« Mon Dieu, c’était quelque chose, ce cas d’Harrisville. »
Lorraine Warren
Le film Conjuring : Les Dossiers Warren, de James Wan, a connu à sa sortie un succès largement mérité. Inspiré d’une histoire vraie, il a permis à de nombreuses personnes de découvrir Ed et Lorraine Warren, les célèbres enquêteurs du paranormal. Si de nombreux éléments ont été changés, la réalité dépasse pratiquement la fiction.
L’Histoire de la Famille Perron
En 1970, Roger Perron et son épouse Carolyn décidèrent d’acheter une vieille maison à Harrisville, dans le Rhode Island. La propriété, une ancienne plantation, avait été établie par le colon John Smith en 1680, et vendue à Roger Williams lors de la formation de l’État de Rhode Island. Construite en 1736, The Old Arnold Estate, comme elle était surnommée, avait été bâtie sur un terrain de huit cent mètres carrés. Elle était constituée d’une ancienne ferme de dix pièces, et d’une grande grange.
Roger et Carolyn rêvaient d’un tel endroit, une grande maison à la campagne où leurs cinq filles, Andrea, Nancy, Christine, Cindy et Avril, pourraient s’épanouir et grandir en toute liberté, depuis des mois, et rien n’aurait pu entacher leur bonheur. Le jour de leur aménagement, l’ancien propriétaire s’approcha d’eux alors qu’ils déballaient leurs meubles, et il leur dit mystérieusement : « Laissez les lumières allumées la nuit. » Perplexes, ils le regardèrent un moment sans comprendre, et comme il s’éloignait sur le chemin, ils haussèrent les épaules et continuèrent leur tâche.
Ils avaient tout oublié des conseils du vieil homme quand des phénomènes étranges commencèrent à se produire. De nombreux esprits hantaient la maison. Au début, ils semblaient inoffensifs. Ils étaient opaques, plutôt solides en apparence mais ils ne se montraient jamais agressifs. L’un des esprits laissait une odeur de fleur, un autre passait chaque soir embrasser délicatement les filles dans leur lit pour leur souhaiter bonne nuit, un jeune garçon de petite taille poussait de sa main invisible des voitures miniatures, et ils entendaient souvent le bruit d’un balai en provenance de la cuisine. Quand ils entraient dans la pièce, ils s’apercevaient que le balai avait été déplacé d’un endroit à un autre, et qu’un petit tas de saletés récemment balayées attendaient au milieu de la pièce d’être jetées à la poubelle.
Un autre esprit, qu’ils appelaient Manny, rôdait également sur les lieux. Cindy et Avril l’adoraient. Roger et Carolyn pensaient qu’il était l’esprit de Johnny Arnold, un homme qui s’était pendu dans le grenier de la maison au XVIIIe siècle. Manny apparaissait régulièrement près des enfants. Il se tenait debout à côté d’eux, et il les regardait alors qu’ils vaquaient à leurs activités quotidiennes, un sourire tordu sur le visage, visiblement amusé par leurs jeux. Si un contact visuel s’établissait entre eux, alors Manny disparaissait aussi soudainement qu’il était apparu.
En plus des apparitions fantomatiques, tous les membres de la famille étaient témoins de nombreuses manifestations télékinétiques. Les lits lévitaient à quelques centimètres du sol, les combinés téléphoniques planaient dans les airs puis retombaient sur leur base quand quelqu’un entrait dans pièce, des photos se décrochaient inexplicablement des murs, divers objets de la maison semblaient bouger de leur propre volonté, et des chaises étaient brusquement retirées de sous les fesses de leurs invités. Les manifestations leur paraissaient généralement inoffensives, mais certaines les terrifiaient au-delà des mots. Un jour, une orange se mit à suinter du sang. À une autre occasion, un mur se volatilisa dans le néant, avant de réapparaitre quelques minutes plus tard.
Le spectre d’une petite fille habillée d’une robe de velours vert les empêchait souvent de dormir. « Maman ! Maaaamaannn ! » criait-elle pendant des heures. Une autre apparition torturait la jeune Cindy, qui était alors âgée de huit ans, en lui répétant continuellement : « Il y a sept soldats morts enterrés dans le mur ».
Ces esprits étaient pénibles, mais ils n’étaient pas malveillants, contrairement à d’autres, qui tiraient sur les jambes et les cheveux des filles au beau milieu de la nuit, s’amusaient à faire violemment claquer les portes, ou à les fermer et à les bloquer pour que personne ne puisse les ouvrir. Plus abominable encore, un esprit particulièrement maléfique les agressait parfois sexuellement. Interrogée sur la nature des agressions, Andrea Perron répondit, « Disons qu’il y avait un très mauvais esprit masculin dans la maison… avec cinq petites filles », mais elle refusa de donner plus de précisions.
Cependant, cet esprit pervers n’était pas le pire de tous. Une créature plus malveillante encore semblait s’acharner sur la mère des fillettes. Carolyn Perron avait effectué des recherches, et elle pensait que le fantôme qui la harcelait était celui de Bathsheba Sherman, une femme soupçonnée de sorcellerie qui avait vécu dans la maison au début du XIXe siècle, et qui avait mis fin à ses jours en se pendant à un arbre derrière la grange.
Née Bathsheba Thayer dans le Rhode Island en 1812, elle avait épousé Judson Sherman, à Thompson, dans le Connecticut, le 10 mars 1844. Vernon Stiles, le juge de paix local, s’était chargé de les marier. Elle était femme au foyer, son mari travaillait comme fermier sur leurs terres, et ils hébergeaient souvent un pensionnaire, un ouvrier agricole qui les aidait à la ferme. Relativement aisés, ils avaient eu un fils, Herbert L. Sherman, en mars 1849. Bathsheba était alors âgé de trente-sept ans.
D’après la légende, les habitants du village pensaient qu’elle était une sorcière, et leurs doutes s’étaient retrouvés confirmés à la mort de son fils. Lorsque le corps de l’enfant avait été examiné, une blessure avait été découverte à la base de son crâne, qui avait été causée par une grosse aiguille à coudre, et qui avait entraîné sa mort. Des rumeurs avaient alors commencé à courir que Bathsheba avait offert son enfant en sacrifice à Satan, et elle avait été officiellement accusée de l’avoir tué. Faute de preuves, le tribunal en avait conclu à son innocence, mais le jugement n’avait convaincu personne.
Bathsheba aurait eu trois autres enfants, Julia, en 1845, Edward, en 1847, et George, en 1853, mais aucun n’avait survécu au-delà de sept ans, et ils n’étaient pas mentionnés dans les archives du recensement. Elle brutalisait ses serviteurs, les affamait, et les battaient sous n’importe quel prétexte.
À sa mort, le 25 mai 1885, quatre ans après son mari, le coroner aurait écrit dans son rapport qu’il n’avait jamais rien vu de semblable. Le corps émacié de Bathsheba avait l’air pétrifié, comme si elle s’était « littéralement transformée en pierre ».
Toutefois, l’Histoire contredit la légende. D’après les archives, Bathsheba Sherman aurait bien eu un fils en mars 1849, Herbert L. Sherman, mais il serait devenu agriculteur comme son père. Il se serait marié en 1881 avec une jeune femme nommée Anna, il aurait eu des enfants, et il aurait vécu une longue vie.
Le fantôme de Bathsheba était particulièrement hideux. Son visage était semblable à une ruche d’abeille desséchée recouvert de toiles d’araignée, il ne possédait pas véritablement de traits humains, et de la vermine rampait dans les crevasses gravées sur sa peau ridée. Sa tête était ronde et grisâtre, et elle penchait d’un côté comme si son cou avait été brisé. L’odeur du mal flottait dans la pièce où il apparaissait.
Bathsheba avait ses préférences. Si elle tourmentait souvent Carolyn et Cindy, le maître de maison avait ses faveurs. Tous les membres de la famille évitaient soigneusement la cave, qui semblait être l’épicentre des manifestations, mais la chaudière tombait fréquemment en panne, et Roger devait le réparer. À chaque fois qu’il descendait les escaliers, il sentait une présence, glacée et puante, près de lui.
Parfois, pendant les réparations, Bathsheba le touchait, elle lui caressait doucement le cou ou faisait courir ses mains dans son dos. La sorcière semblait l’apprécier, mais elle haïssait sa femme. Elle voulait la voir partir de la maison, et elle ne s’en cachait pas.
En août 1977, le Providence Journal fit paraître un article sur le fantôme de Bathsheba : « Mme Perron a dit qu’elle s’était réveillée un matin avant l’aube et qu’elle avait aperçu une apparition près de son lit. La tête d’une vieille femme pendait sur le côté, sur une vieille robe grise. Puis, une voix a résonné : « Pars. Va-t’en. Je vais te conduire à la mort et à la tristesse. » »
Au début, Bathsheba se montrait simplement cruelle envers Carolyn. Elle la pinçait, la giflait ou jetait des objets sur elle, mais avec le temps, ses attaques se firent plus violentes encore. Elle avait découvert, d’une manière ou d’une autre, que le feu était sa plus grande peur. Elle s’en servait pour la terroriser, en jetant des torches enflammées sur son lit et en exigeant son départ immédiat.
Un jour, Carolyn était allongée sur le canapé quand elle sentit une vive douleur au mollet. Elle examina sa jambe, et elle découvrit une trace de sang, comme celle laissée par la piqure d’une aiguille. « La blessure formait un cercle parfaitement concentrique », rapporta sa fille Andrea. « C’était comme si une grosse aiguille à coudre avait été plantée dans sa peau » Pensant à une abeille, Carolyn inspecta soigneusement la pièce, en vain.
L’Enquête d’Ed et Lorraine Warren
Dans les années 1970, Ed et Lorraine Warren étaient déjà célèbres. Depuis plus de vingt ans, ils enquêtaient sur des phénomènes de hantises et de possessions démoniaques, et ils étaient considérés comme de véritables enquêteurs du paranormal. Ils n’avaient pas prévu de visiter Roger et Carolyn Perron, qu’ils ne connaissaient pas et dont ils ignoraient tout, mais un jour, des enquêteurs du paranormal les entraînèrent dans le Rhode Island, et ils se retrouvèrent devant la vieille ferme. Lorraine sentit alors quelque chose, comme une présence. « Mme Warren est venue dans la maison sans rien savoir », raconta Carolyn. « Elle est entrée dans la cuisine, et elle a dit : « Je sens une présence sombre, son nom est Bathsheba » ».
D’après Lorraine, la sorcière avait offert le plus jeune de ses enfants en sacrifice à Lucifer, et elle avait effectué d’obscurs rituels avant de se pendre, espérant ainsi demeurer éternellement sur les lieux pour les hanter. Avant de mourir, elle avait maudit quiconque vivrait sur la propriété, et l’efficacité de cette malédiction pouvait se vérifier dans le Livre noir de Burrillville, l’ancien livre des dossiers publics de la ville, où une multitude de tragédies avaient été notées.
Deux suicides par pendaison, un suicide par le poison, le viol et l’assassinat d’une fillette de onze ans, deux noyades dans un ruisseau près de la maison, la découverte des corps de quatre hommes mystérieusement morts de froid sur la propriété, ainsi que la pendaison d’une vieille femme de quatre-vingt-treize ans aux chevrons de la grange.
Roger et Carolyn Perron n’étaient pas vraiment croyants, et l’idée préoccupait Lorrain. Elle était persuadée que l’esprit de la sorcière pouvait se déchainer avec autant de violence à cause de leur manque de foi. Un jour, elle regarda dans un coin de la cuisine, et elle aperçut la chose la plus grotesque qu’il lui avait jamais été donnée de voir dans sa vie. Elle lui ordonna de partir « au nom de Dieu », et la créature disparut dans le néant. « Vous n’avez que votre foi comme protection », expliqua-t-elle. « J’ai toujours eu ma foi. La protection de Dieu m’a permis de faire cela. À ce moment-là, les Perron n’avaient pas de religion, et c’était très dangereux. »
Au cours de l’année 1974, Ed et Lorraine Warren firent de nombreux voyages entre leur domicile, à Monroe, dans le Connecticut, et la maison d’Harrisville. Une nuit, alors que Lorraine tentait de communiquer avec les esprits, Carolyn se retrouva possédée par l’esprit de Bathsheba.
Andrea et sa sœur Cindy, qui s’étaient cachées pour les observer discrètement, avaient assisté à toute la scène, et ce qu’elles avaient vu les avait terrifiées au-delà des mots. L’esprit maléfique faisait preuve d’une incroyable puissance. Il se montrait tellement violent qu’elles croyaient que leur mère ne survivrait pas à ses attaques. « J’ai pensé que j’allais m’évanouir », raconta Andrea. « Ma mère a commencé à parler une langue qui n’était pas de ce monde avec une voix qui n’était pas la sienne. Sa chaise a lévité, et elle l’a projetée à travers la pièce. »
À un certain moment de la nuit, la situation devint complètement incontrôlable. Au petit matin, Roger demanda à Ed et Lorraine Warren ainsi qu’à leur équipe, des enquêteurs du paranormal et un prêtre, de quitter immédiatement les lieux. « Le corps entier de ma femme était déformé… Et ça a duré plusieurs heures, jusqu’à ce qu’ils en chassent les démons. Ensuite, je les ai mis dehors. »
Carolyn décrivit les événements comme terribles, et elle rajouta que même si les intentions des Warren étaient louables, pour elle et pour son mari, les choses avaient dégénéré après leur intervention.
Suite à ces événements, Roger et Carolyn découvrirent que toutes les personnes qui avaient occupé les lieux avant eux, à part un prêtre et sa famille, avaient elles-aussi été témoins de phénomènes paranormaux. Ils auraient voulu déménager, mais ils n’en avaient pas les moyens. Alors, comme ils ne pouvaient pas faire autrement, ils durent se résoudre à vivre avec les esprits de la maison, les pacifiques comme les malveillants. Finalement, en 1980, ils réussirent à réunir assez d’argent pour déménager. Ils s’installèrent en Géorgie, et rien ne les suivit.
En 2014, Andrea Perron raconta l’histoire de sa famille dans un livre, House of Darkness House of Light: The True Story. Certains ne la croyaient pas, mais elle s’en moquait. « Toutes les deux, ma mère et moi, préférerions avaler notre langue plutôt que de dire un mensonge. Les gens sont libres de croire ce qu’ils veulent croire. Mais je sais ce que nous avons vécu. »
La maison avait été rachetée par un couple. Des années plus tard, sa nouvelle propriétaire déclara qu’elle et son mari avaient eux-aussi connu des expériences paranormales dans la ferme, mais beaucoup moins intenses que celles de la famille Perron.