L’histoire suivante fut racontée à M. Hereward Carrington par l’une de ses amies, une dame mariée d’un certain âge qu’il connaissait bien. L’incident s’était produit quelques années auparavant, au début du XXe siècle, mais il avait laissé un souvenir si cuisant à la malheureuse qu’elle avait l’impression qu’il lui était arrivé la veille.
» Je séjournais alors chez certains de mes amis en Angleterre. Ils possédaient un vieux manoir plein de coins et de recoins, avec de longues salles exposées aux quatre vents et des corridors partout. Comme la maison était déjà pleine d’invités au moment de mon arrivée, j’avais été installée dans une grande chambre qui se trouvait au bout d’un long couloir au rez-de-chaussée. La pièce en elle-même était plutôt confortable, vaste et chaleureuse, mais elle était baignée d’une atmosphère singulière qui m’inspirait un curieux sentiment de malaise. En fait, toute la maison me semblait terrifiante, sans que je puisse vraiment donner de raison ou expliquer pourquoi.
La nuit est arrivée bien trop tôt à mon goût, et avec elle le moment de se retirer. J’ai pris ma bougie et mon hôtesse m’a gracieusement raccompagnée jusqu’à ma chambre, prenant soin de vérifier que j’avais bien tout ce qu’il me fallait avant de me dire bonne nuit et de monter se coucher. J’étais à moitié dévêtue quand j’ai vu la porte de ma chambre s’ouvrir lentement et silencieusement, comme si une main furtive l’avait doucement poussée. Pétrifiée de peur, je l’ai regardé s’ouvrir jusqu’au moment où j’ai pu constater qu’il n’y avait, en réalité, personne de l’autre côté. Je me suis alors dit qu’un courant d’air était venu du couloir et j’ai poussé un soupir de soulagement. Ainsi rassurée, je l’ai refermée et j’ai continué à me déshabiller sans plus y penser.
Je n’étais pas beaucoup plus avancée quand à mon grand étonnement la porte s’est rouverte tout aussi tranquillement et discrètement qu’elle venait de le faire. Nullement perturbée, je l’ai refermée sans attendre et j’ai fini de me déshabiller. Je venais tout juste d’enfiler ma chemise de nuit et je me préparais à rentrer dans mon lit lorsqu’à mon grand effroi la porte s’est ouverte pour la troisième fois, exactement de la même manière, très lentement. Elle reposait maintenant sur ses gonds, béante, et scrutant l’obscurité je n’ai rien remarqué d’inhabituel mais comme le phénomène s’était déjà répété à trois reprises et que je craignais qu’il ne se reproduise une nouvelle fois, alors je me suis résolue à aller enquêter.
J’ai pris ma chandelle puis je suis sortie dans le couloir et pensant que quelqu’un avait du laisser la porte d’entrée ouverte par inadvertance, j’ai commencé à avancer. Je n’avais pas du faire plus de trois ou quatre pas quand soudain la flamme de ma bougie s’est éteinte, comme si une bourrasque de vent était sortie de nulle part pour venir la souffler, et songeant que les allumettes étaient restées dans ma chambre, je n’ai pu m’empêcher de frissonner. L’idée de me retrouver seule dans le noir ne me plaisait guère, mais je me suis forcée à continuer malgré mes réticences, tenant la chandelle éteinte dans ma main gauche et suivant le mur du couloir de ma main gauche.
J’étais, peut-être, arrivée à mi-chemin quand quelque chose de froid et humide m’a giflé la joue gauche. Aussitôt, j’ai porté ma main à mon visage, et j’ai constaté qu’il était mouillé. Pendant un instant l’idée m’a effleurée d’abandonner mais je me suis faite violence et j’ai continué à avancer jusqu’à ce que j’atteigne la porte d’entrée, que j’ai trouvé fermée et verrouillée. Ayant ainsi exploré toute la longueur du couloir sans rien découvrir, j’ai fait demi-tour pour regagner ma chambre, tenant toujours ma chandelle dans la main gauche et tâtonnant le mur de ma main droite. J’avançais prudemment, ne sachant à quoi m’attendre.
Je devais me trouver à mi-chemin quand soudain j’ai senti la même main moite et froide me gifler, cette fois-ci sur la joue droite, et portant la main à mon visage je l’ai à nouveau trouvé humide. Un sentiment de terreur incontrôlable m’a alors envahie et je me suis enfuie, courant jusqu’à ma chambre aussi vite que mes jambes pouvaient me porter. Une fois à l’intérieur, je me suis empressée de refermer la porte et comme elle n’avait pas de verrou et que je ne me sentais aucunement rassurée, j’ai poussé une chaise contre elle et je l’ai bloquée.
Tâtonnant dans le noir, j’ai ensuite cherché la boite d’allumettes, que j’avais laissée sur la table de nuit et que j’ai rapidement retrouvée, puis j’ai rallumé ma bougie. Folle d’inquiétude, je me suis alors précipitée vers le miroir pour examiner mon visage et imaginez mon horreur quand, regardant dans la glace, j’ai découvert deux longues traînées de sang, une sur chacune de mes joues! J’ai été si cruellement frappée de terreur que je me suis dévisagée pendant quelques instants sans pouvoir parler. Puis brusquement je me suis mise à crier, et la suite des événements n’est pas très claire. Je me souviens vaguement avoir vu des visages anxieux et brumeux penchés au-dessus de moi, puis un faible bourdonnement de voix, et le néant. Il m’a fallu plusieurs semaines pour me remettre du choc que j’ai eu ce soir-là et aujourd’hui encore je ne peux y songer sans sentir sur mes joues le souvenir mouillé de cette main glacée. «
Source: True Ghost Stories par Hereward Carrington.