En 1730, John Beswick et sa demi-sœur Hannah habitaient le manoir de Birchen Bower, une grande ferme en forme de croix avec quatre maisons à pignon, près de Hollinwood, en Angleterre. Leur père était mort en 1706, alors qu’ils n’étaient encore que des enfants en bas âge. Hannah avait alors quatre ans et son frère deux. John était devenu un homme riche, par héritage et par son propre travail, mais il était affligé d’une si mauvaise santé qu’il avait été obligé de se retirer à Birchen Bower dans l’espoir de récupérer. Malheureusement, en 1737, sa mort devint une évidence et il fit son testament, léguant la majeure partie de son immense fortune à sa sœur. Il succomba quelques mois plus tard.
Hannah Beswick hérita de Birchen Bower, mais également de chalets, de maisons, de terres, d’une forge, et d’une grande propriété. Elle était, de l’avis de tous, une femme active qui gérait extrêmement bien sa succession. Au cours des années suivantes, elle vécut une existence solitaire et même si tout le monde l’appelait Madame Beswick, par respect pour sa situation, jamais elle ne se maria.
En 1745, Hannah menait une vie paisible quand ses biens lui parurent grandement menacés par la révolution jacobine. Des rumeurs lui étaient parvenues que le Prince Charles traversait le Lancashire vers le sud, et craignant que les Highlanders ne pillent ses richesses, elle décida d’enterrer de grosses sommes d’argent et des objets de valeur sur sa propriété. Sa réaction n’avait rien d’inhabituelle, bien au contraire. En ces temps troublés, ensevelir ses « trésors » était souvent la première pensée de ceux qui craignaient pour leur fortune. Cependant, une fois le danger passé, Hannah laissa toutes ses affaires dans leurs cachettes et elle ne révéla jamais à personne l’endroit où elles se trouvaient.
Elle continua à cultiver ses terres jusqu’à ses cinquante ans, puis la détérioration rapide de sa santé l’obligea à renoncer à toute activité. Elle se retira alors dans une petite maison de pierre, près d’un moulin à eau, et elle y vécut le reste de sa vie. Sa solitude était seulement égayée par les rares visites de ses parents et par la présence de son médecin personnel, M. Charles White, de Manchester, un jeune chirurgien à la réputation grandissante. Hannah avait promis à ses proches de leur indiquer l’endroit, ou les endroits, où étaient cachés son argent et ses objets de valeur s’ils la transportaient au manoir de Birchen Bower, mais ils tardèrent à le faire et brusquement, son état se dégrada. Ses souffrances furent grandement atténuées grâce à l’habileté inventive du docteur White, mais il ne put rien faire pour la sauver et elle mourut en emportant son secret.
D’une étrange manière, aucunes funérailles ne furent organisées pour Hannah, qui était âgée de cinquante-six ans au moment de sa mort, en 1758. Depuis des années, la pauvre femme était terrifiée à l’idée de se retrouver enterrée vive, et pour éviter une aussi déplaisante situation, elle avait passé certains arrangements avec son médecin, lui demandant d’embaumer son corps et de le laisser à l’air libre. Cette idée lui était probablement venue après la mésaventure de son frère John, qui avait été considéré comme mort et sauvé de justesse, au moment de refermer le cercueil. Le couvercle allait être vissé quand certains des spectateurs avaient cru deviner des signes de vie. Des fortifiants avaient alors été administrés au malheureux, qui était resté inconscient pendant plusieurs jours mais qui avait fini par reprendre connaissance. Personne n’en était vraiment sûr, elle n’en avait jamais parlé, mais ses proches supposaient qu’elle avait été traumatisée par cette expérience.
Certains prétendirent qu’elle avait offert une véritable fortune, vingt-cinq mille livres, à M. White pour qu’il se conforme à ses volontés, mais selon son testament, elle ne lui légua que cent livres. La somme n’était certes pas négligeable mais elle n’était en rien comparable à celle rapportée par la rumeur. Elle légua Birchen Bower à l’une de ses cousines, laquelle devait le transmettre à sa fille à sa mort. Si les deux femmes venaient à disparaitre, alors le manoir Charles White devait hériter du manoir. Hannah ne faisait aucune mention de son embaument dans son testament, mais selon une lettre écrite par l’un de ses fiduciaires, elle avait clairement demandé à ses exécutrices testamentaires et à son médecin que son corps soit ainsi conservé, et elle leur avait laissé quatre cents livres à cet effet.
M. White, qui était alors âgé de trente ans et qui était doté d’un caractère très énergique, embauma le corps de la défunte avec du goudron et des bandages épais, laissant seulement son visage exposé. La momie fut ensuite amenée à Chestwood Old Hall, la maison ancestrale des Bewick, et conformément aux dernières volontés d’Hannah, ses deux héritèrent habitèrent avec elle pendant deux ans. Le docteur White, qui était un collectionneur passionné de sujets anatomiques, prit ensuite possession de la momie et il la garda pendant de nombreuses années dans sa maison de King Street, à Manchester. Quand il prit sa retraite il l’emporta avec lui dans sa maison de campagne, The Priory, à Sale, et il la plaça dans son musée privé, qui contenait des centaines de sujets anatomiques et toutes sortes de bibelots.
Le médecin conservait le cadavre d’Hannah Beswick à l’intérieur d’une horloge de grand-père dont le cadran avait été enlevé. La tête de la momie apparaissait par le cadran, mais elle était généralement recouverte d’un voile de velours blanc. M. White avait promis à Hannah de soulever le voile deux fois par an, en présence de deux témoins pour en témoigner, et il ne manquait jamais de le faire.
En 1802, M. De Quincey, qui était alors adolescent et qui avait toujours considéré la momie avec une inexprimable crainte, profita de son amitié avec Lady Carbery pour visiter la collection privée du chirurgien. A sa grande déception, le velours blanc recouvrait toujours le visage de la momie, et aucune offre pour le leur montrer ne fut faite. Les deux jeunes gens étaient dévorés par la curiosité mais la courtoisie exigeait de ne pas demander ouvertement à le voir et ils se retinrent de le faire. M. White leur prêta la clef du musée puis il les laissa déambuler à leur guise et personne n’osa soulever le voile. Durant toute la visite, M. De Quincey n’eut qu’une seule pensée, aussi excitante qu’effrayante : « Pourvu, » se disait-il, « pourvu que personne ne demande perfidement : Quelle heure est-il ? »
Au cours de la même période, alors que la momie d’Hannah Beswick trônait incongrument dans l’horloge, des phénomènes étranges commencèrent à se produire à Birchen Bower. Le fantôme d’Hannah apparaissait parfois dans les environs de la maison, et il semblait toujours dans un grand état d’agitation. Des bruits étranges se faisaient entendre, les animaux se montraient nerveux et parfois, au beau milieu de l’hiver, la grange, qui semblait être au cœur de l’activité, s’éclairait d’une lumière surnaturelle. Ces perturbations s’accentuaient tous les sept ans à la même période, à l’anniversaire de sa mort, puis elles retrouvaient leur rythme habituel.
Des dispositions avaient été prises par Hannah pour que le médecin ramène son corps à Birchen Bowen tous les vingt-et-un ans et qu’il y soit laissé pendant une semaine. M. White, l’aurait ainsi transportée au manoir en 1779, puis en 1800, alors que ses trois enfants se partageaient la jouissance de la propriété. En 1792, la seconde exécutrice testamentaire était morte, et il avait hérité du manoir. Il l’avait ensuite loué au comte de Derby, en faveur de ses enfants.
A chaque fois qu’elle revenait à Birchen Bowen, la momie était entreposée dans le grenier et la nuit suivant son arrivée, quelque chose libérait toujours les chevaux et les vaches de la propriété, qui étaient retrouvés errants ici et là dans la campagne environnante. Parfois, une vache était découverte au grenier et tout le monde s’étonnait de ce prodige. Le passage menant au grenier était tellement étroit qu’un animal d’une telle corpulence n’aurait pas pu y passer, même en forçant.
Puis, au fil du temps, le fantôme d’Hannah se fit plus distinct et il commença à se manifester à la même fréquence tout au long de l’année. Le manoir de Birchen Bowen avait été divisé en appartements, qui étaient principalement occupés par des tisserands, et souvent ils entendaient le fantôme de « Madame » Beswick déambuler dans les couloirs. Elle apparaissait régulièrement dans un certain logement, et ses manifestations étaient devenues si habituelles que ses occupants ne s’alarmaient même plus de la voir. Parfois, quand ils étaient assis pour le souper, un froissement de soie se faisait entendre à l’entrée, et la dame en noir apparaissait. Elle traversait silencieusement la salle jusqu’au salon, et brusquement elle disparaissait, toujours au même endroit, sur la même vieille dalle. Comme l’esprit semblait inoffensif et qu’il s’ennuyait personne, son arrivée ne causait jamais aucune excitation, tout juste une exclamation de surprise. « Regardez, la vieille dame ! Elle est revenue ! » s’écriaient parfois les enfants.
Un autre locataire, qui habitait une autre partie du bâtiment, possédait un tour à bois dont il se servait pour fabriquer des choses bizarres à ses voisins, et le soir, quand il rentrait dans son petit atelier, il trouvait parfois la pédale de la machine en plein mouvement, comme si elle avait été utilisée par un visiteur invisible.
Quelques années plus tard, il apparut que l’un des tisserands qui avait habité à Birchen Bowen, Joe, de « Joe at Tamer’s, » avait trouvé une partie du trésor caché de « Madame. » Sa découverte avait été faite à la fin du XVIIIe siècle, lors d’une grave crise économique. Tous les tisserands étaient alors désespérés par le manque de nourriture mais Joe ne semblait pas souffrir comme les autres. Pourtant, il devait subvenir aux besoins d’une grande famille avec des enfants en bas âge, mais quand de la nourriture ou des vêtements lui étaient proposés, il disait toujours n’avoir besoin de rien.
Des rumeurs avaient alors commencé à courir que Joe avait trouvé le trésor mais pendant des années, il avait refusé de l’avouer. Et puis, dans son grand âge, il avait par céder et il avait raconté comment la fortune lui était venue. Un jour, il avait retiré le plancher de la pièce hantée avec l’intention d’y installer un métier à tisser pour l’un de ses enfants qui voulait apprendre le métier et en creusant le trou de la pédale il était tombé sur un coffre rempli de coins d’or. Surpris et ravi, il ne l’avait dit à personne mais il avait secrètement amené sa trouvaille à des bijoutiers de la place Saint-Anne, à Manchester, lesquels lui avaient donné soixante-dix shillings pour chaque pièce d’or. Le coffre d’étain fut longtemps conservé par ses descendants et des siècles plus tard, les gens de la région se racontaient toujours l’histoire de Joe.
Malgré cette découverte, le fantôme d’Hannah continua à hanter la vieille maison et les autres domaines de sa succession. De nombreuses personnes prétendaient avoir vu son fantôme rôder près du puits de Bower Clough et plus personne ne voulait aller y chercher de l’eau après la tombée de la nuit. Les habitants des environs, les adultes comme les enfants, étaient tellement effrayés à l’idée de rencontrer le spectre qu’ils préféraient remplir leurs seaux des eaux douteuses du nouveau canal Rochdale plutôt que de s’approcher du puits hanté.
En 1808, Charles White présenta sa collection anatomique à l’hôpital St Mary de Manchesty, mais il laissa volontairement la momie de Mlle Beswick dans le grenier de sa maison. En 1811, après la mort de ses trois enfants, il abandonna la jouissance de Birchen Bower à son petit-fils. Il mourut en 1813, à quatre-vingt-quatre ans, complétement aveugle, mais dans les mois précédant sa disparition, il confia la momie à un certain Dr Ollier, lequel l’avait assisté pendant sa maladie. En 1829, M. Ollier se débarrassa de la momie et d’autres spécimens de la collection de Charles White en les offrant au Musée d’Histoire Naturelle de Manchester.
La momie, qui avait été enlevée de l’horloge et déposée dans cercueil, fut alors exposée au musée et elle resta une attraction populaire pendant de nombreuses années. « L’ombre froide de la momie planait sur Manchester au milieu du XVIIIe siècle, » écrivit Edith Sitwell. Le cercueil trônait dans le hall d’entrée, entre une momie péruvienne, une égyptienne, un éléphant, une girafe et d’autres animaux empaillés, y compris la tête de Old Billy, un cheval qui avait vécu soixante-et-un ans. Sur son couvercle un petit billet indiquait simplement « La momie de Mlle Beswick. » Elle avait été assurée pour seulement dix livres, contre quatre-vingt pour l’éléphant. En 1850, un historien local la décrivit ainsi : « Le corps était bien conservé mais le visage était ratatiné et noir. Les jambes et le tronc avaient été enveloppés dans un tissu solide, semblable à celui utilisé pour les draps de lit. Le corps était celui d’une petite femme. Il se trouvait dans une boîte en verre en forme de cercueil. »
Hannah était morte depuis près d’un siècle et son histoire s’était perdue dans le temps. Aucun enregistrement n’avait été conservé, et plus personne ne connaissait l’identité de la momie. Quand les visiteurs les interrogeaient, les guides du musée répondaient que le corps était celui d’une femme de Manchester, qui avait donné une certaine somme aux nécessiteux à condition de ne jamais être enterrée.
En 1868, les collections du musée de Peter Street furent transférées au Owen’s College, qui venait tout juste d’être construit, mais les commissaires chargés de l’arrangement des nouvelles expositions se prirent d’une terrible aversion pour la momie, et ils refusèrent de la garder. Une fois identifiée, ils contactèrent les plus proches descendants d’Hannah Beswick, mais aucun ne voulut la récupérer. Alors, comme ils ne savaient pas quoi en faire, ils décidèrent de la faire enterrer. Il apparut alors qu’aucun certificat de décès ne prouvait qu’elle était officiellement morte et ils durent déposer une demande spéciale d’inhumation auprès du ministère de l’Intérieur.
La permission du ministre et celle de l’évêque ayant été obtenues, Hannah Beswick fut finalement ensevelie dans le cimetière d’Harpurhey, à Manchester, le 22 juillet 1868, soit cent-dix ans après sa mort. Sa tombe, qui avait été répertoriée sous le numéro 223, se situait quelque part dans le cimetière de Harpurhey, entre un enchevêtrement de buissons et des pierres tombales plates recouvertes d’herbe. Les dossiers du registre disaient : « Aucune relation ou ami n’étaient présents à l’enterrement et aucune pierre ou mémoire n’a été mise sur la tombe. »
La presse ne fit pas grand cas de l’affaire, mais le Manchester Guardian décrivit l’enterrement comme curieux et un autre correspondant écrivit avec optimisme : « Il se pourrait bien que ses vagabondages posthumes aient enfin cessé. » Malheureusement, si le corps d’Hannah reposait en maintenant en terre consacrée, son esprit n’était toujours pas en paix.
Son fantôme était souvent remarqué dans l’ancienne maison de Charles White, The Priory, où elle avait longtemps séjourné, et au manoir de Birchen Bower. Elle continuait à errer près du vieux puits, terrifiant les malheureux qui tentaient de s’en approcher. Un soir, au crépuscule, un villageois qui allait remplir son seau d’eau vit une femme vêtue d’une robe de soie noire et d’un bonnet à jabot en dentelle blanche debout près du puits. Intrigué, il s’avança de quelques pas et remarquant brusquement son attitude menaçante et la lumière bleu clair qui émanait de ses yeux, il tourna rapidement les talons et s’enfuit en courant.
En fait, rien n’avait changé. A chaque septième anniversaire de sa mort, les perturbations se faisaient plus intenses. Un matin du quatre-vingt-dix-huitième anniversaire après sa mort, la vache d’un agriculteur voisin avait été retrouvée dans le grenier à foin. Comment l’animal avait pu arriver jusque-là était resté un mystère. Il avait fallu élargir la porte en enlevant des blocs de pierre du mur pour le faire ressortir de la grange.
Vers la fin du XIXe siècle, l’aile sud de la maison avait été entièrement démolie, et la grange était devenue le théâtre d’une multitude de phénomènes. Les nuits mornes et sombres, une lueur rouge incandescente semblable à celle d’un feu pouvait être vue par les trous et les fissures du bâtiment, d’où émanaient alors d’étranges bruits. Parfois, le spectacle était si saisissant que les personnes qui vivaient à proximité sonnaient l’alarme et couraient prévenir le propriétaire que sa grange était en feu. Cependant, quand les hommes fouillaient l’endroit, jamais ils ne trouvaient rien.
Le fantôme tourmenté d’Hannah poursuivait également sa hantise sur les différentes propriétés de sa succession. Les nuits de pleine lune elle pouvait être observée en train de marcher, parfois sans tête, entre l’ancienne grange et l’écurie, disparaissant toujours au même endroit, près du bassin. Ses promenades nocturnes avaient donné naissance à une légende, qu’elle avait enterré là de l’argent ou d’autres objets précieux lors de l’avancée du prince Charles, et qu’elle révélerait l’emplacement exact de son trésor à celui qui serait assez courageux pour parler à son fantôme. Malheureusement, personne ne s’y risqua.
En 1890, le manoir de Birchen Bower fut démoli pour laisser la place à une briqueterie, et les entrepreneurs retrouvèrent des restes humains dans un double cercueil enterré sous le salon. Personne ne découvrit jamais leur origine mais comme le Dr White avait occupé cette pièce pendant un temps, certains supposèrent qu’ils étaient peut-être liés à l’embaumement d’Hannah.
Après la destruction de la maison, les phénomènes se firent plus rares, sans s’arrêter complétement. En 1956, une usine Ferranti fut construite sur le site, et la hantise reprit de plus belle. Au mois d’avril, plusieurs employés virent la silhouette d’Hannah déambuler dans le nouveau bâtiment. Elle apparut plusieurs nuits d’affilé et quarante hommes en furent témoins. Elle fut également observée alors qu’elle se tenait debout, à l’entrée de l’usine, en 1968. En 1972, elle fut à nouveau remarquée alors qu’elle errait dans la cuisine de la cantine. En 1981, elle se montra une nouvelle fois à l’intérieur des bâtiments de l’usine et certains ouvriers rapportèrent que parfois, les machines se mettaient en marche toutes seules.
The Mummy of Birchen Bower and Other True Ghosts d’Harry Ludlam.