacun gardait son bétail à l’étable et ses enfants à la maison.
Si les attaques s’étaient faites rares en ce début d’année 1767, au printemps, elles reprirent de plus belle. Le peuple ne savait plus comment se débarrasser de ce Fléau, hormis par la prière. Les pèlerinages se multipliaient. D’après la légende, au début du mois de juin, lors d’un pèlerinage, Jean Chastel, un homme rude, robuste et pieu âgé de soixante ans, fit bénir trois balles, fondues à partir de médailles en argent de la Vierge Marie qu’il portait dans son chapeau.
Le 18 juin, la Bête avait été signalée aux alentours des villages de Nozeyrolles et de Desges. Elle avait tué Jeanne Bastide, âgée de 19 ans, originaire de Lesbinières. Averti de ce fait, le marquis d’Apcher, l’un des seigneurs du Gévaudan, décida alors de mener une battue dans ce secteur dès le lendemain.
Le 19 juin 1767, après un grand pèlerinage à Notre-Dame-des-Tours, le marquis d’Apcher, accompagnés de quelques volontaires, se rendit sur les lieux. Parmi eux, se trouvait Jean Chastel, originaire de Darmes. Tous les habitants l’estimaient pour son honnêteté scrupuleuse et sa bonne conduite. Ce jour-là, Jean Chastel se trouvait posté sur la Sogne d’Auvert, près de Saugues, quand la Bête vint vers lui.
Puis elle s’arrêta devant lui et ne bougea plus. On aurait dit qu’elle attendait. Lorsqu’il fit feu, la Bête s’effondra. Alertés par le coup de feu, les chiens se jetèrent alors sur elle et ils achevèrent de la tuer. La Bête qui avait fait trembler le Gévaudan durant si longtemps était morte.
L’abbé Pierre Pourcher disait tenir cette description de la tradition orale de sa famille: » Quand la Bête lui arriva, Chastel disait des litanies de la Sainte Vierge, il la reconnut fort bien, mais par un sentiment de piété et de confiance envers la Mère de Dieu, il voulut finir ses prières; après, il ferme son livre, il plie ses lunettes dans sa poche et prend son fusil et à l’instant tue la Bête, qui l’avait attendu. »
Son corps, chargé sur un cheval, fut aussitôt porté au château de Besques. Là, on l’examina et on en conclut qu’il s’agissait bien de la Bête, et qu’elle n’avait rien d’un loup. On promena la dépouille de la Bête dans tout le pays, puis on la mit dans une caisse et Jean Chastel partit pour Versailles afin de la présenter au Roi.
Malheureusement, le voyage s’effectua en plein mois d’août, et la chaleur était terrible. A l’arrivée, la carcasse de la Bête était dans un tel état de putréfaction qu’on se hâta de l’enterrer sans que quiconque n’eût le courage de l’examiner. Jean Chastel, cependant, fut présenté au Roi, qui se moqua de lui. Lorsqu’il revint au pays, le receveur des tailles lui compta, pour toute gratification, soixante-douze livres. Jamais l’on ne saura vraiment ce qu’était la Bête du Gévaudan.