La Dame en Noir de la Nouvelle-Orléans

Vêtues de longues robes noires, la tête recouverte d’un voile de crêpe, les Dames en Noir seraient des sortes de fantômes maléfiques dont les apparitions sont réputées pour annoncer des catastrophes.

Vers la fin de l’année 1877, à la Nouvelle-Orléans, des rumeurs commencèrent à courir qu’un fantôme se montrait parfois à l’intersection de la rue du Rampart et de la rue Calliope, qui terrifiait les habitants du quartier. Les infortunés passants qui se retrouvaient confrontés à lui sentaient leurs cheveux se dresser sur leurs têtes et ils connaissaient une peur si grande qu’elle les laissait stupéfaits et sans voix. Lorsque les enfants étaient interrogés, alors leurs visages pâlissaient et ils racontaient des histoires qui faisaient trembler leurs aînés. Les vieillards, qui savent d’expérience situer la frontière entre la simple superstition et le surnaturel, parlaient eux-aussi de choses étranges et merveilleuses. Ils disaient que depuis quelques temps, une femme mystérieuse, qu’ils appelaient la Dame en Noir, apparaissait parfois tard dans la nuit, le visage blanc, pincé et hagard, les yeux vides, comme morts, la tête nue de toute coiffe et entièrement drapée dans des vêtements noirs.

Un soir, après avoir croisé la Dame en Noir trois nuits d’affilé, un homme plus audacieux que les autres décida de lui parler. La femme était arrêtée quand il l’interpela mais dès qu’elle entendit sa voix elle se retourna lentement vers lui et le regarda fixement dans les yeux. Ce regard fut la seule réponse qu’elle consentit à lui donner, mais il suffit à calmer les ardeurs de l’homme, qui déclara par la suite:  » Il m’a semblé qu’une lumière aveuglante répondait à mes yeux. Mes cheveux se sont dressés sur ma tête et j’ai eu la chair de poule. Quand j’ai récupéré la vue, alors j’ai regardé dans toutes les directions, mais la femme avait disparu. « 

Quelques jours plus tard, à environ une heure du matin, deux jeunes hommes sortaient d’une taverne de la rue Rampart et ils regagnaient leurs foyers, marchant sur le bord de la route et discutant avec animation, quand soudain la Dame en Noir apparut, qui avançait directement vers eux. En la voyant s’approcher les deux hommes firent rapidement un pas sur le côté et la femme passa entre eux sans s’en montrer perturbée. Elle semblait se diriger vers l’établissement qu’ils venaient de quitter mais alors qu’ils la regardaient s’éloigner ils la virent s’arrêter devant l’entrée de l’écurie et brusquement elle pénétra à l’intérieur. Les deux hommes, qui étaient bien décidés à découvrir l’identité de la mystérieuse Dame en Noir, se mirent alors à courir derrière elle et s’engouffrant dans le bâtiment ils s’empressèrent d’en refermer les portes.

L’écurie ne présentait aucune autre issue aussi avaient-ils l’assurance que la femme, ou la créature, ne pourrait pas leur échapper. Ils ramassèrent une lanterne, l’allumèrent, puis ils se mirent à la recherche de celle qui causait tant d’émoi dans le quartier. Au bout de quelques minutes, comme ils ne parvenaient pas à la trouver, ils se dirent qu’elle s’était probablement cachée dans le foin et prenant chacun une fourche, ils commencèrent à le repousser. Malheureusement, malgré tous leurs efforts, elle demeura introuvable. D’une inexplicable manière la Dame en Noir avait disparu et pourtant il n’y avait aucun moyen possible qu’elle ait pu quitter l’écurie sous une forme humaine.

Peu de temps après au cours de la même nuit, un jeune homme tentait de rentrer chez lui quand soudain une femme entièrement vêtue de noir apparut, qui vint se placer devant sa porte, lui en bloquant l’accès. Le jeune homme, qui ignorait tout de la Dame en Noir, tenta de se faufiler, ce qui se révéla impossible, puis il lui demanda de se retirer mais la femme secoua négativement la tête sans bouger. Il s’avança alors de quelques pas, pensant la pousser délicatement de sa main, et il esquissait le geste quand soudain son bras retomba sur le côté, complétement inerte. L’impression qu’il ressentit alors, expliqua-t-il par la suite, ressemblait au choc donné par une batterie galvanique fortement et soudainement appliquée.

Terrifié, le jeune homme se précipita sur le trottoir et il se mit à courir aussi vite qu’il le pouvait. Sa panique était telle qu’il rentra en collision avec deux de ses amis, auxquels il raconta son histoire et qui proposèrent de le raccompagner chez lui, mais quand ils arrivèrent devant sa porte la terrible créature avait disparu.

Pour la All-Hallow Eve, qui était alors exclusivement consacrée aux sortilèges pour prédire l’avenir, la visiteuse fantomatique donna une représentation théâtrale aux résidents du quartier. Ce soir-là, trois messieurs rentraient chez eux quand arrivant au coin de la rue Melpomene et de la rue Rampart ils avisèrent la femme en noir. Les trois hommes revenaient de visiter des amis, ils étaient grandement émoustillés, ce qui eut comme conséquence de les rendre courageux. Ils connaissaient tous les trois le spectre, dont ils avaient entendu parler, ils s’étaient promis de l’étudier si jamais ils venaient à le rencontrer et ils espéraient bien parvenir à résoudre le mystère.

La Dame en noir se tenait debout sur le trottoir, à l’angle des deux rues, directement sous la lumière du réverbère à gaz et accessoirement sur leur chemin. Nullement intimidés, ces messieurs s’avancèrent vers elle en dépit de son apparence spectrale, laquelle se révéla plus abominable encore alors qu’ils se rapprochaient, et l’un d’eux lui demanda Qui êtes-vous? La femme se mit alors à agiter son bras de manière répulsive, comme si elle voulait les chasser, et elle commença à reculer lentement. Les fumées de leur soirée bachique s’étaient maintenant estompées de leurs esprits et les trois hommes voyaient clairement les contours redoutables et toutes les caractéristiques de la Dame en Noir, son long bras osseux qu’elle remuait frénétiquement et sur lequel pendait un manteau noir, ses cheveux emmêlés et ses yeux qui semblaient jeter du feu. Cette image allait rester à jamais gravée dans leurs esprits.

Ces messieurs, dont le courage s’était volatilisé avec les dernières vapeurs d’alcool, n’arrivaient plus à bouger mais la femme continuait à reculer, et chaque pas qu’elle faisait vers l’arrière l’amenait un peu plus près du caniveau. Puis brusquement, il y eut un grand splash et quatre profonds gémissements s’élevèrent du caniveau, qui était si déchirants que les trois gentlemen se précipitèrent pour porter secours à la pauvre créature. Ils s’approchèrent du caniveau, qui était éclairé par la lumière du réverbère à gaz, mais étrangement il n’y coulait que très peu d’eau et personne ne s’y trouvait. La mystérieuse Dame en Noir avait disparu et les trois enquêteurs du paranormal amateurs en furent si perturbés que cette nuit-là, ils décidèrent de partager la même chambre.

Au cours de la même nuit, un homme se retrouva réveillé par un énorme tintement de cloche à sa porte d’entrée. Il se leva rapidement, se précipita vers la porte, mais quand il l’ouvrit il ne put se retenir de rire. L’un de ses amis, qui vivait à trois maisons de là, se tenait devant lui, frissonnant et uniquement vêtu de ses habits de nuit.

 » Laisse-moi rentrer! Vite, pour l’amour du ciel!  » le supplia l’homme, visiblement terrifié. Une fois à l’intérieur, assis dans une pièce éclairée et devant un feu de charbons ardents, le malheureux commença à raconter son histoire.

 » Je dormais profondément, dit-il, quand soudain j’ai été réveillé par un contact froid sur mon visage. Je n’étais alors nullement effrayé, je pensais que cette impression n’était que le fruit de mon imagination. Je suis donc resté tranquille mais bientôt j’ai senti que quelqu’un était à côté de moi dans la chambre. Vous avez sans doute déjà connu ce même sentiment. Parfois, vous savez que quelqu’un est près de vous, et quand vous vous retournez, vous vous apercevez que vous ne vous êtes pas trompé. Ceci, vous l’admettrez, est un fait psychologique bien connu.

J’étais certain que quelqu’un se trouvait ma chambre. Je commençais à me sentir terrifié, un sentiment de crainte confuse me submergeait, et non sans raison car quelque chose a alors effleuré mon visage. Ça ressemblait à un tissu, comme un châle lourd. J’étais maintenant excité, mais j’avais terriblement peur. Ma peur a augmenté quand j’ai vu des boules de feu apparaitre dans un coin de la pièce. J’étais désespéré.

J’ai bondi pour attraper et les allumettes et j’en ai allumé une. Elle était l’une de ces soi-disant  » allumettes de société  » et s’est immédiatement enflammée. Alors j’ai vu dans un coin, et maintenant ce souvenir me fait trembler, la Dame en Noir accroupie, qui me regardait. Elle s’est levée et elle est venue vers moi. Je me sentais sombrer sous son influence. Je savais que si cela arrivait, alors il en serait fini de moi. J’ai fait un saut vers la porte, je l’ai ouverte, je me suis précipité dans les escaliers,puis  sur la porte d’entrée, et je suis là.

Je suis sûr que ça n’était pas un être humain. C’était un esprit, et un diabolique. Il n’y avait aucune possibilité qu’une personne de chair et de sang puisse rentrer dans ma chambre sans que je le sache. J’avais solidement fermé et verrouillé ma porte avant d’aller au lit. « 

Telle était sa version de l’incident. Il était un jeune homme très respectable, honnête, calme, et son ami le crût.

Peu de temps après, huit veilleurs de nuit refusèrent de continuer à patrouiller. Ils avaient rencontré le spectre à une ou deux reprises, ils en avaient eu des sueurs froides et ils ne voulaient plus que l’expérience se reproduise. Alors, comme leurs manteaux n’étaient pas assez épais pour les empêcher de trembler, ils annoncèrent à leurs supérieurs qu’ils ne pouvaient plus assurer leur service dans le quartier hanté car ils se trouvaient incapables de faire face aux Pouvoirs des Ténèbres. Les caporaux, qui se moquaient de savoir où patrouillaient leurs hommes, accédèrent à leur demande et si leurs pas continuèrent à se faire entendre dans les rues de la Nouvelle-Orléans, les veilleurs de nuit prirent grand soin de se tenir à distance des endroits où la Dame en Noir avait l’habitude de se montrer.

Tous ces témoignages, sauf ceux des trois messieurs émoustillés, furent rapportés par des hommes sobres qui avaient toutes leurs facultés. Peut-être n’était-ce qu’une coïncidence mais au printemps 1878, une épidémie de fièvre jaune ravagea la Nouvelle-Orléans, qui fit cinq milles victimes et fut la plus meurtrière de son histoire.

Source: Portsmouth Times 15 Décembre 1877.

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