Au début du XXe siècle, au cours de l’un de ses séjours à Paris, M. Elliott O’Donnell, un écrivain bien connu pour ses livres sur les phénomènes de hantise, rencontra un français qui venait de rentrer de l’Est. M. O’Donnell lui demanda s’il avait ramené quelques curiosités, telles que des vases, des urnes funéraires, des armes ou des amulettes, et ce dernier lui répondit alors: » Oui, de nombreuses. Deux caisses complètes. Mais pas de momie! Mon Dieu, pas de momie! Vous me demandez pourquoi? Ah! J’ai une histoire et si vous avez la patience de l’écouter, alors je vais vous la raconter.
Il y a quelques saisons de cela j’ai voyagé depuis le Nil jusqu’à Assiout, et je me suis arrangé pour visiter les ruines grandioses de Thèbes. Parmi les différents trésors que j’ai rapportés avec moi, était une momie. Je l’avais trouvée couchée dans un énorme sarcophage sans couvercle, près d’une statue mutilée d’Anubis. A mon retour à Assiut, j’ai placé la momie dans ma tente et je n’ai plus pensé à elle jusqu’à ce que quelque chose me réveille avec une soudaineté surprenante au beau milieu de la nuit. Obéissant à une impulsion particulière, je me suis alors retourné sur le côté et j’ai regardé dans la direction de mon trésor.
A cette époque de l’année, les nuits du Soudan sont brillantes, parfois même il est possible de lire et dans le désert toutes les choses sont presque aussi clairement visibles qu’en plein jour, mais j’ai été particulièrement surpris par la blancheur de la lueur qui se reflétait sur la momie, dont le visage se trouvait juste en face du mien. Les restes, ceux de Met-Om-Karema, dame de l’Ordre du dieu Amon-ra, étaient enveloppés de bandelettes, dont certaines étaient partiellement usées ou se détachaient. La silhouette de la momie, qui était nettement perceptible, était celle d’une femme bien faite au buste élégant, aux membres bien formés, au bras arrondis et aux petites mains. Les pouces étaient minces et les doigts, dont chacun avait été bandé séparément, longs et effilés. Le cou était plein, le crâne plutôt long, le nez aquilin et le menton bien dessiné. Des yeux, des sourcils et des lèvres avaient été peints sur les bandelettes et l’effet à la lueur phosphorescente des rayons de la lune était très étrange. J’étais tout seul dans la tente, le seul européen qui m’avait accompagné à Assiut ayant préféré séjourner à la ville et mes serviteurs campant à une centaine de mètres de moi, sur le site même.
Les sons voyagent loin dans le désert mais le silence était maintenant absolu et même en écoutant attentivement, je ne pouvais pas distinguer le moindre bruit. Les hommes, et plus étrange encore les bêtes et les insectes semblaient anormalement calmes. Il y avait aussi quelque chose dans l’air qui me paraissait inhabituel. Une froideur moite, étrange, qui m’a tout de suite rappelé les catacombes de Paris. Je venais tout juste de réaliser la ressemblance quand un sanglot bas et doux, mais très distinct, m’a fait frissonner d’horreur. C’était ridicule, absurde. Une telle chose ne pouvait pas exister et je me battais contre l’idée qui tentait de s’insinuer dans ma tête, la jugeant bien trop fantastique et tout à fait impossible. J’ai essayé de m’occuper l’esprit avec d’autres pensées, je tentais de me concentrer sur les frivolités du Caire, les casinos de Nice, mais tout cela en vain et bientôt le même son, le faible et doux sanglot, a une nouvelle fois résonné à mes oreilles impatientes et lancinantes. Mes cheveux se sont alors hérissés. Cette fois, il n’y avait aucun doute, tout était très clair, la momie était en vie! Je l’ai regardée, atterré. J’ai scruté la silhouette pour voir si je détectais un mouvement dans ses membres, mais aucun n’était perceptible. Pourtant, le bruit venait d’elle. Elle avait soufflé… soufflé… et comme je sifflais inconsciemment ce mot à travers mes lèvres serrées, soudain la poitrine de la momie s’est soulevée puis elle est retombée.
Une terreur affreuse m’a alors saisi. J’ai essayé d’appeler mes serviteurs, mais je ne pouvais pas prononcer une syllabe. J’ai tenté de fermer les paupières, mais elles étaient maintenues ouvertes comme dans un étau. Encore une fois il y a eu un sanglot, qui a immédiatement été remplacé par un soupir, et un tremblement a parcouru la silhouette de la tête aux pieds. L’une de ses mains a commencé à bouger, ses doigts ont serré convulsivement l’air puis ils se sont raidis avant de se recroqueviller lentement dans ses paumes et de se redresser. Les bandages qui les dissimulaient sont alors tombés et se sont alors dévoilés à mes yeux agonisants des formes qui m’ont semblé étrangement familières. Il y avait quelque chose à propos de ces doigts, une individualité marquée que je n’oublierai jamais. Les mains de deux personnes ne se ressemblent pas. Et dans ces doigts, leur blancheur excessive, leur rondeur, et leurs veines bleues, j’ai vu une ressemblance dont je n’ai pas su me souvenir. Peu à peu la main s’est déplacée vers le haut, pour atteindre la gorge, et les doigts se sont tous mis au travail pour enlever les bandelettes. Ma terreur était maintenant sublime. Jamais je n’aurais pu deviner ce que j’allais voir. J’aurais voulu m’enfuir mais je ne pouvais plus bouger d’un pouce et l’horrible révélation allait avoir lieu à moins d’un mètre de mon visage!
Un par un les bandages sont tombés. Une lueur de peau, pâle comme le marbre, le début d’un nez, puis l’ensemble du nez, la lèvre supérieure, exquise, délicatement dessinée, les dents blanches dans leur ensemble mais parsemées ici et là d’un remplissage en or brillant, la lèvre inférieure, douce et tendre… Une bouche que je connaissais déjà, mais Mon Dieu d’où? Dans mes rêves, dans les fantasmes sauvages qui visitaient souvent mon oreiller la nuit, dans mes délires, dans la réalité? D’où, Mon Dieu! D’OÙ?
Le déshabillage a continué. Le menton est venu ensuite, un menton qui était purement féminin, très classique, puis la partie supérieure de la tête, les longs cheveux noirs, luxuriants, le front bas et blanc, les sourcils dessinés au crayon et enfin les yeux! Et, comme ils rencontraient mon regard frénétique, ils m’ont souri, éclairant les profondeurs de mon âme mortelle. J’ai alors reconnu les yeux de ma mère, qui était morte dans mon enfance! Saisi d’une folie qui ne connaissait pas de limites, j’ai bondi sur mes pieds. La silhouette s’est approchée, elle s’est placée devant moi et j’ai alors ouvert mes bras pour l’embrasser, celle de toutes les femmes du monde que j’aimais le plus, la seule femme que je n’avais jamais aimée.
Évitant mon contact, elle s’est blottie de l’autre côté de la tente et je suis tombé à genoux devant elle pour lui baiser les pieds. Vous vous demandez ce que j’ai embrassé? Pas les pieds de ma mère mais ceux des morts enterrés depuis longtemps. Malade de répulsion et de peur, j’ai levé les yeux et j’ai vu le visage décharné, vermoulu du cadavre à peine méconnaissable qui me regardait. Poussant un cri d’horreur absolu j’ai roulé vers l’arrière, et j’ai sauté sur mes pieds, prêt à m’enfuir. Avant de sortir de la tente j’ai à nouveau regardé la momie. Elle était couchée sur le sol, raide, et tous ses bandages étaient à leur place mais au-dessus d’elle flottait le visage d’Anubis, sinistre et menaçant, et un éclat de joie diabolique éclairait ses yeux, qui étaient semblables à ceux d’un chien.
Les voix de mes serviteurs, m’assurant de leur venue, ont alors rompu le silence et l’apparition s’est instantanément volatilisée. J’en avais assez de la tente, du moins pour cette nuit, et cherchant refuge en ville j’ai veillé jusqu’au petit matin avec comme toute compagnie un cigare parfumé et un roman. J’ai ensuite déjeuné, j’ai ramené la momie à Thèbes et je l’ai laissée là. Alors vous comprenez maintenant M. O’Donnell, les momies, je ne veux plus en entendre parler! Je collectionne de nombreux types de curiosités, mais plus de momie!
Source: True Ghost Stories, d’Hereward Carrington.