Un matin de 1721, William Ridley, qui était le propriétaire de l’auberge la Red Cow Inn, à Exeter, en Angleterre, dut s’éloigner de la ville pour collecter l’argent que certains lui devaient mais alors qu’il se trouvait sur le chemin il rencontra John Miles, un vieil ami qui habitait loin de là et qu’il n’avait pas revu depuis de nombreuses années. Ravis de cet heureux hasard, les deux hommes s’arrêtèrent dans une taverne toute proche et ils y restèrent un long moment, évoquant le passé autour de quelques pintes de bières. Puis, comme le temps passait, William expliqua à son compagnon qu’il devait passer récupérer une certaine somme d’argent, mais avant de partir il lui fit promettre de rester à l’attendre, ce à quoi John consentit volontiers. Une fois ses affaires réglées, William retourna à la taverne et les deux hommes burent quelques verres supplémentaires qui les mirent de fort joyeuse humeur puis, comme il avait promis à sa femme de rentrer pour le diner, l’aubergiste insista pour que son ami se joigne à eux, et ce dernier finit par céder.
Une fois à la Red Cow Inn, les deux hommes s’installèrent dans une petite annexe qui se trouvait dans l’arrière-cour de l’auberge, et ils y passèrent toute la soirée, se racontant des histoires qu’ils étaient les seuls à trouver drôles, parlant fort, se tapant dans les mains en riant, buvant de la liqueur à leur santé respective puis répétant les mêmes plaisanteries grivoises qu’ils s’étaient déjà dites et trouvant toujours le moyen de s’en amuser.
La nuit était déjà bien entamée quand lasse de les entendre radoter, Mme Ridley décida de monter se coucher, abandonnant son mari et John Miles dans la petite salle qu’ils occupaient depuis leur arrivée. De sa chambre, les voix enivrées des deux hommes lui parvenaient encore mais elle était tellement fatiguée qu’elle s’endormit sans tarder. Quelques heures plus tard, elle se réveilla soudainement et se tournant machinalement dans le lit elle constata que son mari n’était toujours pas monté se coucher. Intriguée, elle tendit l’oreille vers la cour, guettant un signe de vie, mais le silence était tel qu’il en devenait oppressant. Quelque peu agacée, elle enfila sa robe de chambre et descendit l’escalier qui menait au rez-de-chaussée. Au fond de la cour, une faible lueur éclairait toujours l’annexe, qui semblait étrangement calme.
Quand elle poussa la porte de la petite pièce, Mme Ridley remarqua immédiatement John Miles, affalé sur une chaise et visiblement saoul, mais de son mari, il n’y avait aucune trace. Secouant vigoureusement le malheureux, elle finit par lui faire reprendre conscience mais quand elle lui demanda où se trouvait William, l’homme marmonna quelques mots confus et il se rendormit aussitôt. Déchiffrant ses paroles avec difficulté, elle réussit néanmoins à comprendre que n’ayant pas trouvé de pot de chambre dans la pièce, son mari était sorti dans l’arrière-cour et qu’il n’en était toujours pas revenu. Pensant le trouver étendu quelque part sur le sol, elle fouilla tout d’abord la cour, l’appelant à plusieurs reprises, puis l’auberge, mais malgré tous ses efforts il demeura introuvable. Alors, brusquement paniquée, elle s’empressa de réveiller sa famille, et tout le monde se mit à la recherche de William, arpentant les rues de la ville et criant son nom. Malheureusement, ce fut en vain. Quand à John Miles, que le vacarme finit par réveiller, il regagna son domicile comme il le put.
Cette nuit-là, William Ridley ne retourna pas chez lui et plusieurs jours s’écoulèrent sans que personne ne le voit ou n’entende parler de lui. Alors, une étrange suspicion commença à naitre dans l’esprit de Mme Ridley, qui se souvint que la veille de sa disparition, son mari était allé collecter de l’argent et qu’il transportait sur lui une jolie somme, qui aurait pu intéresser un homme malhonnête. Quand elle avait retrouvé John Miles, il lui avait tenu des propos incohérents mais finalement, peut-être avait-il fait semblant d’être ivre. Il disait ne pas avoir revu William depuis que ce dernier était sorti dans la cour, mais plus elle y songeait moins elle trouvait son histoire plausible. Peu à peu, ses doutes se transformèrent en certitudes et elle décida d’en parler aux autorités, leur expliquant que son mari avait disparu alors qu’il transportait une grosse somme d’argent.
John Miles, qui était le seul témoin et le principal suspect, fut alors interrogé et le récit particulièrement confus de ses souvenirs laissa les enquêteurs perplexes. Des recherches furent alors entreprises mais ni le corps de William Ridley si son argent ne purent être retrouvés et des rumeurs commencèrent à courir que John s’était arrangé pour attirer son vieil ami à l’extérieur, qu’il l’avait assassiné pour lui voler ses vingt guinées et qu’il s’était débarrassé de son corps d’une manière ou d’une autre, faisant semblant d’être ivre par la suite. L’histoire semblait tellement évidente que bientôt tous en furent convaincus. John fut alors arrêté et présenté devant les magistrats pour assassinat. Le malheureux protesta farouchement de son innocence, mais sa version des faits semblait tellement invraisemblable que personne n’y crut et il se retrouva rapidement incarcéré à la prison d’Exeter en attendant de son procès.
Peu de temps après, de folles histoires apparurent, qui disaient que l’âme tourmentée de William Ridley hantait la Red Cow Inn. Des clients affirmaient avoir entendu des bruits étranges, qui ressemblaient à des coups sur les murs, et certains prétendaient même avoir aperçu la silhouette spectrale de l’aubergiste assassiné déambuler dans l’établissement. Une nuit, un vieil homme se reposait dans l’une des chambres de l’auberge quand soudain, peu après minuit, les rideaux de la fenêtre s’écartèrent, laissant apparaitre le fantôme de William Ridley. Il semblait recouvert de sang. Le spectre s’approcha du vieillard terrifié, et s’arrêtant aux pieds de son lit il lui annonça tristement qu’il avait été assassiné par son vieil ami John Miles. Le vieil homme s’empressa de rapporter ces terribles accusations, qui mirent la ville en émoi, et une période d’intense frénésie s’en suivit, qui conduisit John aux assises.
Lors de son procès, une excitation fébrile parcourut les habitants de la ville, qui attendaient le verdict avec une impatience non dissimulée. Convaincus de sa culpabilité, les membres du jury ne mirent que quelques minutes à le déclarer coupable de l’assassinat de William Ridley et John Miles fut condamné à être pendu jusqu’à ce que mort s’en suive. Le jour de son exécution, qui se déroula à Heavitree, une foule hystérique vint se masser devant la potence, riant et se moquant de John, qui jura de son innocence jusqu’à son dernier souffle.
Après la pendaison de John, plus jamais le fantôme de l’aubergiste ne revint se montrer et tout le monde en conclut qu’ayant obtenu vengeance, l’esprit de William Ridley reposait enfin en paix. Sa veuve, qui ne pouvait plus supporter d’être tous les jours confrontée aux douloureux souvenirs liés à l’auberge, finit par se résoudre à la vendre pour en acheter une nouvelle. Lorsqu’ils prirent possession de la Red Cow Inn, les nouveaux propriétaires décidèrent de faire quelques travaux dans le bâtiment. Ils rénovaient les toilettes, qui se trouvaient au bout d’un long couloir sombre, quand ils découvrirent le corps de William Ridley, couché au fond de la fosse d’aisance. Il était encore habillé des mêmes vêtements qu’il portait le jour de sa disparition, et son corps ne présentait aucune blessure. Dans sa poche, se trouvaient toujours les vingt guinées qu’il avait récoltées le jour de sa mort et qui avaient été présentées comme le motif de l’assassinat. Il apparut alors que certaines planches des toilettes avaient été enlevées le jour de sa disparition, et que tombant dans la fosse inhabituellement profonde, le malheureux avait coulé et qu’il s’était noyé.
Comme son fantôme avait été remarqué par différents témoins, tout le monde en conclut que le défunt avait tenté de signaler la présence de son corps dans l’auberge mais personne ne comprit pourquoi il avait accusé son ami, s’il l’avait vraiment fait. Peut-être John avait-il réellement tué William pour une obscure raison ou peut-être le vieil homme avait-il quelque peu embelli son histoire, tout le monde l’ignorait.
En 2002, la Red Cow Inn ferma ses portes pour la dernière fois, sans que personne n’ait jamais revu le fantôme de William Ridley. Puis, en 2006, les bâtiments furent détruits, et avec eux disparut un mystère, qui restera à jamais irrésolu.
Sources: Disappearance at the Red Cow Inn, The Legal Observer, Or, Journal of Jurisprudence, Volume VI.