L’histoire suivante fut rapportée par le spiritualiste bien connu S. C. Hall, qui la tenait d’une dame appartenant à la famille concernée. Elle lui avait accordé la permission de la publier, demandant cependant à ce que son nom soit caché, ainsi que celui des lieux où se déroulèrent les faits.
» Dans les années 1820, nous abandonnâmes notre maison de Suffolk, en Angleterre, et nous nous installâmes dans une petite ville portuaire française. A cette époque, notre famille était composée de mon père, de ma mère, de ma sœur, de mon frère, d’une domestique anglaise et de moi-même. Notre nouvelle maison n’était pas vraiment éloignée de la civilisation mais elle se dressait sur une plage isolée, loin de toute habitation.
Un soir, alors qu’il revenait de la ville, mon père aperçut un homme drapé dans un long manteau assis sur une pierre, à quelques mètres de la maison. En passant près de lui, il le salua respectueusement mais il n’obtint aucune réponse. Il poursuivit son chemin sans s’en offenser mais avant de pousser la porte il se retourna pour le regarder et il découvrit que l’inconnu avait disparu. Stupéfait, il fit alors demi-tour pour inspecter les lieux, se tournant dans toutes les directions sans voir personne, et comme il n’existait aucun endroit pour se cacher, alors il se résolut à rentrer.
En arrivant au salon, où nous étions tous réunis, il s’écria joyeusement: » Mes enfants, j’ai vu un fantôme! » Nous rîmes de bon cœur mais quelques heures plus tard ma sœur et moi, qui étions alors âgées de vingt et dix-huit ans, commençâmes à entendre des bruits étranges, qui semblaient venir de plusieurs endroits dans la maison et qui se répétèrent au cours des nuits suivantes. Parfois il nous semblait que quelqu’un se plaignait amèrement sous nos fenêtres, d’autres fois des grattements et des raclements retentissaient sur nos volets et souvent nous entendions le bruit d’une bagarre sur le toit, comme si un grand nombre de personnes s’étaient retrouvées engagées dans une violente lutte. Nous ouvrions alors la fenêtre et nous les interpellions à haute voix, sans jamais obtenir de réponse.
Quelques jours plus tard, des bruits de coups s’élevèrent dans la chambre où je dormais en compagnie de ma sœur. Ces coups, qui étaient particulièrement vigoureux, se succédaient parfois à un rythme rapide, nous pouvions en compter vingt ou trente par minute, et d’autres fois il s’écoulait un intervalle d’une minute entre l’un et l’autre. Le lendemain, terrifiées, nous nous empressâmes de rapporter l’étrange phénomène à nos parents, mais nous ne reçûmes en réponse que des reproches et ils qualifièrent nos affirmations de sottes fantaisies. Cependant, peu de temps après, ils entendirent à leur tour les bruits de l’extérieur et les coups dans notre chambre, et ils durent reconnaître leurs torts. Les manifestations du fantôme furent alors traitées avec les égards qui leur revenaient. D’une étrange manière, jamais nous ne fûmes vraiment épouvantés par les bruits inexplicables et nous finîmes même par nous y habituer. Une nuit, alors que les coups habituels résonnaient dans notre chambre, il me vint l’idée de m’adresser au fantôme: » Si tu es vraiment un esprit, frappe six coups. » Et aussitôt, six coups retentirent. Les manifestations continuèrent ainsi pendant plusieurs semaines, et au fil du temps elles finirent par perdre tout caractère désagréable pour nous.
Je dois vous raconter la suite de l’histoire, qui est tellement merveilleuse que si les membres de ma famille n’étaient pas là, prêts à témoigner de son authenticité, je n’oserais vous la révéler. Mon frère était alors âgé de douze ans mais il est aujourd’hui devenu un homme célèbre dans sa profession et il est prêt à confirmer les faits dans tous leurs détails. Un jour, au concert de coups joués dans notre chambre, vint se rajouter quelque chose qui ressemblait à une voix humaine. La première fois que le phénomène se produisit, nous nous trouvions au salon, et nous venions d’entonner un chant populaire avec accompagnement au piano quand la voix mystérieuse s’unit au chœur de nos voix. Bien évidemment, nous fûmes tous surpris et nous commençâmes par douter du phénomène, qui aurait pu être attribué à notre imagination exaltée, mais nous ne restâmes pas longtemps dans de telles dispositions car la voix ne tarda à se manifester à nouveau, parlant distinctement et prenant part à nos conversations. Elle était gutturale, prononçait chaque parole avec lenteur et solennité, et s’exprimait en français.
L’esprit, car nous l’avions désigné ainsi, nous avait dit s’appeler Gaspard, mais il gardait de nombreuses choses secrètes et chaque fois que nous lui posions une question sur son histoire et les conditions de son existence, il s’abstenait de répondre, refusant même de nous révéler la raison de sa présence. Nous le considérions comme d’origine espagnole, mais en vérité je ne saurais dire pourquoi. Il nous appelait par nos prénoms et fuyait les discussions sur la religion, préférant nous inculquer des maximes sublimes de moralité chrétienne. Mais plus encore que tout cela, il semblait soucieux de nous faire comprendre que la vraie sagesse consistait à mener une vie vertueuse et que la vraie beauté de l’existence sur terre se trouvait dans l’harmonie domestique. Un jour que ma sœur et moi nous disputions pour un détail sans importance, sa voix se fit entendre qui formula une sentence: » M… a tort, S… a raison. » Il nous conseillait souvent et toujours pour le mieux. Parfois, se sentant probablement l’âme d’un poète, il se mettait à déclamer des vers.
Un jour, alors que mon père cherchait fébrilement des documents qu’il craignait d’avoir définitivement perdus, la voix de Gaspard s’éleva et elle lui indiqua l’endroit exact où ils se trouvaient, dans notre vieille demeure de Suffolk. Peu de temps après les papiers furent retrouvés, exactement à la place qu’il lui avait indiquée. L’esprit se manifesta pendant plus de trois ans et durant cette période chaque membre de la famille, y compris les domestiques, put entendre sa voix. Sa présence, car nous ne pouvions douter qu’il fût réellement présent, était toujours un plaisir pour nous, et nous avions fini par le considérer comme un hôte et un protecteur. Un jour il annonça: » Je dois m’absenter pour quelques mois. » Alors, pendant plusieurs mois nous ne perçûmes plus sa présence et lorsque enfin un soir la voix bien connue résonna, annonçant » Me voici de nouveau parmi vous! » nous saluâmes tous joyeusement son retour.
Dans les moments où il parlait, personne ne voyait des fantômes mais un soir mon frère osa demander: » Gaspard, comme je serais heureux de te voir! » Et la voix lui répondit: » Va au fond de la cour je viendrai à ta rencontre et tu me verras. » Mon frère se rendit alors à l’endroit indiqué et peu de temps après il en revint en criant: » J’ai vu Gaspard! Il était enveloppé dans un grand manteau, avec un chapeau à larges bords sur la tête. Je l’ai regardé sous le chapeau, et lui aussi m’a regardé en souriant! » » Oui, confirma la voix. C’était bien moi. «
Quelque temps plus tard, nous retournâmes à Suffolk et ici, comme en France, Gaspard continua de converser avec nous. Malheureusement, quelques semaines plus tard, il annonça tristement: » Je suis obligé de prendre congé. En continuant à m’entretenir avec vous, je vous causerais des ennuis car vos rapports avec moi seraient mal interprétés et sévèrement condamnés dans ce pays. » Nos adieux furentt extrêmement pénibles et émouvants, et depuis ce jour plus jamais nous n’entendîmes résonner la voix de notre ami Gaspard. «
Source: Les Phénomènes de Hantise d’Ernest Bozzano.