Au 44, Licking Pike, à Wilder, dans le Kentucky, se dresse le Bobby Mackey’s Music World, un club qui pourrait sembler des plus banals s’il n’était réputé abriter une Porte d’Entrée vers l’Enfer.
D’aussi loin qu’il pouvait s’en souvenir, Robert Randall Mackey, que tout le monde appelait Bobby, avait toujours aimé la musique Country. En 1978, le chanteur était bien connu dans le nord du Kentucky, il avait enregistré plusieurs albums, et il pensait s’installer à Nashville, dans le Tennessee, pour y devenir une star. Jamais il n’avait jamais songé à acheter de nightclub mais pour une étrange raison, quand il visita la vieille salle de spectacle abandonnée près de la rivière Licking, il sut qu’elle était faite pour lui. Il n’y était jamais venu et pourtant, quand il marchait dans le bâtiment, il semblait le connaitre depuis toujours. Bobby avait l’impression d’être rentré chez lui après une longue absence.
Au cours de l’après-midi, le chanteur y retourna en compagnie de Janet, son épouse, mais en apercevant la vieille bâtisse la jeune femme ressentit un inexplicable malaise. Ignorant ses appréhensions, elle ouvrit la portière de la voiture et elle s’apprêtait à en descendre quand elle crut voir quelque chose se déplacer au sommet des marches qui menaient au rez-de-chaussée. » Bobby, tu as vu ça? lui demanda-t-elle, hésitante. Cette porte métallique s’est ouverte toute seule. » Mais son mari se mit à rire puis lui prenant la main, il la conduisit jusqu’au seuil.
A l’intérieur, les tables et les chaises de bois étaient recouvertes de poussière, tout comme les tabourets renversés près du comptoir, mais Bobby ne s’attarda pas à ces petits détails. Dès qu’il aperçut la scène il s’empressa d’y monter et soudain il se mit à crier: » Hey, Madame, attendez une minute! Hey, Madame, attendez! «
Surprise, Janet lui demanda à qui il parlait et Bobby, confus, lui expliqua qu’il s’était laissé emporté par son imagination. Quand il avait sauté sur l’estrade, il avait cru apercevoir une femme en robe blanche et aux longs cheveux bruns traverser la pièce juste devant le bar et disparaitre dans l’obscurité. Un frisson glacé traversa la jeune femme. L’air était étouffant, il lui rappelait celui d’un tombeau, et elle songea avec effroi que quelque chose allait la tuer si elle ne sortait pas immédiatement. Cherchant la source de son malaise, elle parcourut lentement la pièce des yeux et de l’un des recoins obscurs, des milliers de regards haineux semblèrent lui répondre.
D’une voix étranglée, elle supplia son mari de descendre et il finit par céder, déçu. Une fois dehors, elle se retourna une dernière fois pour regarder le vieux bâtiment de pierre. Par l’entrebâillement de la porte, deux yeux de braise semblaient la fixer. La jeune femme cligna rapidement des paupières et quand elle regarda à nouveau, ils avaient disparu. Janet devinait que quelque chose de mauvais, quelque chose de dangereux se dissimulait entre ces murs mais son mari était tellement enthousiaste que rien n’aurait pu l’arrêter.
Au printemps 1978, Bobby et Janet Mackey devenaient officiellement propriétaires du bâtiment situé au 44, Licking Pike et quelques jours plus tard, Carl Lawson, un jeune homme d’une vingtaine d’années, se présentait à la porte de l’établissement: » S’il y a quelque chose que vous voulez savoir à propos de cet endroit, je suis votre homme. Je sais où tout se trouve. Vous savez, les boites à fusibles, les interrupteurs, et tout le reste. En fait, j’ai travaillé ici pour les deux derniers propriétaires. J’ai vu de tout! J’ai vu un homme se faire tirer dessus ici, et en mourir. Mon Dieu! Cet endroit a une histoire derrière lui que personne ne croirait! «
Carl leur signala également qu’il était disponible s’ils avaient besoin de quelqu’un et immédiatement Bobby lui proposa une place d’homme à tout faire, lui disant que s’il acceptait, il pouvait prendre un balai et de commencer à travailler sur le champ: il y avait des montagnes de déchets et de débris à transporter à l’extérieur et de nombreux murs à repeindre. Pour une raison étrange, Bobby s’était pris d’affection pour Carl dès qu’il l’avait vu. Le jeune homme lui paraissait calme, agréable et surtout, il lui semblait digne de confiance.
Le lendemain matin, pendant que Carl se préparait à repeindre la Salle du Casino, Janet, qui était enceinte et ne pouvait donc pas effectuer de durs travaux, prit un balai et commença à nettoyer la Salle de Spectacle. Au bout d’un moment, fatiguée, elle décida de faire une pause et partit à la recherche de Carl. N’ayant pas trouvé le jeune homme dans la Salle du Casino comme elle le pensait, Janet s’apprêtait à quitter la pièce quand un froid perçant la traversa, la faisant frissonner. Brusquement, son corps se mit à trembler convulsivement et un murmure s’éleva du néant: » Partez! » La voix répéta une nouvelle fois son ordre, et ses mots résonnaient comme un tocsin. Janet aurait voulu crier, mais aucun mot ne sortait de sa bouche; elle aurait voulu courir, mais ses jambes ne semblaient plus la soutenir. L’échelle posée contre le mur se mit alors à vaciller et la jeune femme la fixa du regard, incapable de bouger. Elle ne parvint même pas à lever les bras pour se protéger. Elle ferma simplement les yeux, et attendit la mort. Soudain, deux mains la saisirent par les épaules et la tirèrent brusquement en arrière. Un fracas assourdissant retentit alors dans la pièce, soulevant un épais nuage de poussière grisâtre et Janet se mit à sangloter.
Carl aida la jeune femme tremblante à s’assoir sur une chaise, puis s’asseyant juste en face d’elle, il lui annonça que le temps des explications était venu.
» Il y a quelques années, cet endroit était un casino appelé le Latin Quarter. Tous les gangsters venaient ici pendant la Prohibition. Des rumeurs disent que de nombreux meurtres ont été perpétrés ici à cette époque, et c’est probablement vrai. La mafia gardait beaucoup de choses secrètes, vous savez.
Il y a quelques années, j’étais seul à nettoyer le club. Il pleuvait fort, toutes les portes étaient fermées et je n’attendais pas de visiteurs. Quoi qu’il en soit, j’étais en train de travailler quand tout d’un coup, j’ai regardé vers le haut et il y avait cette femme, debout là. Elle m’a sacrément effrayé et, après avoir repris mon souffle, je lui ai demandé ce qu’elle faisait ici. Elle a eu un petit rire, un peu comme une petite écolière, et elle m’a dit qu’elle attendait que Robert Randall revienne pour elle. «
» Mon Dieu! C’est le nom de Bobby! A quoi ressemblait-elle, Carl? » Janet n’était pas sure d’avoir envie de le savoir, mais en écoutant la description de Carl, elle se souvint de la femme que Bobby avait aperçue et son visage devint livide.
» Comme je le disais avant, elle m’a dit qu’elle attendait que ce mec, Robert, revienne pour elle. Puis elle est devenue bizarre. Elle m’a alors raconté que Robert était son fiancé mais que comme son père ne l’aimait pas, alors il l’avait tué. Elle m’a dit que comme elle ne pouvait pas vivre sans lui, alors elle s’était suicidée ici!
Je pensais qu’elle était une folle échappée d’un asile. Je lui ai dit qu’elle devait sortir, mais elle a juste souri et elle m’a répondu qu’elle ne partirait pas tant que son Robert ne serait pas revenu pour elle. Elle m’a dit que quand il reviendrait, l’enfer s’ouvrirait, et qu’elle aurait besoin de mon aide. Puis elle est restée là, avec un regard innocent sur le visage, qui, je remarquais, était presque aussi blanc que la neige. Elle était vraiment pâle! «
Comme la femme ne semblait pas vouloir partir, Carl s’était dirigé vers le bar et il avait pris le téléphone pour appeler la police mais quand il s’était retourné, elle avait disparu. Par la suite, il l’avait aperçue à plusieurs reprises, mais elle disparaissait toujours quand il tentait de l’approcher. Carl demanda alors à Janet si elle le croyait fou et elle lui répondit que non. Elle n’avait jamais vu de fantôme mais elle savait que quelque chose était là, avec eux. Quelque chose qui n’était pas de ce monde. Soulagé, le jeune homme lui confia alors que lorsqu’un danger approchait, Johanna, car tel était son nom, le prévenait en lui faisant sentir une odeur de roses, ce qui était arrivé juste avant que l’échelle ne tombe sur Janet, l’incitant à revenir au plus vite. Il y avait quelque chose de mauvais dans ce bâtiment et dès qu’il aurait compris de quoi il s’agissait, alors peut-être pourrait-il le combattre. En attendant, la jeune femme devrait se montrer prudente.
Dès que Janet se retrouva seule avec Bobby, elle lui raconta qu’une force invisible l’avait attaquée puis elle tenta de le convaincre de ne pas ouvrir la boite de nuit, mais il ne voulut rien entendre. Il s’en suivit une dispute si virulente qu’elle pouvait être entendue depuis le bar et Carl se félicita de ne pas y être mêlé. Le jeune homme retourna à la Salle du Casino et ramassant l’échelle, il la plaça contre le mur. Mais alors qu’il grimpait au sommet des échelons une pile de tables entassées contre un mur s’écrasèrent sur le sol. Regardant derrière lui, Carl aperçut une orbe irradiante qui flottait vers le bas de la pièce. Soudain, la boule lumineuse se mit à tourner, dégageant un léger bourdonnement, puis elle rebondit sur le sol et disparut dans le mur nord.
A ce moment-là quelque chose survola son visage et le jeune homme sentit son cœur se figer dans sa poitrine. La chauve-souris plongeait et remontait avec aisance, semblant se moquer de celui qui la regardait, impuissant sur son perchoir précaire. Autour de lui, l’hostilité était presque palpable. Après l’avoir nargué pendant quelques secondes, la chauve-souris disparut par la porte du fond et, au même moment, l’échelle se mit à branler violemment. Carl agrippa aux barreaux, les serrant tellement fort que ses jointures en blanchirent, puis, baissant les yeux, il s’aperçut que toute l’échelle était embrassée d’une même pulsation lumineuse qui tournait et vrombissait.
» Laissez-moi tranquille! « , cria-t-il. Instantanément, la lumière disparut et des centaines de chauve-souris s’engouffrèrent dans la pièce. Le bruissement de leurs ailes et leurs cris aigus glacèrent l’esprit de Carl, figé en haut de l’échelle. Les chauves-souris zigzaguaient autour de la salle, rebondissant parfois d’avant en arrière comme si elles rencontraient d’invisibles murs puis elles se mirent à voler vers sa poitrine, leurs dents acérées luisantes de menaces. Elles fonçaient sur son tee-shirt noir, s’y agrippaient, et leurs griffes semblaient des aiguilles. Brusquement, deux chauves-souris commencèrent à grimper vers son cou et Carl sauta en bas de l’échelle, terrifié. Saisissant une créature dans chaque main, il les frappa sur le sol avec la rage du désespoir. Puis, se servant de leurs corps comme de massues, il courut jusqu’à une table et tenta de se glisser dessous. Soudain, un fort battement de cœur, presque assourdissant, résonna dans la pièce et toutes les chauves-souris firent immédiatement demi-tour, comme une armée bien disciplinée.
Carl resta prudemment caché sous la table pendant que son rythme cardiaque ralentissait lentement puis un grondement perça le silence et un vent glacé balaya la salle à une vitesse incroyable, renversant les tabourets les uns après les autres comme des dominos.
Comprenant que la démonstration de force était terminée, le jeune homme sortit de sa cachette et se hissa sur une chaise. Son visage était d’une pâleur effrayante, il saignait du nez et sa chemise était déchirée. Comme plus rien ne semblait se produire, il se força à se lever et reprit sa tâche.
Le lendemain, Janet expliqua à Carl que son mari et elle se disputaient sans arrêt car il pensait que toutes ces histoires de fantômes étaient issues de son imagination. Comme la jeune femme paraissait particulièrement troublée, Carl lui demanda si elle se sentait assez bien pour travailler et Janet acquiesça en soupirant. Elle avait décidé de tout nettoyer avant l’ouverture, et ce jour-là, elle pensait s’occuper de la cuisine. Quand ils poussèrent la porte battante qui menait aux cuisines, elle ne put retenir un cri. Dans la pièce flottait une vieille odeur de moisissure, des toiles d’araignées décoraient tous les coins des plafonds, les armoires étaient recouvertes de taches de graisse et de la vaisselle sale s’alignait sur les étagères suspendues aux murs jaunâtres. Elle allait en avoir pour des heures. Soudain, un rire infernal s’éleva du sous-sol, puis une myriade de murmures, de chuchotements, de cris et de gémissements embrasèrent le bâtiment. Janet, qui tremblait violemment, se mit alors à crier aux esprits de les laisser en paix et un dôme de silence s’abattit sur la pièce. La jeune femme se tourna vers son employé, les yeux remplis de terreur. Elle n’en pouvait plus.
Alors qu’il tentait de la rassurer, un bruit effroyable retentit sous leurs pieds, comme si quelqu’un courait de pièce en pièce, refermant violemment les portes derrière lui, et Carl décida d’aller voir. Avant que Janet ait pu protester, il ramassa un tuyau de plomb qui gisait à ses pieds puis il disparut par la porte battante. Le vacarme avait maintenant cessé mais la jeune femme était pétrifiée de peur à l’idée de rester seule.
Janet s’empressa de se mettre au travail, espérant ainsi garder son esprit occupé jusqu’au retour de Carl. Quand elle fit tourner le vieux robinet rouillé de l’évier, un liquide brun en jaillit, suivi d’une eau claire. Elle attrapa un petit seau de plastique brun et le plaça sous le robinet mais soudain, le récipient commença à se remplir d’une substance noirâtre gluante et une odeur épouvantable submergea la pièce. Brusquement, une force se pressa contre elle, enveloppant ses bras invisibles autour de sa taille et la jeune femme se mit à crier. L’entité resserra un peu plus son étreinte, secouant violemment Janet de gauche à droite, puis elle commença à l’étouffer de ses mains immatérielles et tout devint flou autour d’elle. Soudain, la créature maléfique la souleva du sol puis, la poussant vers l’évier, elle tenta de lui enfoncer la tête dans le récipient rempli de l’étrange liquide. Alors, la lumière de la cuisine se mit alors à clignoter et la voix de Carl résonna dans le bâtiment: « Janet! Attends! J’arrive! «
A ce moment-là, la chose relâcha son emprise et Janet s’écrasa sur sol. Carl avait entendu ses cris en arrivant au sous-sol et il s’était empressé de remonter les escaliers. Quelques secondes plus tard, il poussa la porte, brandissant son tuyau comme une épée, mais visiblement, ils étaient seuls dans la pièce. Janet était assise par terre, le regard vide, et avant que l’un des deux n’ait pu dire un mot, l’immonde rire retentit une fois encore. Les casseroles suspendues aux murs commencèrent alors à trembler puis brusquement, elles fendirent les airs et s’écrasèrent contre la porte. » Sortons d’ici! » cria Janet, et ils se mirent à courir.
Une fois dehors, Carl alluma fébrilement une cigarette, puis, après avoir pris une longue bouffée, il se tourna vers Janet, qui n’était pas loin de sombrer dans la folie: » Quoi que ce soit là-dedans… il est après vous. Je veux que vous restiez loin d’ici pendant un certain temps. Je vous ai dit que je trouverais un moyen de battre cette chose, mais je ne peux pas le faire avec vous ici. «
Janet hocha silencieusement la tête. Elle semblait perdue dans ses propres pensées quand soudain, un coup de klaxon la ramena à la réalité. Elle courut jusqu’à la voiture et s’y engouffra avant même que son mari n’en soit descendu. La jeune femme lui expliqua qu’elle voulait rentrer à la maison car elle se sentait mal, et, en voyant son visage livide, Bobby ne put que confirmer qu’elle semblait avoir besoin de repos. Il lui dit qu’il comprenait, que sa grossesse était probablement difficile, mais Janet lui répondit sèchement qu’il se trompait complètement. Elle lui avait déjà expliqué le problème: le bâtiment était hanté! Comme il ne voulait pas rentrer dans une nouvelle dispute Bobby garda le silence tout en songeant que s’il y avait eu des fantômes ou des esprits dans la boite de nuit, alors il les aurait vus lui-aussi.
Janet s’était tenue loin du bâtiment et trois jours s’étaient écoulés sans incident. Le matin du quatrième jour, équipé d’une grande éponge verte et d’un gros seau d’eau savonneuse, Carl venait tout juste de commencer à frotter le cuir de l’open bar quand brusquement, un parfum de roses se mit à flotter dans l’air et un murmure ténu s’éleva de la salle de spectacle, caressant ses oreilles: » Sortez! » Ces mots sonnaient plus comme un avertissement que comme une menace mais avant que Carl n’ait pu esquisser un geste, une vingtaine de verres posés sur le bar commencèrent à voler et allèrent se briser contre le mur d’en face. Les tabourets se mirent alors à danser, basculant les uns après les autres, et une odeur rance envahit la pièce. Puis le bruit de boules de bowling roulant sur le sol et percutant des quilles de bois résonna dans la salle, suivi d’un rire démoniaque. Hystérique, Carl se mit à crier: » Viens dehors en face de moi! C’est quoi ton problème, tu as peur? «
Deux mains invisibles saisirent alors l’imprudent par l’arrière du cou et le projetèrent dans les airs comme une poupée de chiffon. Son corps percuta le mur près des portes et il s’effondra sur le carrelage noir comme un sac de pierres.
Quand il leva les yeux, Carl vit une silhouette immobile debout au centre de la pièce. L’apparition ressemblait à un spectre mais les traits de son visage étaient encore distincts. Il avait des cheveux bruns, courts, avec une raie sur la côté. Son regard froid était perçant et une corde de pendue était enroulée autour de son cou. Comprenant qu’il était venu pour le tuer, Carl sauta sur ses pieds et courut dans le couloir. Quand il arriva à l’entrée, le sinistre rire se perdit dans les murs, englouti par le bâtiment lui-même. Une fois dehors, le jeune homme leva les yeux, et dans le bureau principal, il aperçut deux yeux rouges fixés sur lui. Puis le visage apparut, celui de l’entité qu’il avait affrontée quelques secondes plus tôt: » Je reviendrai! Fils de pute! Tu ne me chasseras pas! C’est toi qui dois partir! Je vais aller chercher de l’eau bénite! Tu m’entends? «
Carl ferma la porte à clefs et jetant un coup d’œil vers la fenêtre, il vit que l’esprit avait disparu. Il monta dans sa voiture, lança un regard noir au bâtiment et partit mettre sa menace à exécution. Il conduisait sur la route Nine quand la pédale de l’accélérateur se retrouva brusquement collée au plancher. La voiture prit de la vitesse, fit quelques embardées, puis une force invisible sembla tourner ses roues vers un semi-remorque et Carl se mit à crier. Soudain, une odeur de roses remplit l’habitacle, et, sans raison apparente, la voiture se retrouva libérée. Carl manœuvra rapidement pour changer de trajectoire et dès qu’il le put, il s’arrêta sur le côté de la route. Ébranlé, le jeune homme saisit le volant de ses deux mains et se pencha en avant. Johanna lui avait sauvé la vie.
Une fois calmé, il fit le tour de la voiture et s’aperçut que l’un des pneus était crevé. Comme il n’avait rien pour la changer, il se mit à marcher, ruminant sa future vengeance: » Je vais revenir dans ce bâtiment avec de l’eau bénite et tout bénir dans cet endroit! Je me débarrasse de tout ce qui est là-dedans… ce soir! «
Carl avait emprunté quelques livres sur la démonologie à la bibliothèque locale et il était en train de lire sur son lit quand l’émetteur posé sur sa tablette de nuit se mit à crépiter: » Attention, à tous les combattants de la Wilder Volunteer Fire! Il y a un incendie confirmé au 44 Licking Pike! » Le jeune homme, qui était pompier volontaire, sauta sur ses pieds, laissant retomber le livre sur son lit. C’était l’adresse de la boite de nuit.
Quand il arriva sur les lieux, des flammes dansaient et léchaient toute l’aide sud du bâtiment et une épaisse fumée noire sortait du toit, mais trente minutes plus tard, l’incendie était maitrisé. Carl aidait ses camarades à porter un tuyau quand il aperçut Bobby au milieu de la foule. Comme il fumait, le jeune homme s’attendait à être blâmé, mais ce ne fut pas le cas. Bobby lui demanda quelle était l’étendue des dommages, et quand Carl lui apprit que l’aile sud devrait être démolie, il prit la nouvelle avec philosophie. Les deux hommes firent alors une rapide inspection des bâtiments, et Bobby soupira, soulagé. Les dégâts étaient bien moins importants que ce qu’il craignait. Carl lui proposa de monter vérifier l’état du bureau à l’étage, mais Bobby, s’imaginant que sa femme avait entendu parler de l’incendie et qu’elle s’en inquiétait, souhaitait rentrer chez lui pour la rassurer. Il proposa à Carl d’aller voir s’il le voulait, soulignant qu’il n’y trouverait rien de plus qu’un peu de fumée et de suie.
Tentant d’ignorer la peur qui le dévorait, Carl regarda les escaliers sombres qui menaient au bureau et un frisson le parcourut. Il avait envie de faire demi-tour mais quelque chose en lui le poussait à avancer. Une fois en haut, il éclaira la pièce de sa lampe de poche et fut soulagé de constater qu’elle était vide. Convaincu que tout allait bien, il se tournait pour partir quand soudain la porte se referma brutalement. Puis un ricanement obscène remplit la salle, et une voix rauque s’éleva dans les airs, moqueuse: » Où est ton eau bénite? «
S’obligeant à fixer la porte pour éviter de voir le spectre, Carl lui demanda de révéler son nom et la voix éraillée lui répondit: » Le nom est Alonzo. Est-ce que tu crois vraiment que je vais te laisser me chasser? Il y a beaucoup d’entre nous ici, plus que tu ne le penses. Tu ferais mieux de rester en dehors de notre entreprise ou tu vas mourir et tu ne mourras pas en jouant.
– Qu’est-ce que ça veut dire?
– Tu le sauras si tu continues à interférer.
– Je ne peux pas vous aider si vous ne me laissez pas savoir ce que vous voulez. Vous avez mis le feu non?
– Exactement! «
L’esprit se mit à rire puis brusquement, il disparut. Une fois de plus, Carl se retrouvait seul mais il sentait encore les yeux de l’entité posés sur lui. Soudainement pris de panique, le jeune homme ouvrit la porte et dévala les escaliers. En arrivant sur le trottoir, il s’effondra à genoux, haletant. La foule, toujours amassée autour du bâtiment, le regardait, intriguée. Alors, Carl s’obligea à se relever puis il se dirigea vers le camion et entreprit d’aider ses camarades à recharger le matériel comme si rien n’était.
Les jours se changèrent en semaines. Carl travaillait toujours dans la boite de nuit, nettoyant la suie qui recouvrait les murs mais aucun esprit ne s’était manifesté depuis l’incendie, et il se sentait presque rassuré.
Le 23 août, en arrivant au nightclub, Carl fut surpris de constater que la voiture de Bobby était déjà garée devant le bâtiment et que sa femme était avec lui. Comme son mari devait descendre en ville pour affaires, Janet avait décidé de venir travailler au bureau. Dans la grande salle spectacle, des tables avaient été alignées le long des murs, chacune recouverte d’une nappe, et des boites de petits cendriers ronds s’entassaient dans un coin. Le jour de l’ouverture approchait. Pendant que Carl descendait au sous-sol chercher les nouvelles ampoules qu’il devait installer dans la salle, Janet monta au premier étage et ouvrit la porte de la petite pièce lambrissé. Elle venait tout juste de pousser la chaise collée au bureau quand soudain, elle prit conscience d’une présence. Parcourant la pièce des yeux, la jeune femme tenta de se convaincre qu’elle n’avait rien à craindre mais alors qu’elle se tournait vers le bureau, l’atmosphère devint glaciale et ses narines se remplirent d’une puanteur écœurante. Puis brusquement, une force sembla s’abattre contre son dos, entourant sa taille de ses bras invisibles, et Janet se mit à crier.
Carl était en train de porter les ampoules à l’étage quand la porte du sous-sol se referma devant lui. Il posa la boite en carton sur le sol de terre battue et, les yeux rivés sur la porte, il attendit que l’intrus la franchisse. Comme il se tenait là, immobile, il aperçut du coin de l’œil quelque chose se déplacer sur sa gauche. Immédiatement il se tourna et, fixant le couloir bordé de larges poutres de bois, il demanda, sans vraiment vouloir connaitre la réponse: » Qui est là? » Le couloir était fermé par un mur gris et deux portes s’ouvraient sur de petites cabines qui étaient autrefois utilisées comme vestiaire, du temps du Latin Quarter. Soudain, le bruit d’un puissant battement de cœur remplit le sous-sol et bientôt il devint si intense que le jeune homme dut coller la paume de ses mains contre ses oreilles pour tenter d’en assourdir l’écho. Puis brusquement, il songea à Janet, qui était seule au premier, et l’angoisse l’étreignit.
La jeune femme se tordait, se débattait, luttant pour se libérer de l’emprise. Soudain, inexplicablement, l’entité la libéra et la porte du bureau se mit à claquer. Sans hésiter, Janet courut jusqu’aux escaliers et elle commença à descendre mais brusquement, la force la poussa et elle tomba en avant, cognant sur chaque marche. Ayant apparemment réussi à éviter le pire, elle atterrit sur ses genoux et un murmure démoniaque descendit alors jusqu’à elle: » Dégage! «
De son côté, Carl ne parvenait pas à sortir du sous-sol, qui baignait maintenant dans une odeur de roses. Furieux, il jeta frénétiquement son pied droit contre la porte, puis il se mit à crier, les yeux brillants d’une froide colère: » D’accord! Vous voulez une guerre… vous l’avez! » Instantanément l’air se réchauffa, puis un fort vrombissement s’échappa de l’une des pièces du fond et un gros essaim de guêpes jaunes commença à se rassembler au milieu du couloir. Sidéré, le jeune homme regardait sans bouger les guêpes qui faisaient des cercles dans l’air quand brusquement, elles s’élevèrent d’un même mouvement et se jetèrent sur lui. Alors, sans chercher à comprendre, Carl se précipita dans l’un des dressing rooms et, juste au moment où l’essaim l’atteignait, il claqua violemment la porte sur lui.
La porte en bois contre laquelle il appuyait son dos semblait pulser sous les vibrations des insectes dont elle était recouverte. Devant lui, la pièce était tellement sombre qu’il n’en distinguait même pas les contours. Carl sortit son Zippo de la poche droite de son jean et l’alluma. La petite flamme ne dégageait pas beaucoup de lumière mais elle se reflétait dans les miroirs et sur les murs blanchâtres, ce qui lui permettait de voir. Des coiffeuses avaient été disposées tout autour de la salle, qui était remplie de chaises et de tabourets cassés. Comme il continuait à fouiller la pièce des yeux, soudain il lui sembla distinguer quelque chose sur l’un des grands miroirs à sa gauche. L’observant plus attentivement, il s’aperçut que l’image ne se reflétait pas dans le miroir, mais qu’elle se trouvait derrière la glace. Deux lueurs rougeâtres brillaient d’un mal qui ne pouvait provenir que des entrailles des enfers. Puis un visage humain se dessina autour de ces deux braises et en quelques secondes, apparut une sorte de tête à la peau écorchée. Alors qu’il fixait, stupéfait, l’apparition démoniaque, soudain un bras squelettique surgit du miroir, et, pointant un doigt menaçant vers son visage, la créature lui dit: » Pars d’ici ou meurs. «
» Qui êtes-vous? » demanda le jeune homme, la gorge serrée par la peur. » J’ai beaucoup de noms! Certains m’appellent L’Ancien. D’autres L’Étoile du Matin! » répondit la créature en un grognement rauque et menaçant. » Tu t’es introduit sur mon sol sanctifié. Le sol de mes enfants, qui m’ont suivi et m’ont bien servi! Si tu continues à t’en mêler, tu mourras d’un millier de morts. Je t’ordonne de partir! «
Puis, avant que Carl n’ait pu répondre, l’apparition éclata d’un rire horrible et au même moment, son visage commença à émettre une lueur rouge, puis blanche, se transformant rapidement en une masse de tissus suintants, qui tombèrent en morceaux du miroir, frappant la coiffeuse de bois en des claquements humides. Le miroir se mit alors à briller d’une lumière aveuglante, puis l’énergie s’assombrit et disparut.
» Aie! » cria Carl, laissant tomber le briquet brûlant au sol. L’obscurité était redevenue totale et un silence pesant engluait la pièce. Collant l’oreille à la cloison de bois, il écouta attentivement, mais seuls les battements assourdissants de son cœur semblaient retentir. Repoussant sa peur, il ouvrit la porte, se précipita vers l’escalier, puis il se mit à courir. Alors qu’il passait derrière la scène, le juke-box se mit à jouer Anniversary Waltz mais le jeune homme l’ignora. Contournant l’open bar, il aperçut Janet sur le tabouret, qui tenait son ventre à deux mains. Il s’arrêta brusquement, aspira une bouffée d’air et, voyant son visage congestionné, il lui demanda si elle se sentait bien. La jeune femme lui expliqua comment la créature démoniaque l’avait attaquée alors qu’elle se trouvait dans le bureau, et Carl lui proposa prudemment de sortir jusqu’à ce que son mari revienne. Alors qu’il l’aidait à descendre du tabouret, le juke-box se manifesta une nouvelle fois, reprenant le même air.
Une fois dehors, Janet et Carl commencèrent à discuter d’un autre problème, celui de l’ouverture de la boite de nuit. S’ils ne trouvaient pas le moyen de régler cette histoire, des gens pourraient être blessés, ou même peut-être possédés, et Bobby en serait tenu pour responsable. Mais pour le moment, Janet avait mal, son ventre lui faisait… de drôles de choses. Alors que la voiture de Bobby se profilait à l’horizon, Carl conseilla à la jeune femme de ne plus mettre un pied dans l’immeuble jusqu’à ce qu’il soit béni par un prêtre, et elle lui répondit de ne pas s’inquiéter à ce sujet.
Le lendemain matin, Janet réveilla son mari et lui dit qu’elle devait aller à l’hôpital. Le bébé, qui était prévu pour le 30 novembre, allait arriver prématurément en ce 24 août. La veille, la jeune femme avait désespérément essayé de le convaincre qu’une force maléfique l’avait poussée dans les escaliers mais pour lui, toutes ces histoires de fantômes n’étaient qu’une étrange obsession.
Bobby réfléchissait à tout ce qu’elle lui avait dit, assis dans la salle d’attente de l’hôpital, quand il décida de téléphoner Carl. Janet le lui avait proposé, et il comptait bien le faire.
Ce matin-là, Carl était allongé sur son lit quand le téléphone se mit à sonner. Bobby lui demanda s’il savait quoi que ce soit sur un fantôme ou un démon qui se trouverait dans la boite de nuit et, gêné, le jeune homme ne sut que répondre. Bobby insista, lui disant que Janet prétendait avoir été poussée dans les escaliers, et cette fois, Carl ne put que confirmer. En effet, une entité l’avait attaquée à plusieurs reprises.
Bobby ne parvenait pas à croire ce qu’il entendait, il trouvait toutes ces affirmations ridicules. D’un ton irrité il interdit à Carl de parler de fantômes à sa femme et lui conseilla, si elle lui disait voir ou entendre des choses, de tenter de la convaincre que toutes ces manifestations n’existaient que dans son imagination. Bobby pensait que Carl était un bon travailleur et il souhaitait le garder, mais s’il ne le soutenait pas, alors il devrait chercher quelqu’un d’autre.
Bobby pensait qu’il devait mettre à cette lubie avant que les choses n’aillent trop loin et il était même prêt à passer quelques nuits dans le bâtiment pour leur prouver qu’il n’y avait rien. Craignant de perdre sa place, Carl lui répondit qu’il avait sans doute raison et Bobby en fut satisfait. Quelques secondes plus tard, après avoir raccroché, le jeune homme réalisa qu’il avait promis de ne plus en parler avec Janet, mais pas de rester sans rien faire. Carl aspira sur sa cigarette une dernière fois et l’écrasa dans le cendrier de verre. Il devait y aller maintenant ou jamais. Alors il saisit le petit sac de papier brun rangé dans sa tablette de nuit, et il partit pour la boite de nuit. A l’intérieur de ce sac, se trouvait des prières d’exorcisme, qu’il avait recopiées dans des livres traitant de sorcellerie et de démonologie, un crucifix en bois récupéré dans le salon de sa mère et un petit flacon d’eau bénite.
Une fois devant la porte d’entrée, Carl fixa la fenêtre du bureau durant quelques secondes. Même s’il ne voyait personne à l’étage, il sentait quelque chose l’observer de l’autre côté de la vitre. Méfiant, il glissa sa clef dans la serrure et tourna le verrou, tout en regardant à travers les vitres de la porte d’entrée. Le couloir était désert, tout comme la Salle de Spectacle, et pourtant, il était envahi d’un sombre pressentiment. Soudain, plissant les yeux, il entrevit quelque chose qui bougeait vers le mur du fond. Carl serra les poings, prêt à se battre, mais à sa grande surprise, ce fut une belle jeune femme qui apparut près de lui. Elle avait les cheveux blonds, courts, elle était de taille moyenne et elle semblait auréolée de gloire. Vêtue d’une longue robe blanche, un ruban était soigneusement attachée à son cou.
» Mon nom est Pearl, » dit-elle doucement. » J’ai besoin que vous m’aidiez. » Ses mots flottaient dans l’air comme une plume. » Quel genre d’aide? » répondit Carl. Mais avant qu’elle n’ait pu lui répondre, un rire étouffé surgit de derrière le bar et comme il en faisait rapidement le tour, l’esprit d’Alonzo lui infligea de son poing une douleur atroce à la mâchoire, qui le fit vaciller. Alors que le jeune homme chancelait sur ses pieds, une seconde entité lui envoya un coup dans les côtes, et il s’effondra sur le sol. Il fixait encore la femme quand brusquement, sa tête disparut et la peur le submergea. Un coup de pied s’abattit sur son visage, et le jeune homme roula sur le dos, à bout de souffle. Il voyait maintenant ses deux agresseurs. Au-dessus de lui se tenait Alonzo et juste à côté, un autre esprit dont le regard irradiait le mal. Il faisait 1m75, il avait les cheveux blonds, courts, et ses yeux étaient d’un gris froid. Lui aussi, comme Alonzo, portait une corde de pendu autour du cou. L’esprit éclata de rire et son pied frappa le visage de Carl: » Je t’avais prévenu!
– Coupons-lui la tête, comme nous l’avons fait pour cette salope! proposa alors le second revenant.
– Je ne lui ai pas coupé la tête! Tu l’as fait!
– Tu as été pendu pour cela, non? «
Alonzo n’eut pas l’air d’apprécier cette allusion et il commença à crier, assénant dans sa rage quelques coups de pieds supplémentaires au visage et dans les côtes de Carl, qui se tordait de douleur sur le sol. Puis un rire démoniaque fit frissonner l’atmosphère, et ce fut la dernière chose que le jeune homme entendit.
Carl se réveilla sur le plancher du bar sans savoir pendant combien de temps il avait perdu connaissance. Gémissant de douleur, il venait de se redresser quand soudain apparut un nouveau fantôme, debout derrière le bar. L’homme était grand, maigre, il avait le teint clair et il portait une chemise blanche sous un gilet de barman. » Que veux-tu fils? » lui demanda l’homme d’une voix sympathique. Méfiant, Carl lui répondit que s’il voulait essayer de le faire sortir comme l’avaient fait ses amis, il pouvait oublier mais, d’un ton posé, l’esprit lui affirma qu’il était là pour l’aider. Il lui expliqua que dans la Salle de la Chine, était dissimulé un puits qui était un véritable portail vers l’Enfer. Pour se débarrasser du mal qui hantait ces lieux, alors il fallait sceller ce puits afin de piéger les esprits en Hadès, qui était le monde auquel ils appartenaient.
Les paroles du barman furent brutalement interrompues par des coups de feu qui résonnèrent dans la salle du Casino et brusquement, toutes les lumières du bâtiment commencèrent à vaciller. A ce moment-là, Buck disparut et Carl s’en sentit désappointé. D’une certaine manière, il avait envie de lui faire confiance. Il ne ressemblait pas aux autres esprits. Il semblait concerné… et amical.
L’odeur acre de la poudre à canon qui flottait dans l’air lui fit comprendre qu’il devait quitter la pièce avant que ne commence la démonstration de force. Il se retourna et se dirigea vers le bar où il avait posé son sac et, à ce moment-là, de petits grattements retentirent dans la pièce. Suivant les bruits, le jeune homme découvrit qu’ils provenaient d’un grand cactus près des portes battantes. Surpris, il s’accroupit et commença à inspecter le pot mais soudain le cactus se fendit en un craquement sinistre et des centaines de bébés araignées en sortirent, se mettant immédiatement à courir sur ses vêtements et sur sa peau.
Carl sauta sur ses pieds et se mit à hurler, balayant ses vêtements en de grands gestes hystériques. Velues, probablement venimeuses, ces araignées ne semblaient pas ordinaires. En fait, elles ressemblaient à de petites tarentules. Terrifié, il traversa le bâtiment et une fois dehors, il se mit à courir le long de la voix ferrée. Puis, apercevant la rivière, il sauta dans l’eau boueuse et y en enfonça sa tête. Au bout de quelques secondes, il nagea vers la rive et une fois sur la berge, il se déshabilla complétement, vérifiant chacun de ses vêtements. Comme il l’avait espéré, il n’y avait plus aucun signe des tarentules.
Cet incident n’avait en rien entamé sa détermination. Après avoir enfilé ses vêtement mouillés, Carl coupa à travers les bois et pénétra à l’intérieur du nightclub. Au bar, le cactus était intact, comme si les araignées n’avaient jamais existé. Dégouté, il récupéra son sac et se dirigea vers la porte qui menait au sous-sol. Même s’il ne voyait personne, il se sentait surveillé. Carl descendit l’escalier prudemment, mais aucun esprit ne vint l’importuner et quelques minutes plus tard, il se trouvait au seuil de la Salle de la Chine. La pièce était recouvertes d’étagères sur lesquelles s’entassaient des piles d’assiettes, de tasses et de soucoupes sales. A sa gauche, une porte en acier rouillée était entièrement tapissée de toiles d’araignées grisâtres. Apparemment, elle n’avait pas été ouverte depuis des années.
Devant lui, un escalier de bois s’arrêtait peu avant les poutres du plafond. Il n’y avait jamais songé auparavant, mais maintenant il se demandait qui avait pu vouloir construire un escalier qui ne menait nulle part. Comme il se tenait là, il remarqua une pioche posée sur le sol et aussitôt il la ramassa puis, soulevant l’outil au-dessus de sa tête, il en asséna un gros coup sur le plancher, un sourire aux lèvres. Après avoir ouvert un passage assez grand pour pouvoir y ramper, Carl éclaira le trou de sa lampe-stylo, et quand il aperçut le puits, une vague d’excitation le submergea. Non loin du puits, un grand livre semblait l’attendre, qu’il parvint à ramener à lui. Essuyant la poussière des vieilles pages jaunies, il lut à haute voix: » Mon nom est Johanna et je vous prie de m’aider. Je suis prisonnière en enfer. Cherchez la Salle des Projecteurs. «
Comme il se redressait, une atroce puanteur le rendit nauséeux, puis brusquement, quelque chose sembla ramper sous la peau de ses bras et de son visage, les couvrant de taches rouges et Carl comprit que le moment était venu de sortir de là. Traversant le sous-sol, il remonta au rez-de-chaussée et se dirigea vers l’arrière de la scène, où se trouvait une petite trappe qui menait au grenier. Une serrure rouillée pendait à la charnière de la trappe, et, cherchant quelque chose pour casser la serrure, Carl vit un marteau couché sur une boite en carton dans un angle de la pièce et il se demanda si quelqu’un, peut-être Buck, ou Johanna, ne l’avait pas posé là pour lui.
Après avoir déplacé la petite échelle en aluminium posée contre le mur, il en grimpa quelques échelons et frappa la serrure jusqu’à ce qu’elle cède. Un grincement sinistre signala son arrivée quand il poussa le panneau de bois puis, passant la tête à travers les toiles d’araignées, il se glissa par l’ouverture. L’endroit était immense, pratiquement vide, et il y régnait une chaleur accablante. Inspectant chaque centimètre de la pièce, il découvrit un petit passage qui menait à une passerelle surplombant la scène, et suivant ce chemin, il arriva à une petite cabine. Il venait de trouver la Salle des Projecteurs.
Dans le coin gauche, se trouvaient quelques vieilles caisses remplies de documents anciens et du fond de l’une des boites, Carl en retira un vieux journal intime, qu’il se mit aussitôt à lire, fébrile. Certaines des pages du cahier avaient été noyées de larmes, ce qui rendait l’écriture difficilement déchiffrable, mais Carl réussit néanmoins à comprendre que le père de Johanna lui avait demandé de s’éloigner de Robert Randall, l’homme qu’elle aimait, menaçant de le tuer si elle ne lui obéissait pas. La jeune femme, qui était enceinte, avait alors prévu de s’enfuir à Chicago avec son bien-aimé mais le soir venu, après avoir préparé ses bagages, elle l’avait attendu en vain. Inquiète, Johanna s’était alors glissé dans la loge de Robert et là, elle avait retrouvé sa chemise ensanglantée. Comprenant que son père avait fait tuer l’homme qu’elle aimait, Johanna l’avait empoisonné puis elle s’était réfugiée dans la Salle des Projecteurs où elle s’était suicidée. Avant de mourir, elle avait écrit un poème sur le mur, qui était encore visible.
Johanna demandait à quiconque trouverait son journal de sceller le puits du sous-sol afin d’emprisonner les âmes de son père et celles de ses amis en enfer. Ainsi, pourrait-elle retrouver son bien-aimé.
Soudain, un crissement l’arracha à sa lecture et, tournant le faisceau de sa lampe vacillante vers le plafond du grenier, Carl éclaira les chauves-souris accrochées aux poutres. Alors que les créatures commençaient à battre des ailes, la température devint glaciale et tous les papiers entreposés dans les boites se mirent à tourner dans la pièce, comme emportés par une tornade miniature. Le jeune homme recula prudemment sur la passerelle mais brusquement les chauves-souris s’envolèrent et Carl, terrifié, se mit à courir. Il redescendit rapidement par la trappe et un rire hideux retentit dans la Salle du Casino alors qu’il passait à côté. Les créatures le talonnaient et Carl se demandait s’il aurait le temps d’atteindre la sortie quand, apercevant les toilettes près du bar, il s’y engouffra rapidement. Bloquant la porte-battante de toutes ses forces, le jeune homme écouta avec soulagement les corps de ses poursuivantes s’écraser lourdement contre la porte mais bientôt le vacarme cessa et un bruit de grattement vint le remplacer. Ces saletés rongeaient le bois de leurs petites dents!
Brusquement, le bruit d’une chasse d’eau retentit, tout près de lui. » Qui est là? Je sais que tu es là! Sors de là! C’est quoi ton problème? Tu as peur de te montrer? » cria-t-il d’une voix tendue. Une épaisse fumée apparut, qui remplit rapidement la pièce, puis la silhouette d’un homme commença à se dessiner au milieu et Carl glissa sur le sol, dos à la porte. Affolé, il appela Buck de toutes ses forces, mais un rire s’éleva de la fumée et une voix diabolique lui répondit que son nom était Red. Brusquement, des aboiements retentirent de l’extérieur de la salle, et Red se mit à crier: » Reste en dehors de ça, Buck! Sinon, toi et le chien allez le payer! «
En entendant ces mots, Carl signala sa présence: » Buck! Aide-moi! je suis ici! » Aussitôt des flammes émergèrent du plancher et le spectre commença à s’avancer vers lui. Alors la porte s’ouvrit brutalement, poussant Carl vers les flammes, et Buck pénétra dans la salle de bain. A ses côtés, se tenait un grand Chow noir et rouge aux yeux de braise. » Je t’ai battu une fois! Et je vais le faire à nouveau, » déclara Buck. Puis, baissant les yeux, il sourit à Carl, lui glissa quelque chose dans la main et lui conseilla de partir. Le gros chien attrapa alors doucement le poignet du jeune homme entre ses dents, et se mit à tirer, l’incitant à sortir de la salle de bain.
Carl se redressa et, une fois debout, il se mit désespérément à courir. Une fois dehors, il regarda par la vitre de la porte d’entrée et aperçut le gros chien noir à l’entrée du couloir. L’animal l’avait aidé à s’échapper. Alors, le chien se retourna et disparut de sa vue.
Une expression d’incrédulité et de frustration se grava sur le visage de Carl quand il se rappela qu’il avait oublié le journal de Johanna, la seule preuve de son existence, dans la salle de bain.
Prenant une profonde inspiration, il baissa les yeux sur le vase noir que Buck lui avait donné. Le visage d’un diable était dessiné dessus et ses yeux perçants semblaient deux émeraudes. Il fixait les deux orbes quand un mouvement furtif l’arracha à sa contemplation. Le chien noir était revenu. L’animal s’arrêta à la porte et fit un signe de la tête que Carl interpréta comme une invitation à entrer. Peut-être Buck avait-il besoin de son aide. Il passait devant le bar quand un nuage apparut juste en face de lui, semblant figer l’air vicié. Une incandescente impulsion, forte et percutante comme un battement de cœur, s’éleva de la brume et s’envola par dessus sa tête avant de disparaitre dans les toilettes des hommes. Un sentiment de soulagement l’envahit quand, en poussant la porte, il aperçut la silhouette fantomatique de Buck, debout au milieu de la pièce. Les flammes avaient disparu mais l’odeur de fumée témoignait encore de leur réalité.
» Carl, Johanna est prisonnière de cette enfer. Le puits du sous-sol la retient captive. Alonzo, Scott et le père de Johanna veulent attirer Robbie, que vous connaissez comme Bobby, au sous-sol. S’il va dans la Salle de la Chine, alors il sera tué et sa vie sera détruite une fois encore. Ils ne veulent pas seulement Janet et son bébé. Ils veulent Bobby aussi! Vous devez sceller le puits et voir si les restes sont scellés. Sinon, le mal attirera quelque âme innocente là-bas pour le libérer une fois de plus.
Autrefois, cet endroit était un abattoir. Il avait été choisi comme terre impie de Satan à cause du sang qui y était répandu. Le sang était drainé dans le puits, et lors d’un culte secret des adorateurs du diable invoquaient Satan depuis ce trou sanglant. En 1896, une jeune fille nommée Pearl Bryan a été assassinée et décapitée par son petit ami, Scott Jackson, et un autre homme, Alonzo Walling, parce qu’elle était enceinte. Ils l’ont tuée à Fort Thomas, mais ils ont jeté sa tête dans le puits. Les deux hommes ont été pendus pour ce qu’ils avaient fait. Aucun des deux ne révéla jamais ce qu’il était advenu de sa tête car tout le monde aurait su qu’ils étaient des adorateurs du diable. S’ils l’avaient dit, le puits aurait été scellé et Satan aurait pu se venger sur eux. Les esprits diaboliques de Scott et Alonzo hantent cet endroit, tout comme celui de Pearl. Pearl ne trouvera jamais la paix jusqu’à ce que le Puits soit béni et scellé. Une fois que cela sera fait, alors nous serons capables de vous amener à la tête de la femme. Si vous arrivez jusque là, vous devrez vous assurer que son crâne est bien enterré avec son corps. Nous nous occuperons de cela plus tard. «
Buck lui dit également que lorsque viendrait le moment, il devrait raconter cette histoire à un homme de son choix, et que cet homme la rapporterait au monde. Après quoi, il rajouta: » L’homme sera du signe des Gémeaux. Il viendra du côté sombre, mais il aura traversé la lumière. «
Soudain, le chien noir apparut derrière Carl, montrant les dents et grognant et Buck s’écria: » Ils vont tuer Janet et le bébé! Il faut se dépêcher si nous voulons sauver cet enfant. Prenez ce vase et rentrez chez vous. Appelez tous les médiums que vous trouverez. Dites-leur tout ce qui s’est passé ici, mais ne leur parlez pas du vase. Attendez que l’un d’eux vous dise ce dont vous avez besoin pour sceller le puits. Vous saurez alors quoi faire. Suivez leurs instructions, et vous pourrez détruire ce mal. Allez! Sortez d’ici, maintenant! «
Buck et son chien disparurent et Carl se mit à courir, tenant le vase comme si sa vie en dépendait. Si son ami fantomatique avait dit vrai, alors Janet et son enfant étaient en grave danger. Le jeune homme ne savait pas vraiment ce qu’il devait faire, mais il se dit qu’en suivant les instructions de Buck, il le découvrirait.
Sur les trois premiers médiums à qui Carl téléphona, l’un lui suggéra d’appeler un prêtre, un autre lui conseilla de consulter un psychiatre et la troisième lui proposa de téléphoner à une femme qui vivait près de la rivière dont elle lui donna le numéro.
Quand la femme décrocha, le jeune hurle hurla presque dans le combiné: » Quoi que vous fassiez, ne raccrochez pas! Je ne suis pas fou! » Une voix éraillée le rassura et Carl entreprit de raconter son histoire une nouvelle fois. Mais alors qu’il parlait, la ligne se mit à crépiter et un sifflement vrilla son oreille. La femme, qu’il imaginait comme une vieille dame aux cheveux blancs, lui conseilla alors de ne pas s’inquiéter. Ils ne pouvaient pas l’empêcher de lui parler. Une femme son récit terminé, la vieille femme lui dit qu’il devait trouver un vase, mais pas n’importe quel vase. Il devait en ramener un orné du visage du diable. Quand elle mentionna ce détail, des larmes montèrent aux yeux de Carl: il avait trouvé la bonne personne. » Apportez-moi le vase, et je vous aiderai, » lui dit-elle. » Vous ne devez pas perdre de temps. Ce mal grandit là-dedans depuis de nombreuses années. Il s’est développé comme un bébé dans l’utérus de sa mère et maintenant, il est sur le point de naitre. Il est capable de quitter le bâtiment à présent. Voila pourquoi une force a pris le contrôle de votre voiture, vous tuant presque. Il ne pourra pas être contenu bien longtemps. Le côté obscur attirera votre ami ce soir. Il sera tué si cette force n’est pas arrêtée. Vous devez trouver le vase. «
L’interrompant d’un cri, Carl lui apprit qu’il avait le vase et la vieille femme lui donna rendez-vous le soir même: » Rendez-vous sur la rive où les deux rivières se rencontrent à minuit. Apportez une bouteille d’eau bénite et le vase. Je vous attendrai. «
A ce moment-là, la communication fut coupée et Carl s’écria: » Non! Ne raccrochez pas! Quelles sont les deux rivières? » Il recomposa rapidement le numéro de téléphone, mais une voix préenregistrée lui répondit: » Je suis désolée. Le numéro que vous avez composé n’est pas en service actuellement. «
Quelques heures plus tard, Carl roulait vers l’embouchure de la rivière Licking où il pensait que la vieille femme l’attendrait. Laissant sa voiture dans une petite rue sans issue, il commença à marcher vers la rivière, tentant d’ignorer la terreur sourde qui lui labourait les entrailles. La nuit était tombée quand il s’enfonça dans le petit bosquet obscur et, autour de lui, les ténèbres semblaient suinter le mal. Atteignant une clairière, il grimpa au sommet d’un petit tas de pierres qui dominait la berge humide mais soudain son pied droit se prit dans un trou et, tombant en avant, il dévala la colline jusqu’au bord de la rive. Le jeune homme attrapa alors sa cheville droite avec ses deux mains, hurlant de douleur: » Je me suis cassé mon putain de pied! «
Soudain, une ombre apparut au-dessus de lui, qui lui fit oublier sa peine une faction de secondes. Tournant la tête, il aperçut une vieille gitane aux cheveux blancs, probablement octogénaire, debout près de lui. La femme se mit à genoux, puis elle lui dit d’une voix douce qu’elle l’avait vu tomber. Passant lentement ses mains sur sa jambe, elle lui apprit qu’elle n’était pas cassée. Il avait une mauvaise entorse, mais, pour cette nuit, il allait devoir l’ignorer. La femme lui tendit la main et l’aida à se remettre debout. Pour une étrange raison, la douleur diminua brusquement et le visage de Carl reprit des couleurs. Fouillant la poche arrière de son jean, il vérifia que la bouteille d’eau bénite était toujours intacte et soudain, un cri lui échappa. Le vase. Il avait perdu le vase.
La vieille tzigane plongea alors se main droite dans sa veste en nylon et elle en retira le vase, qu’elle lui tendit. Elle était allée le chercher quand elle l’avait vu tomber dans l’eau. Puis, regardant le jeune homme dans les yeux, elle lui expliqua qu’il devrait verser l’eau bénite dans le vase et réciter un Notre Père quand il serait au-dessus du puits. Elle s’arrêta un court instant, tira une enveloppe de sa poche et la donna à Carl. Après la prière, il devrait verser ce paquet de poudre dans le vase et faire couler le contenu du vase dans le puits. A ce moment-là, il lui faudrait chasser le diable en répétant ces mots: » Je te chasse, Satan, et je t’enferme en Enfer pour toute l’Éternité. » Il devrait répéter exactement ces mots.
La vieille femme lui expliqua qu’à partir du moment où il rentrerait dans le bâtiment, il n’y aurait pas de retour en arrière possible. Le démon allait venir à lui de toutes les façons imaginables et tenter les pires stratagèmes. Il ne devrait pas perdre la foi, à aucun moment, car sinon, Satan lui-même dévorerait son âme. Pendant qu’il se battrait contre le mal, elle prierait pour lui. Elle lui demandait également, si jamais il réussissait, de prier pour l’âme de Pearl, afin qu’elle puisse enfin reposer en paix. Selon elle, de nombreux esprits se trouvaient prisonniers de ce puits, dont une fillette du nom de Nellie. Carl devait se hâter car au moment même où elle lui parlait, le Malin tentait d’entrainer son ami vers la mort.
Puis, sans rien ajouter de plus, la vieille gitane se retourna et elle disparut dans l’obscurité. Carl, pensant qu’elle était allée chercher quelque chose, l’attendit un moment, et brusquement, il comprit qu’elle ne reviendrait pas.
Le jeune homme retourna à sa voiture mais une fois à l’intérieur, il regarda dans le rétroviseur et hurla de terreur. Sur la banquette arrière, un cadavre pourrissant avec une corde autour du cou était assis et il lui souriait de toutes ses dents. Quand il tourna la tête, l’apparition avait disparu mais il comprit qu’elle était un avertissement. Alors qu’il conduisait vers la discothèque, ses paumes étaient moites sur le volant et la peur lui soulevait l’estomac. Arrêtant son automobile devant le grand bâtiment solitaire, Carl écouta un moment le chant des grillons qui remplissait l’air de la nuit puis il regarda l’endroit sombre qu’il avait surnommé la Porte de l’Enfer, mais tout semblait parfaitement normal. Lorsqu’il poussa poussa la porte d’entrée, elle annonça son arrivée d’un grincement lugubre et le jeune homme esquissa une grimace. Suivant le couloir, il avança prudemment jusqu’au bar et brusquement, il prit conscience que quelque force venait vers lui. Aussitôt il se retourna et se mit à courir vers la porte mais avant d’avoir atteint le seuil, des mains invisibles claquèrent contre sa poitrine, l’empêchant de sortir.
Carl recula lentement jusqu’au bar et un sentiment de solitude accablant l’étreignit, sur lequel il n’eut pas le temps de s’attarder car les portes de la grande salle se mirent à claquer violemment. Luttant contre son envie de fuir, il se dirigea vers la Salle de Bal mais au moment où il pénétrait dans la pièce, une force massive l’enveloppa de son bras invisible et le plaqua au sol. Le jeune homme commença alors à se débattre, mais l’entité le souleva dans les airs et se mit à le secouer comme un pantin désarticulé. Se souvenant brusquement de l’eau bénite, Carl sortit la bouteille de sa poche mais alors qu’il l’ouvrait, la créature démoniaque le secoua une fois de plus, et une partie du flacon aspergea son visage, éclaboussant son agresseur au passage.
Poussant un hurlement terrible, la créature relâcha son emprise et Carl s’effondra à ses pieds. Se retournant rapidement, le jeune homme regarda le monstre qui se tenait maintenant devant lui. Il faisait plus de deux mètres de haut, il possédait les attribues d’un homme mais deux seins féminins pendaient à sa poitrine. Son corps était recouvert d’épais poils blancs, semblables à ceux des animaux, et sa tête semblait un étrange mélange d’homme et de chèvre. La bête se tenait là, découvrant ses canines tâchées, quand Carl souleva le flacon d’eau bénite au-dessus de sa tête et, d’un mouvement rapide, en jeta sur elle. Au moment où le liquide atteignait son visage, l’entité laissa échapper un hurlement hideux et la chair de sa tête commença à tomber en de suintants morceaux. Le monstre se disloquait. Une fois toute sa chair tombée sur le carrelage, il pointa un doigts osseux vers Carl et lui dit: » Tu vas mourir! » Puis, il gronda quelques mots en un murmure rauque et disparut dans le grand miroir suspendu au mur, comme aspiré par la glace.
Une fois le démon disparu, Carl s’empressa de chercher le bouchon puis il en reboucha la bouteille d’eau bénite. Il se releva péniblement et commença à avancer dans le long couloir, mais alors qu’il s’approchait de la porte d’entrée, un vacarme infernal s’éleva du bar. Le jeune homme se retourna et, fouillant les ténèbres des yeux, il réalisa que quelque chose d’énorme le poursuivait. De la sueur se mit alors à perler de son front et son cœur s’affola brusquement. Il saisit la poignée entre ses doigts mais la porte refusa de s’ouvrir, semblant soudainement scellée dans le mur. Alors, sa poitrine se resserra comme un étau et il se mit à courir. Il traversa la Salle de la Fiesta, s’engouffra dans le couloir qui menait à la Salle du Casino et verrouilla la porte derrière lui. Un battement régulier se mit alors à grandir, faisant trembler le sol et les murs, qui s’arrêta juste devant la porte fermée. Le bois de la porte semblait vivant, allant et venant au rythme de la respiration de son poursuivant, et Carl comprit qu’elle ne résisterait pas très longtemps. Tétanisé par la peur, il restait là, immobile, quand brusquement, trois panneaux se détachèrent du mur, révélant une pièce secrète. Penché vers les ténèbres, le jeune homme se demandait si cette alcôve ne risquait pas de devenir son tombeau quand un craquement sinistre l’avertit que la porte était sur le point de céder. Il n’avait pas le temps à perdre. Il se glissa dans l’ouverture et aussitôt, les trois panneaux se refermèrent derrière lui, le plongeant dans l’obscurité.
Carl sortit sa lampe-stylo puis il éclaira la paroi, cherchant un système d’ouverture, mais elle était désespérément lisse. Il était piégé. » Il m’ont trompé! Ils voulaient que je vienne ici! » balbutia-t-il. » Ne perds pas ton sang-froid, Carl. Tu peux sortir d’ici. » Alors, les yeux écarquillés, il se mit à creuser le mur de ses ongles.
Au même moment, Bobby se trouvait toujours à l’hôpital de Cincinnati quand une infirmière trapue au regard inquiet lui apprit que sa femme se reposait et qu’il serait bon qu’il en fasse autant.
Bobby n’avait pas envie de s’éloigner, mais il était fatigué et comme l’infirmière lui avait promis de l’appeler s’il se passait quelque chose, il finit par se laisser convaincre. Il conduisait vers le Kentucky quand brusquement, il se sentit obligé de s’arrêter à son nightclub. Pourtant, il devait lutter pour garder les yeux ouverts et il n’avait aucune raison rationnelle de s’y rendre. Mais juste avant d’arriver au bâtiment, un gros chien noir surgit devant la voiture, bloquant son chemin. Il klaxonna à plusieurs reprises, traita le chien de tous les noms, mais l’animal refusait obstinément de bouger et Bobby finit par céder. De toutes façons, il n’avait pas besoin d’aller là-bas, il devait rentrer chez lui au cas où l’hôpital appellerait.
Carl luttait et se débattait, essayant vainement de se libérer de la petite cachette où il était enfermé, quand soudain, il sentit quelque chose bouger derrière lui. » Oh non! » gémit-il. Puis un souffle souleva ses cheveux sur sa nuque et le jeune homme se retourna rapidement, éclairant l’obscurité de sa lampe-stylo. Devant lui, se tenait un nain en décomposition, aux dents brunes et vertes. Le petit bonhomme était chauve et ses yeux enfoncés brillaient d’une sinistre lueur rouge. Sitôt découvert, il éclata d’un rire caverneux et le son d’un battement de cœur retentit dans la salle, devenant rapidement si intense que Carl crut que ses tympans allaient éclater. Le sol et les murs se mirent alors à trembler, et une terrible odeur infesta l’atmosphère.
Cherchant à s’éloigner du mort-vivant, Carl fit glisser son dos contre la paroi et, contre toute attente, la porte s’ouvrit instantanément, le faisant basculer vers l’arrière. Il roula dans le couloir et il se redressa vivement, prêt à se battre, mais l’apparition s’était évaporée dans les airs, comme les autres avant elle.
Ignorant les crissements au-dessus de sa tête, il traversa la Salle de la Fiesta et la Salle du Bar, puis il s’engagea dans l’escalier qui menait au sous-sol. Soudain, alors qu’il atteignait le palier, un craquement retentit derrière lui et de lourds bruits de pas résonnèrent dans l’escalier.
Le jeune homme se retourna et se tint immobile pendant quelques instants, mais comme rien ne se produisait, il haussa les épaules et commença à avancer vers la Salle de la Chine. Il venait juste d’arriver devant la vieille porte en bois quand cette dernière s’ouvrit violemment, le frappant au visage et le renversant sur le sol. Sautant sur ses pieds, il aperçut qu’un homme chauve d’une cinquantaine d’années se tenait maintenant debout dans l’embrasure. Dans l’une de ses mains, il tenait un couperet à viande, et dans l’autre un grand couteau de boucher. Durant quelques secondes il resta là, silencieux, regardant Carl de ses yeux globuleux, puis brusquement il souleva le couperet au-dessus de sa tête et se précipita sur lui. Le jeune homme essaya de courir, mais ses pieds refusèrent de bouger, alors, fermant les yeux, il se résolut à mourir. Soudain, une pensée lui traversa l’esprit et faisant rapidement le signe de croix Carl se mit à crier: » Tu n’es pas réel! Va-t-en au nom de Jésus! «
Comme ses paroles se perdaient dans l’oubli, un courant d’air glacé traversa son corps et quand il ouvrit les yeux, la pièce était vide. » Mon dieu, » murmura-t-il d’un ton suppliant. » S’il te plait, donne-moi la force de faire ça! «
Lorsqu’il pénétra dans la Salle de la Chine, un rire maléfique salua son entrée et derrière lui apparurent six hommes habillés de robes à capuchon noirs. Pinçant de leurs doigts un petit veau, ils chantaient une sombre litanie, les yeux tournés vers lui. Soudain, l’un des hommes s’avança, le même qui l’avait menacé de ses couteaux peu avant, et Carl comprit qu’il était le père de Johanna. » Rejoignez-nous et vous pourrez recevoir la bénédiction de Satan tout-puissant! «
Puis, l’homme se retourna et brusquement, il ouvrit la gorge de l’animal de son grand couteau. Les six adorateurs du diable plongèrent alors leurs mains dans le jaillissement de sang, et commencèrent à lécher leur doigts. Horrifié, Carl referma brusquement la porte et, le dos appuyé contre elle, il tenta de calmer la terreur qu’il sentait monter en lui. Le bâtiment tout entier s’animait. Derrière la porte, les hommes en noir avaient recommencé à chanter, de l’escalier qui ne menait nulle part montaient des gémissement, et au-dessus de lui un régiment de soldats semblait défiler. Brusquement, un hurlement s’éleva du premier étage, puis un coup de feu retentit et le jukebox se mit à jouer Anniversary Waltz.
A ce moment-là, un cri étrange sur sa gauche le fit se tourner et Carl aperçut la lourde porte d’acier s’ouvrir et frapper le mur avec une telle violence que ses gongs rouillés tombèrent en poussière. La porte métallique s’effondra sur le sol, découvrant une petite pièce de briques dans laquelle se balançaient les corps suspendus d’Alonzo et de son ami. Le jeune homme aurait voulu se retourner mais il ne pouvait détacher ses yeux des cadavres, qui semblaient l’hypnotiser. Alors, les paupières d’Alonzo s’ouvrirent lentement sur ses yeux noirs, et sa main droite avança, présentant la tête de Pearl.
» Oh, mon Dieu! » s’écria Carl. » Hey, ne perds pas la tête! » lui cria le cadavre, qui se mit à rire. Son comparse ouvrit alors les yeux, et répondit en ricanant: » Je ne risque pas. Mais cette chienne l’a perdue! «
Épouvanté, Carl versa l’eau bénite dans le vase, y rajouta la poudre et s’empressa de remuer le mélange avec son doigt. Puis, courant jusqu’au trou qu’il avait ouvert dans le plancher, il sauta dedans et commença à progresser comme il le pouvait, s’aidant de ses mains et ses genoux. A ce moment-là, un bruit sourd se fit entendre juste derrière lui, et le jeune homme comprit que quelque chose le suivait. Plaçant le vase au-dessus de la gueule béante du puits, il s’arrêta soudain, désespéré. Dans la panique, il n’avait vraiment suivi les instructions de la vieille tzigane: il aurait verser l’eau bénite dans le vase juste au-dessus du puits. Suppliant Dieu de l’aider à terminer la cérémonie, Carl récita un Notre Père puis il commença à verser le mélange dans le puits. Soudain, un étau serra son pied et commença à le tirer, faisant tomber le vase au bord du trou. » Je te chasse, Satan, et je t’enferme en Enfer pour toute l’éternité! « Alors que l’entité tentait de l’entrainer loin du trou, il agrippait le sol de ses mains, criant les mêmes mots encore et encore. Soudain, un horrible rire résonna à travers le sous-sol et un vent se leva, balayant le petit espace où il se trouvait, le noyant d’une odeur fétide. Le jeune homme répéta une dernière fois la formule puis un rugissement retentit au-dessus de lui et il perdit conscience.
Quand il reprit ses esprits, son corps était tiré par des dizaines de mains invisibles, le vent faisait vibrer la maison, menaçant de la faire s’effondrer. » J’ai perdu! J’ai perdu! » gémissait-il en glissant sur le sol. Soudain, une force le souleva dans les airs et le faisant tourner à une vitesse aveuglante, elle l’envoya voler à travers l’obscurité. Sa tête frappa le mur avec une telle force qu’il dut lutter pour ne pas perdre conscience une nouvelle fois et brusquement, une énorme boule de feu surgit du puits, ressemblant au champignon d’une bombe nucléaire. De l’intérieur des flammes, l’image du démon à tête de chèvre commença à se dessiner et un sourire grimaçant apparut sur ses lèvres. Puis, fonçant les sourcils, le démon déclara d’un voix indignée: » Salue-moi et deviens mon disciple, ou je nourrirai ton âme des flammes de l’Enfer! «
Apercevant un rocher près de lui, Carl l’attrapa d’une main tremblante et la jetant vers le démon dans un geste de défi. Malheureusement, la pierre ricocha et frappa le vase posé près du puis. Je vais mourir, pensa Carl, alors qu’il regardait le démon qui vociférait aux milieu des flammes. Puis brusquement, tout devint silencieux et il plongea dans l’inconscience.
Carl Lawson ouvrit lentement les yeux et le sol graveleux de la Salle de la Chine lui fit soudain réaliser qu’il était toujours en vie. Un doux parfum de roses flottait dans l’air et une jeune femme se tenait devant lui. Elle était particulièrement belle avec ses longs cheveux bruns, ses yeux sombres et son petit visage blanc. Un gémissement s’échappa de ses lèvres alors qu’il tentait de se redresser. » Johanna, dit-il.
– Tu l’as fait, Carl! Tu as scellé le puits, mais maintenant, tu dois trouver la tête de Pearl.
– Comment?
– Tu connaitras la réponse en temps voulu! » lui répondit Johanna en souriant. Puis, la jeune femme se retourna et elle disparut par la porte d’entrée. Carl secoua la tête avec étonnement et grimpa l’escalier qui menait à la Salle de Bal. En sortant du Bobby Mackey’s Music World, il se retourna et verrouilla les doubles portes de laiton. L’odeur de roses persistait dans l’air du matin et il songeait avec satisfaction que toute cette histoire était enfin terminée. Ou presque.
Une année s’était pratiquement écoulée sans la moindre manifestation démoniaque. Bobby avait ouvert sa boite de nuit et Carl s’était aménagé un appartement dans l’ancien bureau du premier étage. Ce soir-là, à 3h45, le tonnerre commença à gronder, des éclairs fissurèrent le ciel, puis la pluie se mit à bombarder les vitres de sa chambre et Carl se redressa en hurlant. Quelques secondes plus tard, il comprit qu’il venait de faire un cauchemar mais cette pensée ne le rassura que partiellement. Ce démon aux yeux remplis de haine semblait tellement réel, vraiment trop réel.
Le jeune homme s’assit sur le lit, regarda un moment la tempête qui se déchainait derrière la fenêtre et, comme sa peur ne le quittait pas, il se dit qu’il devait descendre vérifier si le puits était toujours scellé. Enfilant rapidement son jean délavé, il ouvrit l’un des tiroirs de sa commode et en sortit un tee-shirt qu’il enfila hâtivement. Puis, il tourna la poignée de cuivre de la porte et resta immobile un long moment, fixant le bas des escaliers. Il aurait voulu se convaincre qu’il avait juste fait un mauvais rêve mais une peur croissante ravageait son cœur. Soupirant, il descendit l’escalier, traversa la Salle de Jeux, connue autrefois comme la Salle de la Fiesta, slaloma entre les tables de la Salle de Bal, puis il sauta sur la scène et se dirigea vers la petite porte qui conduisait au sous-sol. Regardant vers le bas de la cage d’escalier, il fut soulagé de constater que toutes les lumières étaient allumées. Je devrais retourner me coucher, se dit-il, dégouté de se sentir obligé d’aller inspecter le sous-sol en pleine nuit pour se rassurer. Faisant gémir les vieilles marches de bois il descendit prudemment l’escalier, puis il tourna à droite en direction de la Salle de la Chine. Poussant la porte, il examina la pièce, mais tout était calme, presque trop calme.
S’avançant vers le centre de la pièce, il se pencha vers le puits et constata avec soulagement qu’il était toujours scellé. Un cauchemar, il avait juste fait un stupide cauchemar. Satisfait, il se retourna, mais à ce moment-là, les lumières commencèrent à vaciller et un vent effroyable surgit de sous le plancher, près du puits. Il traversa le corps de Carl, le transperçant de mille glaçons, explosa à l’entrée de la pièce et se mit à rugir à travers le sous-sol, hurlant comme une tornade, faisant tourbillonner la poussière et les débris que se trouvaient sur son passage.
Quelque part dans le lointain le tonnerre fracassa le ciel une nouvelle fois et brusquement, les lumières s’éteignirent. » Dieu Nooon!!! » cria-t-il alors que jaillissait une immense boule de feu du trou dans le sol. Au milieu des flammes, le même démon qu’il avait vu en rêve, celui qu’il avait enfermé à l’intérieur du puits quelques mois auparavant, souriait d’un odieux rictus.
La créature maléfique leva son bras gauche, et pointant l’un de ses longs doigts vers l’homme il lui ordonna d’une voix rauque: » Sors! Maintenant! » En entendant ces mots, le sol et les murs en tremblèrent. Carl aurait voulu courir, mais il était incapable de bouger. Il essayait de détourner son regard de la Bête, mais il parvenait pas à détacher ses yeux des flammes dansantes qui l’entouraient.
Soudain, une force l’enveloppa complétement, des doigts immatériels s’enroulèrent autour de sa gorge et le jeune homme se retrouva suspendu dans les airs. Pensant que sa dernière heure était venue, il tentait de lutter, donnant des coups de pieds et agitant les bras en vain. Alors, des centaines… non… des milliers de voix désincarnées résonnèrent dans la pièce, scandant fiévreusement: » Tue-le! Sacrifie-le! Tue-le! «
Mais, pour une raison indéterminée, l’entité choisit de le projeter violemment dans les airs, et Carl s’écrasa sur le sol avec un bruit sourd. L’impact fut tel qu’il lui coupa le souffle mais s’apercevant que la créature l’avait envoyé près de la porte, le jeune homme se mit alors à courir comme jamais il ne l’avait fait de sa vie. Quelqu’un ou quelque chose avait descellé le puits, et le mal était sorti de sa prison mais, pour le moment, il devait quitter cet endroit avant d’être tué. Autour de lui, les murs se fissuraient, les poutres de bois se balançaient, menaçant de s’effondrer. Soudain, du sang commença à couler du plafond, recouvrant rapidement les murs, et un rire hideux retentit. Puis, alors que les portes du sous-sol se mettaient à claquer violemment, le jeune homme s’engouffra précipitamment dans la cage d’escalier et grimpant les marches trois par trois, il s’enfuit de cet enfer aussi vite qu’il le pouvait.
Une fois sur le parking, Carl se dirigea sans hésiter vers sa voiture, laissant le vent glapir autour de lui, puis il s’engagea sur la route 9, en direction de l’église St. John. Une fois arrivé, le jeune homme fixa longuement les lourdes portes de chêne à travers le pare-brise puis il sortit sous la pluie et se dirigea vers le vieil édifice. Quelques minutes plus tard, Carl roulait vers la boite de nuit, une bouteille d’eau bénite dans sa poche, quand brusquement la voiture se mit à dévier de la route, refusant de répondre à ses directives. Saisissant le volant à deux mains, il parvint péniblement à la garder sur la voie mais soudain, quelque chose apparut dans la lueur des phares et le jeune homme tenta désespérément de freiner. A ce moment-là, la voiture accéléra, prenant continuellement de la vitesse jusqu’à l’entrée de la discothèque. Alors, il appuya de nouveau sur les freins, et cette fois, ils répondirent. Une fois la voiture rangée sur le parking, Carl resta un moment à regarder le bâtiment puis il fit une prière rapide. Comme ses mots se perdaient dans la nuit, le brouillard et la pluie s’éloignèrent du nightclub et le jeune homme se dit que Dieu l’avait peut-être entendu.
Luttant contre le sommeil qui l’entrainait, Carl saisit la bouteille d’eau bénite puis il descendit de la voiture. Il se sentait surveillé, mais il n’aurait pas su dire par quoi. Le bâtiment était silencieux, hormis le vieux plancher qui grinçait sous ses pas alors qu’il traversait la Salle de Bal. Soudain, un bruit sourd attira son attention et, scrutant la pénombre, il aperçut le visage du démon. Ses crocs jaunâtres sortaient de sa lèvre supérieure et de la bave débordait de sa bouche entrouverte. Il se tenait là, juste au bord de la piste de danse, et de la fumée tourbillonnait autour de lui, naissant et disparaissant dans les ténèbres. Carl le regardait, saisit d’effroi, quand brusquement, la créature maléfique tendit un long doigt osseux vers lui et le jeune homme se retrouva incapable de bouger. Son regard restait inexplicablement rivé aux yeux rougeoyants de la Bête, toute volonté brusquement envolée. Puis un vent glacé se leva, qui se mit à tournoyer, renversant les tables et les chaises, et son esprit se mit à hurler.
Quelque chose était en train de prendre le contrôle de son corps. Il sentait sa peau s’ouvrir, ses muscles onduler dans ses membres et une énorme pression lui écrasait la tête. Alors, le monstre s’approcha et Carl aperçut son reflet dans son regard. Des glaçons s’accrochaient à ses paupières, et, comme ceux du démon, ses yeux brillaient maintenant d’un feu vermeil. Le vent glacial l’enveloppait maintenant et il comprit qu’il était possédé. Une créature maléfique s’était emparé de son corps, et elle ne serait probablement pas longue à ravir son âme. Le jeune homme entendait des voix dans sa tête, des centaines de voix qui scandaient » Gloire à Satan » et comme ses pensées devenaient de plus en plus confuses, il remarqua qu’il flottait en l’air au-dessus de la scène.
A ce moment-là, le juke-box se mit à jouer The Anniversary Waltz et la salle se remplit de centaines de démons à apparence humaine. Ils riaient, l’incitant à les rejoindre, et brusquement ils s’écrièrent » Salutations, Satan! Seigneur des Mouches, je suis toi! » Puis, ils se mirent à scander cet hymne de plus en plus fort, de plus en plus vite, et bientôt Carl se joignit à eux, répétant les mêmes mots à l’unisson.
Dans les yeux de la Bête, il voyait les expressions de son visage se transformer lentement, passant de la peur à une étrange satisfaction, et un sourire mauvais se dessina sur ses lèvres. Alors son corps commença à redescendre vers le plancher, et l’eau bénite se mit à faire des bulles, puis elle devint brûlante, irradiant les veines de sa main et de son bras.
» Débarrasse-toi de cette pisse de chèvre! » ricana l’Ancien, pointant un doigt osseux vers son disciple. Puis il lui désigna la porte extérieure, qui s’ouvrit aussitôt, et Carl courut jeter la bouteille, qui explosa sur la voie ferrée. A ce moment-là, la porte se referma et le jeune homme éclata d’un rire de dément.
A 23h30, en ce vendredi soir, Abigail Wathen se tenait en bout de bar, près de la piste de danse, et elle balayait négligemment les mèches de cheveux blonds de son visage, souriant distraitement aux hommes qui s’attroupaient autour d’elle, espérant avoir l’honneur de la tenir dans leurs bras le temps d’une danse. Elle sirotait un thé glacé juchée sur un tabouret quand soudain elle entendit un grognement. La jeune femme se retourna, et un homme, qui se présenta comme Carl Lawson, lui dit avec un sourire narquois qu’il aimait sa tenue. Elle le remercia avec un sourire charmeur, plongeant ses grands yeux bleus dans les siens, et d’une manière tout à fait inattendue l’homme lui affirma qu’elle lui rappelait un fantôme qui avait pour habitude de hanter la discothèque. Surprise, la jeune femme lui demanda s’il en voyait souvent, il lui répondit qu’il en voyait tout le temps puis il l’invita à danser mais Abigail refusa, disant en plaisantant que son amie fantomatique risquerait de ne pas apprécier et que de toutes façons, elle ne dansait pas avec les dingues.
Brusquement, les yeux de l’homme s’embrasèrent de colère, et d’une voix méconnaissable il lui demanda si elle se moquait de lui. La jeune femme, pensant qu’il avait trop bu, lui conseilla d’aller se faire soigner, et Carl la menaça de lui jeter un sortilège. Puis, comme elle réitérait ses insultes, il leva les mains au-dessus de sa tête et murmura une série de mots étranges tout en regardant fixement son visage. Ses yeux semblaient des poignards, et Abigail aurait pu jurer qu’ils avaient viré au rouge. » Lorsque vous reviendrez ici, vous vous excuserez auprès de moi et des mes amis, » lui dit-il d’une voix voilée. La jeune femme le traita de tous les noms et avant qu’il ne puisse répondre, elle descendit du tabouret et s’enfuit par la porte d’entrée. Des fantômes… Elle en riait presque en traversant la foule.
Une fois sur le parking, Abigail grimpa dans sa voiture et regarda le bâtiment. Elle ne savait pas pourquoi, mais elle se sentait mal à l’aise. Incrédule, la jeune femme secoua la tête, refusant de croire qu’elle avait laissé un inconnu la bouleverser à ce point, et elle se jura de revenir dès le lendemain.
Le lendemain après-midi, alors que Carl cuvait la fête bien arrosée qu’il avait organisée en l’honneur de ses nouveaux amis, Robert Ranshey, un charpentier de plus d’un mètre quatre-vingt, empilait des planches de bois dans le couloir du sous-sol quand il entendit quelqu’un l’appeler par son nom. Il se retourna, regarda à droite et à gauche, vérifia que la porte de secours était bien fermée et comme il ne trouvait personne, il demanda: » Qui est là? » Devant l’absence de réponse, le charpentier se mit à rire, pensant être victime de son imagination, et il recommença à travailler. » Hey Bob » susurra alors une voix vaporeuse derrière lui. L’homme fit rapidement volte face, mais soudain, un vent glacial traversa son corps et il comprit qu’il n’était pas seul. Comme il restait là, immobile, il sentit quelqu’un lui taper sur l’épaule droite et un doux parfum de roses se répandit dans l’air. Puis brusquement, un vacarme épouvantable résonna à l’étage supérieur. Des centaines de personnes semblaient marcher au pas juste au-dessus de lui, faisant claquer leurs bottes comme un bataillon de soldats. » Mon Dieu, » soupira-t-il, » que se passe-t-il? «
Le charpentier courut vers les escaliers, en grimpa les marches deux par deux, puis il s’avança dans la Salle de Bal et brusquement, le tumulte cessa. » Je vais sortir d’ici! » pensa-t-il. Prenant sur lui, il s’empêcha de courir et commença à se diriger vers la porte d’entrée. A ce moment-là, le juke-box se mit à jouer The Anniversary Waltz et l’homme s’enfuit en courant vers la sortie comme si sa vie en dépendait. Robert Ranshaw, ancien sceptique, croyait maintenant aux fantômes.
Le même jour, vers 19h05, Abigail conduisait sa décapotable vers la discothèque de Bobby Mackey, bien décidée à passer une bonne soirée. Elle se trouvait à Cincinnati, non loin de la rivière Ohio, quand brusquement, la voiture dévia vers la gauche. La jeune femme avait ses deux mains posées sur le volant et elle parvint à la retenir mais le véhicule se mit alors à zigzaguer de droite à gauche, fonçant vers la voie opposée. Se penchant en arrière, elle appuya sur la pédale de frein de ses deux pieds mais au lieu de ralentir, la voiture accéléra et une odeur de roses se répandit dans l’habitacle. » Dieu, aide-moi! » s’écria-t-elle, terrifiée. Brusquement, la radio s’alluma et la musique d’une chanson rock noya bientôt ses cris hystériques. Puis la décapotable prit encore de la vitesse, les essuie-glaces s’enclenchèrent, et la jeune femme comprit qu’elle allait mourir. Soudain, un rire rauque s’éleva de la banquette arrière et une horrible pensée s’imposa dans l’esprit d’Abigail: Carl Lawson l’avait maudit!
Elle fit une rapide prière mais la réponse ne fut pas celle qu’elle attendait. Brusquement, la voiture vira à droite et se précipita sur un mur de béton avec une force incroyable. Projetée en avant comme une poupée de chiffon, son visage heurta le pare-brise et elle s’affaissa sur son siège, recouverte de sang.
Plusieurs automobilistes, qui avaient vu l’accident, se précipitèrent pour l’aider et quelques minutes plus tard, la police de Cincinnati et des ambulanciers arrivaient sur les lieux. La jeune femme, qui sortait parfois de l’inconscience, parlait d’un démon invisible qui avait pris le contrôle de la voiture, mais personne ne la crut. L’un des policiers, pensant qu’elle avait trop bu, demanda à ce qu’elle se soumette à un test d’alcoolémie après quoi elle fut conduite à l’hôpital. Les résultats de sa prise de sang démontrèrent qu’elle n’avait aucune trace d’alcool ou de drogue dans le corps au moment de l’accident.
Allongée sur son lit d’hôpital, toutes les pensées d’Abigail étaient tournées vers Carl Lawson. Elle savait qu’il avait causé l’accident et elle voulait aller le voir avant qu’autre chose ne lui arrive. Alors elle lui dirait à quel point elle était désolée de s’être moqué de lui.
Janet se présenta à la discothèque peu après dix-neuf heures. Elle s’arrangeait toujours pour y arriver juste avant les employés car elle n’aimait pas rester seule dans le bâtiment, même pour quelques minutes. Ce soir-là, en franchissant le seuil du nightclub, un sentiment de solitude extrême l’envahit et immédiatement, elle se sentit surveillée. La jeune femme se força à avancer dans le couloir, tentant vainement de refouler son angoisse, puis elle entra dans la Salle du Bar, songeant qu’elle n’avait plus connu un tel sentiment d’appréhension depuis que le puits avait été scellé. Traversant la pièce, elle s’approcha de Carl, qui fumait justement une cigarette au bar, tira un tabouret et s’assit près de lui. » Carl, nous devons parler, déclara Janet d’un ton sérieux.
– De quoi?
– Depuis que tu as fait cet exorcisme ou quoi que tu aies fait sur le puits, je me suis sentie plutôt en sécurité ici mais ce soir, quand je suis rentrée, j’ai eu le même sentiment que j’avais eu juste avant d’être attaquée. Un mauvais pressentiment à propos de tout. Je pense que nos amis sont de retour. Il t’est arrivé quelque chose ici?
– Pourquoi me demandes-tu ça? dit-il alors, une pointe d’irritation dans la voix.
– Je ne sais pas. Je ne sais pas pourquoi, mais je sens que quelque chose nous regarde. J’ai peur que ça recommence. Je…
– Ce sont des conneries! C’est fini. Je ne veux plus en parler! «
Son ton sec fit sursauter Janet qui s’aperçut alors que quelque chose de mauvais, quelque chose de terriblement puissant émanait de Carl.
Brusquement, le jeune homme serra les poings, descendit de son tabouret et Janet le regarda s’éloigner d’elle en trainant des pieds. Pour une étrange raison, leur conversation avait énervé Carl, qui n’avait même pas voulu discuter de l’éventualité du retour des esprits, et son comportement l’intriguait. Elle sentait qu’il lui cachait quelque chose, mais comme les serveuses devaient bientôt arriver, elle se força à allumer les lumières et commença à vérifier le stock d’alcool derrière le bar. Quelque chose n’allait pas… et c’était pire qu’avant.
Janet essuyait le comptoir quand Mary Torres pénétra dans la pièce et immédiatement, elle se sentit soulagée. Mary, que tout le monde surnommait Cookie, était serveuse à la discothèque, mais elle ignorait tout de sa hantise. Bobby, qui ne croyait toujours pas en leurs histoires, avait donné des instructions très précises à Carl et à Janet, leur interdisant d’en parler devant les employés ou les clients.
Les deux femmes discutèrent un moment puis Janet recommença à nettoyer le bar et Mary se mit à inspecter les tables, s’assurant que toutes les nappes étaient droites et que sur chacune entre elles reposait un cendrier. Quelques minutes plus tard, Janet vit revenir la serveuse qui lui raconta, au bord des larmes, que quelque chose l’avait poussée à plusieurs reprises… Non, pas quelque chose rectifia-t-elle, quelqu’un. Un esprit maléfique. » Mon Dieu! » s’écria Janet. La certitude que le mal était revenu la frappa comme un soufflet puis brusquement, elle se remémora un passage de la Bible qui faisait référence à un homme possédé et elle se demanda si tel n’était pas le cas de Carl. Espérant se tromper, elle décida de monter le voir à la fermeture.
» Janet! Que se passe-t-il? » L’angoisse de Cookie était perceptible. La question flotta un moment dans les airs, puis Janet réussit à trouver le courage de lui raconter sa propre expérience. Après avoir terminé son histoire, la jeune femme lui demanda de continuer à travailler pour eux, lui disant qu’elle était plus une amie qu’une employée pour elle, et Cookie lui promit de rester. A ce moment-là, les autres serveuses commencèrent à arriver et les deux femmes s’éclipsèrent dans les toilettes pour continuer à discuter tranquillement. Soudain, un air que Janet ne connaissait que trop bien lui parvint de la salle principale, et elle s’écria: » Je déteste cette maudite chanson. Allons voir qui l’a demandée. J’espère que ce n’est pas l’un des fantômes! «
En sortant de la pièce, elles aperçurent Margaret qui marchait rapidement dans leur direction. Elle était pâle et la peur se lisait dans ses yeux. » Tout va bien? » lui demanda Janet, hésitante. » Je ne suis pas sure, » balbutia Margaret. » Je pense que cet endroit est hanté. «
Janet, qui avait peur de perdre son employée, lui affirma alors qu’il n’y avait aucun fantôme dans le bâtiment, ce que Margaret s’empressa de contredire: » Mais Janet, j’ai vu un grand chien noir courir derrière la scène et quand je suis allée le chercher, le fichu truc n’était plus là. Ensuite, quelqu’un m’a appelé par mon nom. J’ai cherché pour voir qui c’était, mais je n’ai pas pu trouver qui ce soit. Après, cet imbécile de jukebox s’est allumé tout seul. «
Janet insista, soutenant que Carl avait probablement voulu lui faire peur, puis, souhaitant couper court aux questions embarrassantes, elle déclara qu’il était l’heure de travailler. Alors, elle ouvrit les portes et la foule commença à rentrer.
Ce soir-là, Danny Hanavan, ingénieur du son, était assis devant la table de mixage quand soudain il remarqua que les aiguilles rebondissaient inexplicablement de gauche à droite. Puis, deux des curseurs à sa gauche commencèrent à remonter tout seuls, comme si quelque chose d’invisible les déplaçait. Haussant les épaules, Danny se dit qu’il perdait la tête et il tendit la main pour les repousser vers leurs positions initiales mais à ce moment-là, levant les yeux vers la scène où se trouvait le groupe, il aperçut une silhouette humanoïde pâle se diriger vers Bobby et le traverser comme une brise. La peur s’abattit sur lui comme un marteau, recouvrant son corps d’une sueur malsaine et il murmura » Mon Dieu. Cela se passe vraiment. » L’entité vaporeuse continua sa progression, traversant Ernie Vaughn, le bassiste aux cheveux argentés, qui, tout comme Bobby, sembla ne rien remarquer.
Danny cligna des yeux puis il regarda rapidement vers la foule personne ne semblait avoir vu le phénomène. Il avait envie d’en parler à quelqu’un, mais il savait que s’il ouvrait la bouche, tout le monde se moquerait de lui alors il décida d’attendre. Si quelqu’un d’autre s’avançait et parlait de l’étrange apparition à Bobby, alors il dirait que lui-aussi, il l’avait vue.Il tentait de se concentrer sur son travail lorsqu’un froid glacial balaya sa poitrine. Puis brusquement, le souffle d’une respiration se fit sentir sur sa nuque et il fit rapidement pivoter son fauteuil à roulette. Scrutant la Salle de Bal, son regard passa rapidement sur une table pleine de gens mais un dixième de seconde plus tard, ses occupants avaient inexplicablement disparu. Danny aurait voulu sortir de l’établissement en courant mais il savait que s’il partait au beau milieu du spectacle, Bobby ne lui pardonnerait jamais. Alors, tentant de repousser la terreur qui le dévorait, il se remit au travail.
Au milieu de la soirée, pensant que tout allait bien, Janet décida de monter voir Carl mais dès qu’elle pénétra dans son appartement, une horrible odeur d’alcool l’agressa. Depuis quelques temps, Carl s’était mis à boire et son problème allait en s’aggravant. Assis dans un vieux fauteuil à bascule, le jeune homme lui tournait le dos, et il se balançait d’avant en arrière.
» Carl, nous devons parler, lui dit-elle, angoissée.
– A propos de quoi? De quoi veux-tu parler? lui répondit-il, ironique.
– Ils sont de retour, Carl! Les démons se sont montrés à Cookie et à Margaret.
– Je veux juste que les gens me laissent tranquille! » gronda Carl en faisant claquer sa main sur le bras du fauteuil à bascule. Brusquement il se mit debout, et se tournant vers Janet, il la regarda fixement, le visage déformé par la colère. » Est-ce qu’ils ont blessé quelqu’un? » demanda-t-il amèrement. Soudain Janet comprit que ces mots ne venaient pas de Carl, mais de l’esprit qui parlait à travers lui. Sa voix était différente, plus profonde, plus rauque, et une étrange lueur dansait dans ses yeux. Sachant qu’elle n’arriverait à rien, la jeune femme prétexta s’être laissée emportée par son imagination, puis elle se dirigea hâtivement vers la porte et sortit de la pièce. Carl la regarda partir, immobile.
De retour au bar, Janet recommença à servir les boissons d’une main tremblante, songeant qu’elle allait devoir trouver un prêtre ou un exorciste, quand une voix virile attira son attention » Boire! Je veux boire! «
Un homme s’était assis au comptoir et la regardait en souriant malicieusement. Après avoir commandé un rhum-coca, l’homme se présenta: » Mon nom est Ralph… Ralph Barthélemy. Tout le monde m’appelle Hollywood. «
Ralph ressemblait à un bûcheron. Il avait les cheveux bruns foncés, une barbe qui aurait eu besoin d’une bonne coupe, et des yeux gris hypnotiques, presque effrayants. Ralph prit une gorgée de son verre, puis il se leva et commença à avancer vers les toilettes pour hommes. Il se frayait un chemin à travers la foule quand brusquement il s’arrêta, et regardant le grand miroir qui pendait sur le mur sud de la Salle de Bal, il aperçut une jeune fille sans tête habillée d’une robe blanche se déplacer vers le bar. Soudain, la jeune fille flotta à travers le comptoir et elle disparut.
» Merde! Je devins fou! » murmura-t-il en remettant sa chemise dans son pantalon. Troublé, il s’engagea dans le couloir lambrissé qui menait aux toilettes et, constatant qu’elles étaient désertes, il songea qu’au moins, il n’aurait pas à attendre. Peut-être le fantôme avait-il effrayé tout le monde. Cette pensée l’amusa tellement qu’il se mit à rire tout seul. Il se tenait au-dessus d’un urinoir de porcelaine blanche quand il sentit quelque chose venir vers lui. Se retournant rapidement, il constata qu’un grand chien noir le regardait fixement et il lui dit en ricanant: » Comment diable es-tu rentré ici? » Une voix profonde lui répondit du couloir: » Il est à moi. Ne vous inquiétez pas. Il ne mord pas. «
Puis, un grand homme maigre apparut, vêtu d’une chemise blanche, d’un pantalon noir et d’un gilet vert. L’homme s’agenouilla, un cigare rivé à ses lèvres, et il dit au chien: » Viens voir Buck. «
Ralph regarda le chien, puis l’étranger, et brusquement il décida qu’il n’avait plus besoin d’uriner. Il sortit de la pièce, mais une fois dehors, il attendit l’homme et son chien, sans vraiment savoir pourquoi. Au bout d’un moment, ne les voyant ressortir, Ralph retourna dans la salle et une peur diffuse le submergea. Ils avaient disparu. Alors, il se précipita vers la porte d’entrée, bien décidé à s’éloigner du Bobby Mackey’s Music World le plus vite possible.
Quand vint l’heure de la fermeture, Carl regarda Bobby, Janet et les employés quitter le bâtiment depuis la fenêtre de son appartement. Le jeune homme ne se souvenait pas de la visite de Janet, pas plus qu’il ne se rappelait du soir de sa possession mais il savait que quelque chose n’allait pas. Alors, troublé, il s’étendit sur son lit et fixa le plafond.
Un martèlement répété tira Carl du sommeil agité dans lequel il était plongé. Le jeune homme se leva maladroitement de son lit, se dirigea vers la fenêtre et sourit, penaud, à l’homme aux cheveux gris qui attendait patiemment sur le seuil. Il avait oublié que Roger Heath, un ancien prêtre engagé par Bobby pour faire quelques travaux, devait passer ramasser les vieux luminaires inutilisés. Se retournant, il aperçut un short noir sur le sol qu’il enfila rapidement, et glissant paresseusement ses pieds nus dans de vieux baskets qu’il ne prit même pas la peine d’attacher, il descendit prudemment les marches de l’escalier.
Les deux hommes travaillèrent toute la matinée sans voir le temps passer puis, vers 14h, ils commencèrent à empiler les appareils qu’ils avaient dévissés. Dans la chaleur de l’après-midi, ils transpiraient abondamment et leurs visages étaient recouverts d’une poussière noirâtre qui collait à leur peau. Carl revenait pour un dernier chargement quand brusquement, Roger se dirigea vers lui et l’attrapant par l’épaule, il fit pivoter son dos vers la lumière. Puis, comme le jeune homme l’interrogeait, Roger lui répondit, perplexe: » Va dans les toilettes des dames et regarde par toi-même dans le miroir. » Carl, qui comprenait que quelque chose n’allait pas, se mit à courir et quelques instants plus tard, un cri retentissait dans la salle de bain. Sur son dos, étaient dessinées deux petites empreintes de mains sales et il n’avait aucune idée quand à leur provenance.
Roger le rejoignit et il lui demandait en riant comment s’appelait sa petite amie quand soudain les premières notes de The Anniversary Waltz firent sursauter les deux hommes. L’ancien prêtre se tourna vers Carl, et voyant qu’il tremblait, il lui conseilla de faire une pause. Pendant que le jeune homme montait prendre une douche, Roger se dirigea vers le juke-box mais aucune de ses lumières n’était allumée. » C’est impossible, » murmura-t-il en examinant le cordon d’alimentation débranché. Il n’était pas homme à se laisser facilement effrayer, mais quelque chose dépassait sa compréhension.
En attendant Carl, qu’il entendait aller et venir dans son appartement, Roger décida de s’asseoir un moment près du bar mais à peine venait-il de grimper sur le tabouret qu’il sentit des doigts caresser doucement ses cheveux. Il se retourna rapidement et constatant qu’il était seul, il s’exclama: » Jésus! Que se passe-t-il! «
Quelques secondes plus tard, la même caresse se fit sentir sur sa nuque, mais dans le grand miroir du mur opposé, seul se reflétait son reflet. Sautant de son siège, Roger tenta d’attraper son visiteur invisible mais ses bras brassèrent l’air sans rien rencontrer. » C’est fou! » s’écria-t-il alors que Carl rentrait dans la salle. » Qu’est-ce qui est fou? » lui demanda alors le jeune homme. Roger lui rapporta les étranges phénomènes observés en son absence et Carl finit par lui raconter ce qu’il savait du bâtiment, de son passé sanglant, de l’histoire de Johanna, terminant son récit par la découverte de son journal intime. Sans vraiment savoir pourquoi, il évita néanmoins de lui parler des démons, du puits et du retour des forces du mal. Puis, comme il devait aller tondre la pelouse chez ses employeurs, le jeune homme conseilla à Roger de nettoyer la scène et les colonnes d’enceintes, comme Bobby l’avait demandé, lui promettant d’être de retour pour 18h.
L’ancien ecclésiastique était concentré sur sa tâche quand il entendit une femme l’appeler par son nom. » Ouais! » répondit-il machinalement. Puis, réalisant que quelqu’un avait allumé les lumières, il questionna: » Qui est là? » Comme personne ne lui répondait, il descendit de l’estrade et se demandant s’il n’était pas victime d’une blague de mauvais gout, il entreprit de fouiller le nightclub, pièce après pièce, en vain.
De retour dans la grande salle il s’assit sur le bord de la scène, songeur, mais brusquement, un fracas épouvantable interrompit ses pensées. » Fils de …., » s’écria l’ex-prédicateur en sautant sur ses pieds. Il courut dans les coulisses, mais à sa grande surprise, tout était en place. » Roger, » susurra alors une voix douce qui semblait provenir de la scène. Aussitôt, il fonça dans la pièce, arrivant juste à temps pour apercevoir une ombre glisser sur le mur de l’ancienne cuisine et disparaitre. » Hey! Vous! » cria-t-il en se lançant à sa poursuite. » Hey! revenez ici! » Mais, tout comme les autres pièces, la cuisine était déserte. Soudain, un grattement s’éleva de l’entrée et Roger fut soulagé de reconnaitre le visage de Carl à travers les carreaux. Il déverrouilla nerveusement la porte puis il s’empressa de lui raconter ses mésaventures mais Carl lui sourit, et tentant maladroitement de le rassurer, il lui dit que Johanna était probablement d’humeur espiègle. A ce moment-là, Roger était prêt à accepter n’importe quelle explication et regardant sa montre, il poussa un soupir de soulagement en constatant qu’il était 17h. Une fois rentré chez lui, Roger prit un bain, un bon repas, et il passa la soirée à prier. Cela faisait bien longtemps que ça ne lui était plus arrivé.
Le soleil se levait à peine quand l’officier de police Larry Hornsby retourna au poste pour attendre l’homme qui devait prendre sa relève. Il avait passé une partie de la nuit à courser un fantôme dans le Bobby Mackey’s Music World et s’il ne risquait pas faire de rapport, il ressentait le besoin d’en parler à quelqu’un. A 6h50, quand Steve Seiter se présenta, Larry lui raconta les incroyables phénomènes dont il avait été témoin mais au lieu d’en rire comme il s’y attendait, Steve confirma ses propos: » Je me demandais combien de temps il faudrait avant qu’il ne t’arrive quelque chose à cet endroit. Tu n’es pas le seul à avoir vécu des choses étranges là-bas. Ce bâtiment, d’après ce que je sais, est particulièrement maléfique.
– Il t’est arrivé quelque chose à toi?
– Bien sur. J’ai répondu à une alerte là-bas une nuit, vers quatre heures trente. L’officier Harrison et moi avons vu la porte arrière du bâtiment déverrouillée. Nous avons marché jusqu’aux escaliers puis nous sommes arrivés à la porte qui s’est brusquement refermée. Le juke-box jouait une vieille chanson et les lumières étaient allumées à l’intérieur. J’ai essayé d’ouvrir la porte, mais elle était fermée.
– Qu’est-ce que tu as fait?
– Et bien, nous avons fait le tour à l’avant du bâtiment et vérifié la porte d’entrée. Elle était déverrouillée aussi nous sommes rentrés, cherchant un cambrioleur. Le plus drôle c’est que j’avais essayé d’ouvrir la porte juste avant que nous allions derrière et qu’elle était fermée. Nous avons entendu quelqu’un marcher dans le bâtiment, alors nous avons commencé à chercher partout. Nous sommés allés derrière la scène et l’agent Harrison a grimpé une échelle qui menait au grenier. Il voulait s’assurer que personne ne se cachait là-haut. Juste comme il atteignait l’échelon supérieur, il s’est brusquement arrêté et s’est mis à crier, m’ordonnant d’arrêter de tirer sa jambe. Il a baissé les yeux et m’a vu en bas de l’échelle alors il a réalisé que je ne l’avais pas touché.
Larry secoua la tête, dépité: » C’est trop étrange pour moi. » Il aurait presque voulu ne rien avoir demandé.
» Je viens à peine de commencer! » déclara solennellement Steve. » Quoi qu’il en soit, nous avons vérifié le grenier et il n’y avait personne, donc nous sommes retournés dans la Salle de Bal. Alors, nous avons entendu une chasse d’eau dans les toilettes pour hommes. Juste comme nous tournions pour y rentrer, un véritable vent glacial nous a tous les deux traversé. Ça m’a terrifié.
Nous sommes allés au toilettes, mais il n’y avait personne. Nous avons alors compris que ce putain d’endroit était hanté et nous avons décidé de sortir de là. Nous sommes allés jusqu’à la porte de devant pour partir, mais nous n’avons pas pu sortir. La maudite chose était fermée à clef. Nous avons tenté d’ouvrir une fenêtre, mais elles refusaient de bouger. C’était comme si elles étaient clouées. Nous étions pris au piège à l’intérieur de l’endroit.
– Qu’est ce que vous avez fait?
– Nous avons du appeler Bobby Mackey et lui demander de nous faire sortir. Je te le dis: Cette place est diabolique!
– Qu’est-ce que Bobby a dit quand il est arrivé là? Je veux dire à propos de vous enfermés dans cet endroit sans possibilité d’en sortir.
– Il a juste ri et il a dit que les portes et les fenêtres se bloquaient de l’intérieur et qu’il était parfois difficile de sortir de l’immeuble. Je n’ai pas enfoncé le clou. Je vais te dire ceci, cependant. Il nous a fait attendre jusqu’à ce qu’il ait verrouillé tout l’endroit. Je pense qu’il en sait plus qu’il n’est prêt à le dire. «
Steve continua à raconter à Larry les choses bizarres qui lui étaient arrivées à la discothèque en différentes occasions puis il lui parla de l’accident juste en face du nightclub. Alors qu’il aidait les blessés, une jeune fille était sortie de l’établissement en portant des nappes rouges et elle lui avait donné ces nappes pour recouvrir un homme et une femme qui étaient morts de leurs blessures. Après avoir terminé son rapport, il avait voulu aller remercier la jeune fille, mais l’établissement était fermé et personne ne s’y trouvait. Le lendemain, Steve avait appelé Bobby pour lui demander de remercier la demoiselle mais il lui avait répondu qu’il était impossible que cette jeune fille soit sortie de son bar et qu’aucune de ses employées ne correspondait à sa description. Alors, il avait compris qu’elle était un fantôme.
» J’en ai assez entendu! » dit Larry en secouant la tête. » Je vais rentrer chez moi. «
Steve le regarda partir, méditatif. Ils savaient pertinemment que la discothèque était hantée, mais aucun des deux officiers ne comptait en parler. Sauf si un nouvel agent de police venait leur rapporter ses expériences. Alors, ils lui diraient.
En ce jeudi après midi, la pluie s’abattait sur la terre comme un ouragan. Le vent hurlait férocement à travers la vallée, balayant tout sur son passage. Sandy Tomanelli, une artiste peintre engagée par Bobby pour décorer la boite de nuit, s’était assise sur le bord de la scène, cherchant à déterminer de quelles brosses elle allait se servir quand brusquement, le jukebox s’éclaira et commença à jouer The Anniversary Waltz. » Mon Dieu! » hurla-t-elle en sursautant. La femme descendit de la scène, se dirigea vers le juke-box puis elle regarda fixement la machine, se demandant pourquoi elle s’était allumée. Comme elle ne pouvait trouver de réponse, elle la débrancha et la musique s’arrêta instantanément.
Secouant la tête, elle retourna au centre de l’estrade et tourna rapidement sur elle-même. Elle ne pouvait pas le croire. Elle était seule dans le bâtiment et sa boite à peinture avait disparu. Sandy commença à fouiller la pièce et soudain, elle aperçut la boite posée sur le bar, le couvercle fermé. » OK, » dit-elle tout haut. » Je ne sais pas qui joue à ces jeux stupides mais ça n’est pas drôle. » Saisissant la mallette, la femme se dirigea vers le grand miroir sur lequel elle pensait esquisser quelques silhouettes. Elle trempa son pinceau dans le petit flacon de peinture rouge, en tamponna délicatement le verre mais à sa grande surprise, la peinture resta collée au pinceau. » C’est fou, » murmura-t-elle, collant sa paume sur le miroir. Alors, un cri lui échappa et elle retira vivement sa main. Le verre était chaud comme un fer à vapeur et il l’avait carrément brûlée. Elle inspectait la blessure quand soudain une vague glacée traversa son corps et elle comprit que quelque chose la surveillait. Alors, sans plus réfléchir, elle referma le couvercle de sa boite de peinture et courut vers la porte d’entrée. A ce moment-là, elle aperçut Carl rentrer dans le bâtiment. Son pantalon noir et son tee-shirt blanc étaient trempés par la pluie.
Sandy passa devant lui sans lui adresser la parole et, après avoir poussé la porte, elle s’avança sur le parking. » Sandy! » lui cria-t-il, alors qu’elle s’éloignait. Brusquement elle se retourna et elle lui dit, un frémissement dans la voix, qu’elle pensait que l’endroit était hanté. Carl tenta de la rassurer, mais la femme secoua la tête, et levant sa main, elle lui montra la trace de la brûlure, lui expliquant que le miroir lui avait brûlé la peau lorsqu’elle l’avait touché. Tout ce qu’elle voulait maintenant, c’était rentrer chez elle. Carl acquiesça avec un doux sourire, sachant que rien ne pourrait la faire changer d’avis. Après avoir verrouillé la porte d’entrée, il traversa la Salle de Bal, descendit les escaliers qui menaient au sous-sol mais alors qu’il rentrait dans la Salle de la Chine, soudain le mal déferla en lui comme un raz de marée. La peur lui arracha un cri et il s’effondra brusquement sur le sol, inconscient.
Le club était fermé le jeudi soir et les membres du groupe de Bobby en profitaient généralement pour répéter. Ce soir-là, Ernie Lainhart attendait ses camarades avec une nervosité mal dissimulée. Les hommes arrivèrent vers 21h puis, après avoir travaillé pendant une heure, ils décidèrent de faire une pause et se rassemblèrent autour de la table de mixage derrière laquelle se trouvait Tom Weber, le remplaçant de Danny Hanavan, qui ne voulait plus jouer dans la discothèque pour une raison qu’il refusait de donner.
Comme tous les membres du groupe étaient assis là, riant de leurs plaisanteries, Ernie Lainhart tenta d’aborder le sujet qui le perturbait. Se tournant vers Ernie Vaughn, le bassiste, et lui demanda: » Ernie, tu crois aux fantômes? «
A ce moment-là, un silence de mort s’abattit sur la pièce puis Tim Lusby se mit à ricaner. » Non! Je veux dire. Les gars, vous me connaissez assez bien pour savoir que je ne plaisanterais pas sur quelque chose comme ça. Quand j’étais seul, ce soir, la radio a commencé à jouer au milieu du bar et quand je suis allé l’éteindre, tout d’un coup la musique s’est arrêtée. J’ai regardé partout… des deux côtés du bar, mais il n’y avait aucune radio.
– Peut-être devrais-tu dormir un peu plus la nuit, s’esclaffa Tim. Surtout si tu commences à entendre des choses qui ne sont pas là!
– Non, je suis sérieux, insista Lainhart. Je jure que je dis la vérité. «
Tom Weber, qui avait écouté en silence, déclara en souriant: » Quelque chose m’est arrivé. Ça va sembler fou, mais un peu plus tôt, je me suis arrêté pour vérifier les niveaux sonores des microphones aujourd’hui et, alors que j’effectuais cette vérification, des sons gémissants et plaintifs sont venus du contrôleur de sons. J’ai immédiatement regardé autour pour voir qui se moquait de moi, mais il n’y avait personne. Puis, j’ai entendu quelqu’un chuchoter dans l’un des micros alors que je regardais à droite de la scène. Il n’y avait personne là-bas, en fait, il n’y avait personne dans le bâtiment, sauf moi. Bobby m’a donné une clef supplémentaire pour que je puisse rentrer tester le matériel. La voiture de Carl avait disparu, donc je sais qu’il n’était pas là. Les gars, vous ne me connaissez pas bien encore, mais je vais vous dire ceci… il y a quelque chose d’étrange à propos de ce vieux bâtiment. »
En écoutant ce témoignage, le sourire de Tim disparut et soudain il s’écria: » Attendez une minute. Vous vous rappelez vendredi dernier au soir, lorsque nous avons fait une pause et quitté la scène? Nous sommes tous venus ici et nous nous sommes assis autour de la table de mixage. Vous vous souvenez de ce qui s’est passé? Nous étions tous rassemblés ici et tout d’un coup, nous avons entendu quelqu’un pianoter sur les cordes de l’une des guitares mais lorsque nous avons levé les yeux, il n’y avait personne sur la scène. C’est à peu près la même chose que ce qui t’est arrivé Tom.
– Presque, répondit l’ingénieur. Mais j’ai entendu des voix qui venaient du contrôleur. C’était comme si quelqu’un me chuchotait quelque chose, et j’ai entendu des gémissements. C’était vraiment étrange. C’est tout ce que je peux vous dire. «
Les hommes commencèrent à ranger leurs instruments puis tout le monde quitta le bâtiment, sauf Ernie Vaughn, qui devait changer les cordes de sa guitare. Tout comme Bobby, il ne croyait pas à ce genre de choses mais il attendit que ses camarades soient partis pour se moquer d’eux: » Des fantômes! » Il éclata d’un rire cynique et le son retentit sur les murs tout autour de lui. » Hey Carl, je ne sais pas comment tu as fait, mais tu as fait peur à ces gars! » Comme ses mots se fanaient, un amplificateur se mit à siffler puis brusquement, il explosa. Ernie courut débrancher sa guitare, mais il était trop tard. » Comment diable… » A ce moment-là, un souffle glacé courut sur son cou et se retournant brusquement, le guitariste parcourut lentement la pièce des yeux, scrutant ses moindres recoins. Puis la conversation qu’il venait d’avoir avec les membres du groupe se glissa dans son esprit, et il se demanda si finalement… Alors, il décréta qu’il en avait assez et il sortit du bâtiment.
En ce vendredi soir, un vent froid soufflait de la poussière dans les yeux des gens qui attendaient de rentrer dans la boite de nuit. Carl regardait la foule de la fenêtre de son appartement, et son visage était marqué par la fatigue. Normalement, il aurait du travailler, mais il ne se sentait pas bien et Joe Lucas s’était proposé pour vérifier El Toro à sa place. Bobby avait insisté pour ce qu’il soit contrôlé tous les soirs, de peur que quelqu’un ne se blesse.
Comme Joe inspectait les boulons sous le taureau, il s’aperçut que l’un des écrous s’était relâché et se dirigea vers l’ancienne cuisine pour y chercher une clef. Il ouvrit la porte, pénétra dans la pièce, mais à ce moment-là quelque chose vola vers lui, qu’il évita de justesse. Le cercle de métal heurta le mur avec un bruit sourd et retomba sur le sol. Joe regarda autour de lui, mais il était seul dans la pièce et l’unique entrée était la porte qu’il venait de traverser. Puis, alors que ses yeux fouillaient l’obscurité de la cuisine, il sentit quelque chose respirer dans sa nuque. Sans hésiter, il serra le poing et fit demi-tour, prêt à frapper celui qui se tenait derrière lui. » P….. de m….! » s’écria-t-il en réalisant qu’il n’y avait personne. » Si tu es un fantôme, tu peux embrasser mon cul! Je n’ai pas peur de toi! Pourquoi tu ne te montres pas? «
Alors, comme il se tenait immobile, regardant le mur du fond, quelque chose claqua contre sa poitrine, le faisant reculer et Joe battit des poings dans l’air sans rien rencontrer de solide.
» M…., » jura-t-il d’une voix tremblante. » C’est vraiment un fantôme! » Brusquement, quelque chose de glacial transperça son corps et devant lui apparut une brume éthérée. Elle flottait comme un léger brouillard et bientôt elle commença à prendre forme, esquissant une silhouette humanoïde dans la pénombre. Une femme se tenait devant lui, vêtue d’une robe de soie dont il n’aurait su dire la couleur.
Comme elle se déplaçait vers le centre de la pièce, soudain il réalisa qu’elle n’avait pas de tête et brusquement elle disparut en s’enfonçant dans le sol. Joe prit une profonde inspiration, tentant d’analyser la situation, mais soudain une voix féminine lointaine lui cria de sous le plancher: » C’est ici. Trouvez-la s’il vous plait. » Se précipitant vers la boite à outils, l’homme saisit une clef et s’enfuit de la pièce, se jurant de ne jamais raconter à personne ce qu’il venait de voir.
Ce soir-là, l’une des serveuses était malade, et Sandy Murray, une amie des Mackey, s’était portée volontaire pour la remplacer. Sandy se dirigeait vers les tables situées près de la piste de danse, dont Janet l’avait chargée de s’occuper, quand soudain, elle entendit quelqu’un chuchoter son nom. Comme la voix semblait venir de la scène, la jeune femme se tourna vers la droite et elle aperçut une femme vêtue d’une longue robe blanche. L’apparition avait de longs cheveux bruns et elle se tenait sous l’une des portes voutées près de l’estrade. » Suivez-moi, » supplia l’esprit. » S’il vous plait! «
Brusquement, la femme disparut dans l’arrière-salle et Sandy s’engagea derrière elle. Quelque chose semblait diriger sa volonté, l’obligeant à la suivre. En arrivant à la porte menant au sous-sol, un vent glacial transperça son dos et ressortit par sa poitrine et Sandy comprit que le spectre venait de traverser son corps. » Suivez-moi, » répéta le murmure. Cette fois, il provenait de la cage d’escalier.
Quand la jeune femme déverrouilla la porte, une force invisible lui tapota l’épaule et, prise de panique, elle s’empressa de retourner à la Salle de Bal. Elle aurait voulu parler de l’incident à Janet mais alors qu’elle retournait à son poste, soudain la foule envahit la pièce.
Sandy prit nerveusement les commandes de quatre hommes et elle se dirigeait vers le bar pour chercher leurs bières quand soudain, sur le grand miroir qui ornait le mur du fond, elle aperçut une femme sans tête dans une longue robe blanche qui marchait vers elle. Épouvantée, elle chercha des yeux l’apparition dans la salle, mais elle ne put la trouver. A ce moment-là, un doux parfum de roses s’éleva dans l’air, tout autour d’elle, et elle déclara, sans se soucier de se faire remarquer: » Je t’ordonne, au nom de Jésus-Christ, de me laisser seule! » Alors, comme ses mots se perdaient dans le vacarme ambiant, le parfum disparut.
Si Sandy ne vit rien plus d’anormal par la suite, quelque chose attendait le bon moment pour se manifester. Carl, qui se sentait mieux, avait signalé à Joe Lucas qu’il pouvait s’occuper d’El Toro pour le reste de la soirée et il s’était assis derrière le podium en chêne, plaçant sa main droit sur le levier de commande. Carl cria » Qui est le prochain?
– C’est moi, répondit une voix grave. Mike Gruber, un jeune homme qui prenait des leçons de guitare avec l’un des membres du groupe de Bobby, s’avança vers Carl et déposant deux billets devant lui, il s’exclama en souriant: Voyons si ce c…… est aussi bon que tout le monde le dit!
– Je ne dirais pas ça! répondit Carl d’un air outré.
– Pourquoi pas?
– Parce que cet endroit est hanté, et si vous défiez les fantômes ici même, vous le regretterez.
– C’est vrai? Et bien, dites à vos amis fantomatiques de venir. Premièrement, je ne crois pas aux fantômes, et quoi que vous buviez ou fumiez, il vaudrait mieux arrêter! «
Un sourire mauvais se dessina sur le visage de Carl qui saisit alors le levier de commande de ses deux mains. » Ne dites pas que je ne vous avais pas prévenu! » s’exclama-t-il. Et il semblait en penser chaque mot. Mike se dirigea vers le taureau mécanique, y grimpa dessus, puis il se pencha à arrière, saisit la poignée de cuir de sa main gauche et soulevant son bras droit au-dessus de sa tête, il annonça qu’il était prêt. Carl poussa la manette et le taureau commença lentement à tourner, puis il se mit à se tordre, se balançant d’avant en arrière, de plus en plus fort, de plus en plus vite, mais en vain: le cowboy semblait collé à la selle. Alors, au bout de quelques minutes, Carl ralentit la cadence jusqu’à l’arrêt du taureau. » Dites à vos amis invisibles qu’ils auront plus de chance la prochaine fois! » lança Mike d’un air moqueur alors qu’il redressait son chapeau.
A ce moment-là, Carl dut s’absenter un moment pour aller aux toilettes. Mike continuait à chevaucher le taureau, souriant aux filles assises à sa droite, quand brusquement, l’animal revint à la vie. Il commença par tourner lentement mais il atteignit rapidement une incroyable vitesse et se mit à bouger dans tous les sens, secouant Mike comme une poupée désarticulée. Une bouffée de panique submergea Carl quand il revint dans la pièce. Il se précipita vers le levier de commande mais s’apercevant que l’appareil était éteint il cria à Mike, qui tentait désespérément de s’accrocher à la machine, » Saute! Saute maintenant! » Puis, tentant de couvrir le bruit assourdissant du mécanisme, il hurla un peu plus fort: » Saute imbécile! » Soudain, Mike lâcha prise et s’envolant dans les airs, il atterrit miraculeusement sur ses pieds, juste en face de Carl. L’homme ramassa son chapeau et regardant le taureau, il en resta stupéfait: il s’était arrêté. Mike se tourna alors vers Carl et lui dit, menaçant: » C’était une blague stupide. J’aurais pu être tué, crétin! Je vais te botter le cul!
– Je vous avais dit de ne pas vous moquer des fantômes ici. Vous avez de la chance de ne pas avoir été tué. J’ai essayé de vous avertir. »
Mike savait que Carl n’était pas vraiment responsable, mais il était dans une colère noire et pour la première fois de sa vie, il avait peur.
C’était l’heure de la fermeture et les clients sortaient du bâtiment, les uns après les autres. Les membres du groupe rangeaient leur équipement, les serveuses s’étaient rassemblées autour du bar, discutant de la soirée et Sandy essayait de rassembler assez de courage pour raconter à Janet ce qu’elle avait vu un peu plus tôt. Elle se disait que si elle en parlait devant d’autres personnes, peut-être avoueraient-elles, elles-aussi, avoir vu quelque chose. » Je dois te parler, » déclara Sandy à Janet alors qu’elle parlait aux serveuses. » Je dois de te dire quelque chose, mais auparavant, je veux te poser une question. Crois-tu aux fantômes? » Puis, sans lui laisser le temps de répondre, elle lui raconta son expérience et aussitôt, Margaret s’exclama: » Ne me dis pas que Carl a fait ça! Cet endroit est hanté! «
A ce moment-là, Carl, Bobby et son groupe de musiciens s’approchèrent et Janet l’interpella, triomphante: » Bobby! Toutes les serveuses disent qu’elles ont vu un fantôme ou entendu quelque chose d’étrange alors qu’elles étaient ici. «
Aussitôt, le visage de Bobby se referma et son sourire s’éteignit: » Je veux savoir qui a lancé cette absurdité! » La plupart des serveuses et des membres du groupe confirmèrent les paroles de Janet et Ernie Vaughn, Margaret Collinsworth, Cookie, Ernie Lainhart, Tom Weber et Sandy Murray racontèrent leurs expériences. Après avoir écouté, à son grand désespoir, les témoignages les plus hallucinants qu’il ait jamais entendus, Bobby dut encore supporter les lamentations de Mike Gruber, qui trainait encore avec les membres du groupe, et immédiatement il se tourna vers Carl, lui demandant de ne plus menacer quiconque du courroux de ses amis.
A ce moment-là, Debbie, la fille de Sandy, s’écria qu’elle aussi avait vu quelque chose un peu plus tôt, mais qu’elle n’avait pas osé en parler. » Ça a commencé dès que j’ai franchi la porte d’entrée ce soir. J’ai senti une odeur de roses, très forte, et alors que je me tenais près du miroir au fond de la salle, j’ai senti quelque chose de glacé passer à travers moi. Oh, une autre chose! Juste avant que le groupe n’arrête de jouer, je pense avoir vu deux silhouettes sombres qui portaient des cagoules noires traverser l’arrière de la salle près de la cuisine. Ce que j’ai vu et ressenti n’est pas comparable à certains de vos témoignages, mais je sais que c’est arrivé. «
Bobby secoua la tête, incrédule, puis il déclara: » Je vais demander à Janet de trouver un médium pour qu’il vienne enquêter ici. Si l’un de vous vois ou entend quelque chose d’autre, faites-moi une faveur, parlez-en à Janet car jusqu’à ce que je vois un fantôme, je ne croirai rien de tout cela. » Puis, avant que quiconque puisse dire un mot, il se dirigea vers la porte d’entrée.
Une fois dans la voiture, Bobby dit à sa femme qu’il pensait que Carl faisait des blagues à tout le monde mais qu’il tenait néanmoins à ce qu’un voyant vienne inspecter l’établissement afin de calmer la rumeur. Quand Janet lui demanda ce qu’il pensait faire si le médium confirmait la hantise, alors il déclara qu’il appellerait Ghost Busters puis, redevenant sérieux, il lui répondit que dans ce cas, il passerait un coup de fil à l’une de ses connaissances, Larry Kidwell, un homme qui travaillait à la télévision, qui connaissait un prêtre qui chassait les démons. Il l’appellerait, mais ça s’arrêterait là. Bobby, qui craignait pour sa carrière, ne voulait pas être impliqué dans toute cette affaire.
Un peu plus tôt dans la soirée, Janet avait permis à l’une de ses amies, Vickie Metcalf, de se reposer dans l’une des pièces de la boite de nuit mais la discussion l’avait tellement perturbée qu’en partant, elle l’avait tout simplement oubliée.
Vickie se réveilla dans le bureau et se rappelant soudain de l’endroit où elle se trouvait, elle s’étonna du silence. Elle se dirigea vers la porte mais quand elle l’ouvrit, elle s’aperçut que toute les lumières étaient coupées et stupéfaite, elle réalisa que Janet l’avait oubliée.
Plissant les yeux, elle commença à avancer lentement dans le couloir mais comme elle atteignait la Salle de Jeux, soudain elle entendit quelqu’un chuchoter, puis le juke-box se mit à jouer une vieille chanson, The Anniversary Waltz, et Vickie se mit à rire en pensant qu’ils étaient tous assis près de la scène, à écouter de la musique. Elle tentait de les rejoindre quand brusquement la musique sembla s’éloigner, puis quelque chose de glacé la traversa et elle comprit qu’elle n’était pas seule.
Une douce odeur flottait dans la pièce, qui bientôt se transforma en une abominable puanteur. Tentant de lutter contre la nausée qui lui soulevait le cœur, la femme mit une main devant sa bouche mais le souffle d’une respiration caressa alors sa nuque et la peur l’envahit. Elle avait envie de courir mais son instinct lui dictait de ne rien en faire. A ce moment-là, un tapotement retentit sur le comptoir, et Vickie se retourna lentement. Un homme aux cheveux bruns était assis au bar, juste sous l’horloge murale, et à son son cou, était enroulée une corde de pendu. Son ricanement sonnait comme un avertissement. » Qui êtes-vous? » demanda-t-elle d’une voix tremblante. L’homme rit un peu plus fort et Vickie se mit à hurler: » Qui êtes-vous! «
Brusquement, l’homme disparut et réalisant qu’elle venait de voir un fantôme, une vague de terreur s’abattit sur elle. S’il ne se montrait plus, elle savait qu’il était toujours là, tout près d’elle. Soudain, la même voix éthérée chuchota son nom » Vicccckkiiieee, » le plancher de bois commença à craquer et poussant un cri horrifié, Vickie se mit à courir à travers la pièce, renversant tables et chaises. Arrivant près de la porte d’entrée, elle vit qu’elle se balançait, grande ouverte, l’invitant à sortir. Alors, elle s’élança sur le parking en regardant droit devant elle.
Le lendemain midi, quand Janet décrocha son téléphone et qu’elle entendit sa voix, soudain elle se souvint. Elle avait oubliée Vickie au nightclub et à son intonation, elle devinait que de terribles choses lui étaient arrivées.
Après que son amie lui ait raconté ses mésaventures, Janet décida qu’il était temps d’agir et elle téléphona à Patricia Mischell, une médium réputée pour ses capacités psychiques. Elle craignait que la femme ne se moque d’elle en entendant son histoire mais à sa grande surprise, ce ne fut pas le cas et quand elle accepta de l’aider, Janet en fut transportée de joie. La médium désirait visiter la discothèque l’après-midi même, aussi Janet s’empressa-t-elle de prévenir Carl, lui demandant de déverrouiller la porte pour elle. Fort heureusement, ce jour-là, Carl semblait lui-même. En apprenant la nouvelle, Bobby se montra moins euphorique. Il espérait seulement que la médium ne dirait pas que la boite de nuit était hantée.
Quand le téléphone sonna vers 19h, Janet était assise sur le canapé près de Bobby, et elle décrocha à la première sonnerie. Dix minutes plus tard, elle reposait le combiné et, regardant son mari, elle se mordit la lèvre inférieure. » Eh bien? qu’est-ce qu’elle a dit? » demanda Bobby. Janet le regarda sans répondre et il comprit qu’il n’allait pas aimer ce qu’il allait entendre. » Allez, dis-moi ce qu’elle a dit.
– D’accord, répondit-elle avec impatience. La médium m’a dit qu’elle avait rencontré Carl et qu’il lui avait fait visiter tout le bâtiment. Elle a dit que quand elle était descendue au sous-sol pour aller dans la Salle de la Chine, une chauve-souris l’avait attaquée, mais qu’ils avaient réussi à la chasser. Elle m’a dit que qu’en rentrant dans l’ancienne cuisine, elle s’était immédiatement sentie nauséeuse, vertigineuse, et qu’elle y avait senti la mort… beaucoup de morts. Elle m’a dit qu’elle pouvait voir la tête d’une femme flotter dans l’eau quelque part sous le plancher et…
– Oh merde, grogna Bobby. C’est un tas d’âneries. Qu’est-ce qu’elle a dit d’autre? «
Janet haussa les épaules, leva les yeux et enchaina: » Elle a dit que tu étais chanteur à la discothèque à une autre époque. Que ton nom était Robert Randall et qu’un père jaloux de sa fille t’avait tué à cet endroit. Son nom était Johanna.
– C’est ridicule!
– Ça ne l’est pas, s’exclama Janet. Elle savait à propos de Johanna, non?
– Carl a pu lui parler de ses petits amis fantomatiques. Je suis sur qu’il lui a donné le nom de la femme.
– Non, il ne l’a pas fait! Elle m’a raconté qu’elle avait eu une longue conversation avec lui, mais qu’elle lui avait demandé de ne pas lui donner le nom des esprits car elle voulait les découvrir elle-même! Ce n’est pas tout! Elle a également déclaré que les fantômes utilisent le corps de Carl à volonté et qu’ils peuvent être très dangereux si on les provoque.
– C’est ça! répliqua Bobby en se levant. Je ne veux pas en entendre d’avantage!
– Hey, Monsieur! Tu ferais mieux de te rappeler de la promesse que tu m’as faite d’appeler ton ami, Larry, pour lui demander d’appeler le prêtre.
– Je ne pensais pas que ça en arriverait là répondit Bobby. Larry va penser que nous sommes tous fous! Que vais-je lui dire? Oh Larry, ma discothèque est hantée et Carl Lawson, notre homme d’entretien est possédé! Il va me rire au nez!
– Je m’en fous, insista Janet. Tu m’as donné ta parole et tu ferais mieux de ne pas revenir dessus. Donne-moi le numéro de Larry, je vais l’appeler.
– Oh non, je ne veux pas! répondit Bobby, qui avait du mal à cacher sa contrariété. Je l’appellerai moi-même, dans la matinée. Je vais tenir ma promesse, mais il va rire en entendant ça. Allons nous coucher.
Larry Kidwell raccrocha son téléphone, troublé. Il venait d’avoir une longue conversation avec Bobby Mackey sur les étranges activités de sa boite de nuit et il savait qu’il n’était pas du style à plaisanter sur un tel sujet. Comme il l’avait promis à Bobby, Larry téléphona immédiatement au pasteur Glenn Cole, qui se montra fort intéressé par l’histoire du Bobby Mackey’s Music World et demanda à voir Carl le plus rapidement possible. Larry proposa alors d’organiser une rencontre, et un rendez-vous fut pris pour le jeudi 25 juillet, à 20h. Larry était sceptique, mais finalement, cette histoire l’excitait. Il comptait bien assister à la rencontre et, avec un peu de chance, peut-être réussirait-il à filmer quelque entité maléfique.
Le samedi 20 juillet, à presque minuit, Carl était assis au bar, songeant à la brève conversation qu’il avait eue avec Bobby quelques minutes plus tôt, quand soudain quelqu’un se mit à crier » Au feu! au feu! «
Bobby fit un geste de la main pour indiquer au groupe d’arrêter de jouer et, contemplant la salle qui se remplissait de fumée, il demanda au public de quitter immédiatement le bâtiment. Étonnamment, il n’y eut aucune bousculade.
En entendant ces mots, Carl fonça immédiatement vers la vieille cuisine, que le feu ravageait, puis il attrapa un extincteur et plusieurs employés suivirent son exemple. A ce moment-là, les pompiers arrivèrent sur les lieux et 40 minutes plus tard, ils donnaient à Bobby l’autorisation de rouvrir la boite de nuit. La fin de soirée se déroula sans incident mais une fois tout le monde parti, Carl se dirigea vers la cuisine, se demandant si quelque entité n’avait pas mis le feu en apprenant la venue du pasteur Cole. » S’il vous plait, ne vous attaquez pas à ce bâtiment ou à moi, supplia-t-il d’une voix douce. Si vous avez allumé le feu en raison de la venue du prêtre, ne vous inquiétez pas à ce sujet. Je ne le laisserai pas vous chasser. Johanna… Buck, si vous pouvez m’entendre, ne vous inquiétez pas. Tout va bien se passer. «
Alors que ses paroles se fondaient dans le néant, de profondes respirations emplirent la salle et Carl pensa avec soulagement qu’il avait été entendu. Cependant, en l’absence de certitude, il décida de passer la nuit dans sa voiture, trop effrayé pour dormir dans le nightclub.
Même s’il pensait qu’il ne se passerait rien d’extraordinaire, Larry Kidwell avait amené avec lui un journaliste et trois caméramans, leur donnant pour consigne de rester discrets. Le révérend Glenn Cole, un homme à l’apparence soignée, discutait avec Carl quand Larry leur annonça qu’ils étaient prêts. Les deux hommes le suivirent jusqu’à l’ancienne cuisine, où l’équipe de tournage les attendait, et Carl s’assit sur l’une des quatre chaises qui trônaient autour de la petite table disposée au centre de la pièce. Il se sentait comme un condamné à mort attendant l’exécution de sa sentence.
Le révérend Cole prit place en face de lui, puis, lui souriant chaleureusement, il déclara d’une voix calme. » S’il y a un esprit dans Carl Lawson, je demande à ce qu’il parle et s’identifie cette nuit, MAINTENANT! Je n’ai pas peur de cet esprit! » Aussitôt, Carl annonça d’une voix rauque, qui ne correspondait en rien à la sienne, qu’il ne voulait pas parler mais qu’il ne ferait de mal à personne.
Comme il était évident que l’esprit lui répondait par l’intermédiaire de Carl, le révérend ouvrit sa bible, puis ordonnant aux morts de l’écouter, il lut un long sermon sur le cycle de la vie, leur promettant un avenir s’ils acceptaient de partir. Après quoi, s’adressant à Carl, il lui conseilla de résister aux esprits et de les combattre. Il y eut alors un long silence, et Carl lui répondit qu’il ne comprenait pas. Ils ne voulaient de mal à personne, ils voulaient juste qu’on les laisse tranquilles.
– Ils veulent vous posséder! Ils vous mentent, s’écria alors le prêtre. Ils disent qu’ils ne veulent faire de mal à personne, mais ils veulent vous faire du mal, Carl! «
Carl déglutit et répondit au prêtre qu’ils le laisseraient tranquille s’il n’essayait pas de les faire partir. Ils voulaient rester ici car ils appartenaient à cet endroit.
– Ils appartiennent au monde des esprits, insista Glenn. S’ils effraient les gens ou les utilisent comme ils le font avec vous, alors ils font quelque chose qu’ils ne sont pas supposés faire. Par conséquent, il est temps pour eux de partir. «
Prenant une profonde inspiration, le révérend saisit les poignets de Carl et commença à prier à haute voix. A ce moment-là, Carl se mit à trembler violemment et il tenta de s’éloigner du prêtre mais ce dernier le maintenait fermement et il ne parvint pas à se libérer. Puis il commença à se tortiller mais le révérend Cole continua à prier sans faiblir, ordonnant aux esprits de le laisser tranquille et brusquement, Carl s’affaissa sur sa chaise. » Regardez-moi! » exigea le pasteur. Levant les yeux, le jeune homme affirma qu’il se sentait différent et le prêtre lui conseilla d’aller se reposer.
Larry Kidwell regarda le journaliste et les caméramans emballer leurs affaires et il sortit de la salle, déçu. Il pensait voir des objets flotter dans les airs et des gens léviter, comme dans les films d’horreur, mais rien ne s’était passé comme il l’espérait. Il se dirigea vers le pasteur Cole et les deux hommes sortirent du bâtiment. Dehors, ils croisèrent Carl, qui fumait une cigarette en regardant les étoiles. » Vous allez bien? lui demanda le révérend.
– Je vais bien. J’ai juste besoin d’être seul pour réfléchir.
– Je comprends. Je vous appellerai ou passerai parfois, si vous êtes d’accord.
– Bien sur, » répondit le jeune homme.
Alors qu’ils s’éloignaient, Glenn se tourna vers Larry et le regarda dans les yeux. » Ça n’est pas fini. Carl, ou l’esprit, me mentait. Les esprits ne sont pas partis! Carl les protège parce qu’il a terriblement peur, ou parce qu’il ne veut pas qu’ils partent.
– Tu plaisantes, s’exclama Larry. Pourquoi t’es-tu arrêté alors?
– Larry, ça n’est pas comme un film Hollywoodien. Nous avons affaire à de nombreux esprits ou des démons, et ce genre de chose doit être manipulé avec des gants. En premier lieu, les esprits ne vont pas se montrer d’eux-mêmes à une foule de gens. Si je peux les chasser, et j’utilise cette phrase prudemment, alors ils ne voudront pas beaucoup de témoins. Ce serait un excellent témoignage sur la puissance de Dieu! Le diable ne veut pas que les gens voient l’autorité qu’a Dieu sur lui. C’est pourquoi ils ont poussé Carl à me mentir, et c’est pourquoi ils sont toujours là!
– Qu’est-ce qu’on fait maintenant? demanda alors Larry en regardant l’entrée du nightclub.
– On revient et on essaie encore! déclara Glenn calmement. Et nous ne cesserons de revenir jusqu’à ce que nous ayons terminé. Mais la prochaine fois, nous reviendrons seuls! Je ne les ai pas trompés, ils savent que je vais revenir. Pour se débarrasser de ces esprits ou démons, je vais devoir prier et vite! C’est la seule façon!
– Quand voulez-vous y retourner?
– Je ne suis pas sur. Je vais prier et Dieu me permettra de savoir quand il sera temps de revenir. Cependant, je tiens à vous avertir: la prochaine fois pourrait être plutôt difficile! «
Les deux hommes marchèrent jusqu’à leurs voitures respectives et disparurent dans la nuit. Carl verrouilla la porte puis, se dirigeant vers son appartement, il dit à haute voix: » Je vous avez dit que je ne les laisserais pas vous chasser! «
Une semaine s’écoula sans signe des esprits et Carl se demandait si le prêtre n’avait pas réussi à les faire partir. Il n’avait plus de perte de mémoire, mais surtout, il se sentait en paix, ce qui ne lui était pas arrivé depuis longtemps.
Ce jeudi soir, vers 20h, le révérend Cole et Larry Kidwell roulaient sur la route 9, en direction de la discothèque de Bobby Mackey. En arrivant sur le parking, les deux hommes sortirent de la voiture et se dirigèrent vers Carl qui venait à leur rencontre, un grand sourire aux lèvres. Les invitant à rentrer, l’homme les conduisit jusqu’au salon, et brusquement, le prêtre lui demanda: » Les esprits sont toujours là Carl?
– Oui! » répondirent à l’unisson une multitude de voix rauques provenant du corps de Carl. » Nous sommes toujours là! «
A ce moment-là, Larry enclencha rapidement la caméra vidéo qu’il avait apportée avec lui mais à sa grande surprise, elle refusa de s’allumer et il comprit que la chose qui se trouvait là ne lui permettrait pas de filmer quoi que ce soit.
» Nous étions ici depuis longtemps quand vous êtes arrivés, grogna l’entité. Nous n’avons jamais fait de mal à personne, alors pourquoi voulez-vous que nous partions? Carl Lawson vaut-il toutes les vies qu’il vous en coutera si vous essayez de nous faire partir? «
Le pasteur sentait la peur de l’entité, mais quelque chose lui disait de ne pas pousser plus loin la confrontation. Brusquement, l’entité disparut, permettant à l’homme de reprendre le contrôle de son corps. Carl se plia en deux, et tenant son estomac de ses mains, il supplia le pasteur de l’aider. Quelque chose rentrait et sortait de lui à sa guise, et il n’en pouvait plus.
» Pour qu’ils vous laissent tranquille, ils doivent quitter le bâtiment Carl. Les esprits et les démons ne possèdent pas les bâtiments. Ils habitent les gens! Nous allons partir, mais nous reviendrons. Je veux que vous vous reposiez et que vous priez constamment jusqu’à notre retour. Demandez à Dieu votre délivrance. Mangez peu. Vous devez jeuner pour les chasser hors de vous! «
Carl acquiesça et regarda la pièce avec des yeux terrifiés. » Je vous appellerai avant de revenir, » mentit le prêtre, sachant que les esprits écoutaient. Il pensait, tout au contraire, se présenter sans prévenir personne.
Les deux hommes sortaient de l’établissement quand Carl prit brusquement conscience de son entrejambe humide. » Mon Dieu! » balbutia-t-il en défaisant sa ceinture. Son caleçon blanc était complétement imbibé du sang qui s’échappait de son corps. Il se précipita vers les toilettes des dames, laissa tomber son pantalon sur ses chevilles et tournant la tête vers le grand miroir, un cri lui échappa. » Noonnnnn, » gémit-il, fixant de ses yeux épouvantés les grandes plaies purulentes qui étaient apparues entre ses fesses. » Je suis désolé! Donnez-moi une autre chance! Je ne les laisserai plus revenir! «
Alors, il s’enfuit à l’étage, et pénétrant dans sa salle de bain, il remplit rapidement la baignoire d’eau bouillante, arracha ses vêtements et se jeta dedans, priant pour que l’eau arrête l’hémorragie avant qu’il ne soit trop tard.
Une nouvelle semaine s’écoula sans manifestation. Carl restait cloitré dans son appartement la plupart du temps et même si ses incroyables hémorroïdes commençaient à diminuer en taille, elles continuaient à saigner et elles lui faisaient insupportablement mal. Il avait été voir un médecin, qui lui avait prescrit des médicaments, mais malheureusement, ce traitement ne lui apportait que peu de soulagement.
Il était, de plus, en proie à des nausées et il ne faisait aucun doute que ces problèmes soudains étaient le fruit d’une malédiction infernale pour avoir laissé rentrer le pasteur Cole et lui avoir permis d’exorciser les esprits de la discothèque. Ne se sentant pas prêt à traverser la même chose une nouvelle fois, le jeune homme avait pris une décision. Quand le révérend appellerait, il lui donnerait une excuse bancale et le tiendrait à distance jusqu’à ce qu’il abandonne.
Le jeudi 8 août 1991, Carl tentait vainement de se réchauffer dans sa baignoire remplie d’eau chaude quand une odeur nauséabonde remplit la pièce, lui faisant prendre conscience d’une présence. Il souleva prudemment sa tête et brusquement, la porte de la salle de bain s’ouvrit violemment, allant cogner contre le mur. » Je te l’avais dit que le prédicateur allait nous e…….! » s’écria alors une voix rauque. » Qui est là? » murmura Carl du bout des lèvres. La porte se referma brusquement et l’odeur devint bientôt si forte que le malheureux vomit dans son bain le peu de nourriture qu’il avait réussi à ingérer ce jour-là. Puis, alors qu’il se relevait, l’entité lui laboura l’estomac, le frappa à la mâchoire, et Carl retomba dans l’eau, abasourdi. Alors, avant qu’il ne puisse esquisser un geste, la créature maléfique l’attrapa par les cheveux et poussa sa tête sous la surface de l’eau. Regardant à travers le liquide, il reconnut alors la silhouette d’Alonzo. L’homme retenait son souffle, donnait des coups de pieds et se débattait pour se libérer de l’emprise du fantôme, sans succès. » Dis à ce prédicateur de dégager! » Les mots explosèrent à ses oreilles et Carl se mit à paniquer, avalant de grandes gorgées d’eau alors que l’entité poussait sa tête contre le fond de la baignoire: » Dieu, aide-moi! «
Soudain, l’eau dans laquelle il était plongé se transforma en un sang des plus rouges et l’entité déclara d’une voix impérieuse: » Prosterne-toi devant Satan ou meurs maintenant. » » Je m’incline! » tenta de crier Carl, avalant plusieurs gorgées du liquide vermeil.
L’attaque prit fin aussi rapidement qu’elle avait commencé. Carl releva brusquement sa tête et, suffocant, il se mit à tousser violemment. Après avoir repris son souffle, il sortit de la baignoire et attrapant une serviette, il essuya le sang sur son corps. Puis, sans perdre un instant, il courut au salon, enfila rapidement un jean et une chemise, glissa ses pieds dans ses chaussures noires, dévala l’escalier et traversa le bar aussi vite qu’il le pouvait. Son esprit naviguait au bord de la folie et il voulait sortir du bâtiment avant de perdre complètement la tête mais en arrivant près de la porte d’entrée, soudain il se figea. Ohhh nnnoonnn, pensa-t-il en apercevant le révérend Glenn Cole et Larry Kidwell de l’autre côté de la vitre. » Ouvrez Carl, » lui cria le prêtre en l’apercevant. » Il est temps! «
Le jeune homme soupira et comprit la raison de l’attaque qu’il venait de subir. Les démons savaient que le pasteur était en route. Sortant sa clef à contrecœur, Carl la glissa dans la serrure il déverrouilla la porte.
» Quelque chose ne va pas? » lui demanda le prêtre en voyant son visage terrifié. Ne souhaitant pas déchainer une nouvelle fois la colère des esprits, Carl lui répondit que tout allait bien.
» Carl, » lui dit Glenn avec douceur. » Il est temps de mettre fin à tout ça une fois pour toutes. Je suis ici pour éloigner les esprits. Vous n’avez plus rien à craindre.
– Ne pouvons-nous pas remettre ça à un autre soir? Je suis vraiment fatigué et j’étais…
– Non! Les esprits savaient que je venais ici cette nuit pour les chasser. On ne peut plus reculer maintenant. Nous sommes ici pour en finir ce soir! «
Carl regarda Larry et le révérend Cole. Il était piégé. Le jeune homme proposa au prêtre de s’installer dans l’ancienne cuisine, et le révérend accepta en souriant. Larry avait amené avec lui deux caméras et sitôt rentré dans la pièce il commença à les installer puis, signalant qu’elles enregistraient, il ressortit et alla attendre au bar.
» Je suppose que nous sommes prêts, » déclara Glenn. Comme Carl se sentait nerveux le prêtre commença par le rassurer, lui parlant comme un père l’aurait fait à son fils, quand regardant dans ses yeux, il comprit qu’il ne s’adressait plus à lui mais à l’un des esprits. Puis brusquement, Carl se mit à marmonner d’une voix enfantine et le prêtre lui dit: » Carl! Tu as le pouvoir sur ces choses!
– Non, il ne l’a pas! » répondit une voix rauque. Elle était différente de celle de Carl, plus gutturale, menaçante.
– Et qui êtes-vous? » demanda le révérend, sans se départir de son calme.
– Sam! répondit l’esprit en ricanant.
– Sam qui? Quel est ton nom?
– Tucker, gronda la voix. Sam Tucker. Pourquoi veux-tu que nous partions? Nous sommes ici depuis des années. Il n’y a aucun moyen de nous obliger à partir. Nous ne dérangeons personne! «
Avant que le pasteur n’ait eu le temps de répondre, soudain une autre voix se fit entendre par l’intermédiaire de Carl. » Charlie! hurla la voix.
– Charlie qui? demanda Glenn.
– Charlie Lester!
– Quel âge as-tu Charlie?
– Je ne sais pas, répondit l’entité, visiblement troublé par la question du prêtre.
– Il est temps pour toi de partir, Charlie. Il est temps pour toi de rejoindre le royaume des esprits.
– Carl a besoin de moi! répondit Charlie.
– Non, il n’en a pas besoin! Tu dois partir!
– Je ne partirai pas! cria l’esprit. Si je pars, alors nous devons tous partir!
– Alors, partez tous! ordonna le révérend, de la colère dans la voix.
– Eh bien, bon sang! C’est à vous de partir! hurla l’entité. Nous sommes plus nombreux que ce que vous l’êtes!
– Je m’en fous, répondit Glenn. J’ai quelque chose de plus grand en moi que ce que vous avez! Tu vas partir! Tu comprends ça?
– Ah conneries! Si tu essaies de nous prendre Carl…
– Je n’amène Carl nulle part, interrompit le prêtre. Je te renvoie toi et tes amis au royaume des esprits auquel vous appartenez!
– Je n’appartiens pas au royaume des esprits! Nous n’avons pas eu assez de guerres. Il y a beaucoup de travail pour nous maintenant!
– Tu vas partir! Tu m’entends?
– Non! Je ne t’entends pas! répondit l’esprit en riant.
– Si, tu m’entends!
– L’enfer je suis, avoua le démon. Mon Seigneur est sur son chemin!
– Et bien, dis-lui de venir, le défia alors le prêtre.
– Quand Carl était un petit enfant, tout ce qu’il voulait, c’était aller à l’église et prier. Mais je l’ai eu alors qu’il tournait par ici, sur son vélo. Carl est si stupide! Il ne savait même pas ce qui lui arrivait!
– Il ne le savait pas, mais moi je le sais! Je te le dis, il est temps pour toi de partir! Regarde ce que j’ai ici, et tu sais ce que c’est! annonça Glenn en se penchant pour ramasser une Bible. Puis il la brandit devant le visage de Carl, et le démon grimaça et se mit à hurler: » Mets-toi ce stupide livre dans le c..
– Ce livre t’oblige à t’incliner devant Dieu. «
Le démon ricana avec dégout. Se plongeant dans les yeux de Carl, le prêtre sentit le mal le regarder en retour alors il prit une profonde inspiration et prononça ses mots: » Au nom de Jésus de Nazareth, je t’ordonne de partir. Je commande à Charlie et aux autres esprit, au nom de Jésus de Nazareth, de laisser Carl. Je vous ordonne à tous de partir maintenant, au nom de Jésus, et vous savez que ça marche. Vous devez partir maintenant! «
Le corps de Carl commença à s’arquer puis il essaya de s’éloigner de la table mais le révérend Cole lui saisit les poignets, l’obligeant à rester devant lui. Carl tirait violemment, essayant de se libérer de l’emprise du prêtre, en vain. » Nous seront gentils! promit l’entité en voyant qu’il ne parvenait pas à s’échapper.
– Sors du corps de Carl! Et partez maintenant! «
Soudain Carl leva ses yeux vers le prêtre, un mauvais sourire sur le visage. » Sais-tu à qui tu parles? demanda une nouvelle voix. Tu ne me fais pas peur, Saint Homme!
– Tu ne m’effraies pas non plus, répondit fermement le révérend.
– Je vais le faire pourtant! cria l’entité.
– Non, tu ne le feras pas! répondit Glenn. Tu vas partir, toi-aussi. «
Le prêtre resserra son emprise sur les poignets de Carl et commença à prier à haute voix, demandant une nouvelle fois aux démons de le laisser. Brusquement, le possédé se raidit, et les yeux révulsés, il se redressa sur sa chaise puis s’envola dans les airs, se libérant ainsi de l’étreindre de Glenn. Le corps retomba brutalement sur le sol, inerte, et le prêtre courut vers lui en criant: » Laisse-le au nom de Jésus!
– Va te faire foutre! s’écria alors un autre esprit. Allez tous vous faire foutre! Carl est à moi! Nous n’avons pas besoin de lui, nous avons besoin de son corps!
– Eh bien, vous ne l’aurez plus, répondit calmement le prêtre. Je vais t’attacher toi et les autres esprits au nom de Jésus-Christ, ce soir!
– Comment diable vas-tu m’attacher? demandèrent alors de multiples voix.
– Parce que Dieu est en moi!
– Avec quoi penses-tu pouvoir m’attacher. Mon Seigneur est en chemin, il arrive tout de suite!
– Amène-le, cria le pasteur Cole alors que la pièce se remplissait d’une odeur nauséabonde.
– Il descend, et je vais te dire, il n’y a pas un seul putain de Saint Homme qui reviendra ici et essaiera de nous chasser car nous sommes des centaines. Nous sommes ici depuis des années.
– Ça m’est égal! Tu vas partir, tu comprends ça?
– Je n’irai nulle part! Ce corps est mien! «
Soudain, Carl sauta sur une brouette qui gisait près de lui et, se mettant à quatre pattes, il se mit à grogner vicieusement, comme un animal sauvage. Alors, toutes les ampoules se mirent à vaciller, les portes du sous-sol commencèrent à claquer et un bruit monstrueux s’éleva du grenier. Brusquement, le possédé s’effondra sur le sol et il se mit à convulser. » Partez, vous les esprits, allez dans le monde auquel vous appartenez! » s’écria le pasteur en se précipitant vers Carl. Puis, luttant pour le maintenir à terre, il commença à prier à haute voix, sa main droite au-dessus de sa tête. Carl grognait, il haletait, et des sons étranges émanaient de son corps. Soudain, les murs de la salle commencèrent à trembler et le révérend commanda d’une voix forte! » Il est temps pour vous de partir! Au nom de Jésus-Christ de Nazareth, et avec l’autorité de la parole de Dieu, j’ordonne à chaque démon et esprit de partir et je commande à Carl Lawson de prendre le contrôle de son propre corps. «
Brusquement, une odeur fétide s’échappa de la bouche de Carl, et le prêtre comprit que les démons et les esprits quittaient son corps, les uns après les autres. Puis sa langue remua d’avant en arrière à plusieurs reprises, et une nouvelle voix commença à parler: » Ils sont tous partis, sauf moi!
– Qui es-tu?
– Tu parles à Alonzo! répondit l’esprit avec amusement. Si vous voulez cette m…., la tête de Pearl, creusez sous le plancher. Ils nous ont pendus, moi et mon ami pour ce crime. Saviez-vous ça? Et ce n’est pas tout! C’est moi qui ai jeté cette femme enceinte en bas des escaliers ici. Je suis mort pour avoir tué une femme enceinte et son bébé alors, un de plus. «
Le révérend ne comprenait pas de quoi lui parlait l’esprit. Il s’imaginait qu’il essayait de changer de sujet pour éviter d’être chassé alors, en réponse, il resserra son emprise sur Carl et recommença à prier. L’esprit gémit, lui cria d’arrêter, mais rien n’aurait pu retenir le prêtre. Soudain, le corps de Carl s’affaiblit, un soupir s’échappa de ses lèvres et il s’affaissa dans les bras de Glenn Cole.
Pendant de longues secondes, le pasteur garda le silence, puis il lui demanda d’ouvrir les yeux. Carl semblait perdu, presque confus, et le prêtre lui expliqua: » C’est fini, Carl. Vous êtes libre, mais je dois vous avertir de quelque chose. Quand un esprit, ou des esprits, sont chassés, ils cherchent dans le monde entier une nouvelle maison mais s’ils ne peuvent pas en trouver une, alors ils reviennent à leur ancienne maison et si cette maison n’est pas propre et remplie d’un autre esprit, ils reviennent avec sept autres, et c’est bien pire qu’avant. Il est très important que vous commenciez à aller à l’église. Vous devez vous combler avec le Seigneur Jésus, et plus que tout, vous ne devez jamais communiquer à nouveau avec ces esprits. Si jamais vous sentez leur présence, vous devez prier le Seigneur de vous laver et de vous purifier. Vous devez leur résister! Vous comprenez ça?
– Oui, répondit Carl, en regardant autour de lui.
– Jésus, chuchota une voix près de la porte. C’est fini? «
Larry se tenait à l’entrée de la pièce et il les observait, stupéfait. » Si je n’avais pas vu et entendu une partie de ce qui vient de se passer, je ne l’aurais jamais cru! déclara-t-il, les yeux remplis de terreur.
» C’est fini, » répondit le pasteur avec un sourire. » Je t’avais prévenu que ça ne serait pas comme un film Hollywoodien. Ce que tu viens de voir est une chose réelle, la puissance de Dieu sur les forces du mal. «
Le révérend aida Carl à se remettre sur ses pieds et les deux hommes s’assirent à la table pendant que Larry rassemblait son matériel vidéo.
Après une dernière prière, le prêtre conseilla au jeune homme de montrer dans son appartement pour se reposer un peu et il lui tendit une carte de visite de son église, lui proposant de l’appeler à tout moment s’il en éprouvait le besoin. Puis, il lui serra la main et lui tapota chaleureusement l’épaule. » C’est vraiment fini, lui dit-il en souriant. Nous allons nous quitter maintenant, mais une fois encore, n’invitez plus jamais ces esprits. Ne vous laissez pas entrainer par eux! Pas même par les amicaux. Si vous en invitez un, vous les invitez tous à revenir! Gardez toujours cette pensée dans un coin de votre tête! «
Carl remercia le révérend Cole et Larry. Il se sentait un homme nouveau, et il n’avait plus peur. Il les accompagna jusqu’à la porte et là, au moment des au revoir, il attrapa le prêtre et le serra fort dans son bras. Puis il referma la porte, et soudain une pensée s’imposa dans son esprit: » Le puits. Et s’il n’est pas scellé? «
Alors il se mit à courir à travers le bâtiment, traversa le sous-sol jusqu’à la Salle de Chine et se précipitant vers le trou, il vit que le puits était de nouveau scellé. Le mal avait disparu, et avec lui, tous les problèmes de santé dont il était affecté. Il se dirigea vers son appartement, un sourire sur les lèvres, et, avant de se reposer, il se dit qu’il devait appeler Janet pour lui annoncer la bonne nouvelle. Il composait son numéro quand soudain il prit conscience que Buck et Johanna, ses meilleurs amis, étaient partis eux-aussi. » Mince! murmura-t-il sans se souvenir de l’avertissement du révérend Cole. J’aimerais qu’ils reviennent! «
Lorsque Janet décrocha son téléphone, elle entendit un léger clic et un faible bourdonnement dans le combiné. » Y a quelqu’un? » demanda Carl, avant de raccrocher. Alors, soupirant profondément, il se dit qu’il avait besoin de repos.
Six heures d’exorcisme furent nécessaires pour venir à bout des entités qui se servaient du corps de Carl Lawson. L’enregistrement vidéo de cet exorcisme est disponible sur YouTube.
Jamais le nightclub ne fut véritablement délivré des entités qui le hantaient et, au fil des années, les témoignages se sont accumulés. En 1994, un client de la boite de nuit affirma avoir été attaqué par un fantôme et il tenta de poursuivre Bobby Mackey devant les tribunaux. Fort heureusement, son cas fut rejeté.
L’histoire de Carl Lawson et du Bobby Mackey’s Music World a fait l’objet de nombreuses émissions télévisées, dont It’s Real et A Haunting en 2006. En 2009, lors d’une enquête dans les sous-sols de l’établissement, l’équipe de Ghost Adventures aurait réussi à capturer de nombreuses manifestations, principalement des voix mais également des orbes et la silhouette d’un homme portant un chapeau. De plus, alors qu’il provoquait les forces en présence, Zak Bagans aurait été sauvagement griffé par une entité, comme semble en témoigner les traces dans son dos.
A la fin du tournage, l’équipe de Ghost Adventures aurait invité une centaine de personnes à expérimenter les phénomènes afin de leur prouver que tout ce qu’ils rapportaient était vrai. Ils pensaient en faire un concept et l’intégrer à chaque émission mais malheureusement, la situation aurait complétement dégénéré et les conséquences en auraient été dramatiques, aussi bien pour l’animateur, que pour les membres de son équipe ou certains des participants. Zak Bagans aurait donc décidé de consacrer un second épisode au Bobby Mackey’s Music World, afin de donner la parole aux différents témoins de cette soirée. Au cours de cet épisode, l’équipe serait rentrée en contact avec Scott Jackson, qui aurait avoué avoir tué Pearl.
Carl Lawson est mort le 26 janvier 2012, à seulement 53 ans, et un mémorial lui a été élevé à l’entrée de la boite de nuit. En hommage à sa mémoire, Zak a fait une nouvelle visite au Bobby Mackey’s Music World et à cette occasion il aurait réussi à enregistrer un message post-mortem du défunt Carl.
A la question Zak Bagans et son équipe pensent-ils tourner un nouvel épisode au Bobby Mackey’s Music World, la réponse est claire: » Je ne veux plus jamais y retourner parce que j’ai eu beaucoup de problèmes de santé et un tas de merdes depuis que nous l’avons visité. J’ai paniqué à cause de cela. Ça n’a pas été très amusant et j’en ai fini avec cet endroit. C’est pourquoi vous verrez… vous remarquerez dans les nouvelles saisons que je ne provoque vraiment plus beaucoup. Je ne vais pas vous mentir; à ce jour, je suis un peu flippé. J’ai appris ma leçon. Je savais que quelque chose de maléfique avait un effet néfaste sur nous, et ça provenait de ce lieu. J’espère que tout va bien maintenant, mais vraiment, j’en ai fini avec tout ce qui concerne cet endroit. «
Depuis, Matt Coates le remplace comme homme à tout faire au Bobby Mackey’s Music World. Avant de travailler pour les Mackey, Matt ne croyait pas aux fantômes mais depuis, les choses ont changé. Il aurait entendu des choses, il aurait vu son sac d’outils et des objets personnels disparaitre et surtout, il aurait été projeté contre l’un des murs du sous-sol par une force, qui semblait posséder des bras. A une occasion, il se serait même senti légèrement possédé, en proie à des sentiments de colère et d’hostilité extrêmes qui se seraient estompés en quittant l’établissement. Interrogé sur les raisons qui le poussent à rester malgré ces événements, alors Matt répond en haussant les épaules qu’il se sent attiré par le vieux bâtiment. Janet a perdu la vie en 2009, et j’ignore la cause de son décès. Quand à Bobby, bien qu’il ait écrit une chanson en l’honneur de Johanna, il affirme toujours ne pas croire aux fantômes.
Source: The Exorcism Of Carl Lawson (America’s Most Documented True Story of A Haunting and Exorcism), de Douglas Hensley.