Située dans le Piémont, en Italie, l’Abbaye de Lucedio a donné lieu à d’innombrables légendes. Elles parlent d’un sarcophage sous le clocher octogonal de l’abbaye, qui serait celui de la reine de Patmos, de passages secrets menant à différentes villes dans ses sous-sols, d’une jeune fille qui aurait créé une rivière infranchissable en s’aidant d’un bâton, mais elles racontent surtout l’histoire de moines possédés par le diable, qui se seraient livrés aux pires abominations.
La Légende de l’Abbaye de Lucedio
En 1123, des moines cisterciens fondèrent l’abbaye Santa Maria de Lucedio sur une grande propriété qui leur avait été gracieusement offerte par le marquis Rénier de Montferrat. Ces moines faisaient partie d’un ordre catholique strict qui prônait le travail manuel, l’isolement et l’indépendance économique alors, mettant aussitôt leurs principes en pratique, ils commencèrent à assainir les terres marécageuses qui entouraient l’abbaye afin d’y faire pousser du riz.
Grâce la dévotion et à la ferveur dont ils faisaient preuve, au cours des trois siècles suivant, l’influence de l’abbaye ne cessa de croitre et protégée par les Montferrat, elle devint un élément incontournable de la communauté. Au début du XVe siècle, les moines décidèrent de diviser leur terre en parcelles, chacune étant surveillée par un frère laïc, et ils embauchèrent des paysans libres pour travailler aux cultures, permettant ainsi à l’abbaye de gagner son indépendance financière. En 1457, l’abbaye devint une Commanderie qui fut placée sous les ordres du marquis de Montferrat. Au cours des années qui suivirent, les moines participèrent aux croisades, où ils se comportèrent d’une façon exemplaire, ce qui leur valut les faveurs des plus grands et contribua à accroitre la notoriété de l’abbaye de Lucedio.
Puis brusquement, en 1684, sans qu’aucune explication ne soit donnée aux fidèles, les moines fermèrent les portes de l’abbaye et arrêtèrent de pratiquer leurs bonnes œuvres. Certains rapportèrent alors que le diable était apparu en rêve à des jeunes filles de la région et qu’il les avait envoyées à Lucedio afin d’inciter les moines à la débauche mais d’autres prétendirent qu’un ancien démon avait été invoqué par des sorcières, qui s’étaient livrées à quelque rituel de magie noire dans le cimetière de Darola. Malheureusement, les femmes n’étaient pas parvenues à asservir la créature démoniaque qui leur avait échappé et s’était réfugiée dans l’abbaye toute proche, s’emparant du corps des moines.
Peu de temps après, des rumeurs commencèrent que les jeunes hommes qui rejoignaient le monastère n’étaient jamais revus. Parfois, des cris de douleur s’élevaient des vieilles pierres et les nuits de pleine lune des chants sinistres, qui n’avaient rien de religieux, faisaient frémir les ténèbres. Une évidence se fit alors, que les moines avaient abandonné leurs vœux pour adorer un autre maitre, bien plus sombre, le prince des Ténèbres lui-même. Un soir, deux jeunes novices furent découverts, qui déambulaient, complétement dévêtus et recouverts de sang, dans les rues de la ville. Amenés devant le conseil du village, les deux garçons expliquèrent qu’ils s’étaient échappés du monastère, où des actes innommables et blasphématoires étaient commis. Les moines se livraient à la magie noire, pratiquant certains rituels qui visaient à faire sortir un démon des Enfers et bien pire encore. Dans une pièce, qu’ils appelaient la Salle du Jugement et qui leur servait de tribunal, se trouvait une colonne à laquelle les nouvelles recrues étaient parfois attachées. Là, prétendant obéir aux ordres de leur maitre, les moines les violaient et les battaient, prononçant les pires paroles à l’encontre de Dieu.
Horrifiés, les responsables de la petite communauté décidèrent de prévenir les autorités religieuses, leur faisant parvenir un rapport des événements, ce qui n’eut apparemment aucune incidence car l’impensable continua à se produire pendant près de 100 ans. En 1784, alarmé par les témoignages qui arrivaient jusqu’à lui, le pape Pie VI décida d’envoyer un exorciste à l’abbaye de Lucedio, lui demandant de vérifier les accusations portées contre les moines. L’arrivée du représentant du Vatican ne sembla guère réjouir les hommes de Dieu, qui négocièrent pendant trois jours avant d’accepter de le laisser rentrer. Lorsqu’il put enfin visiter le grand édifice, le prêtre comprit rapidement qu’un puissant démon avait pris le contrôle de l’abbaye et de ses occupants, les poussant à commettre les pires abominations. Un effroyable combat s’en suivit, qui dura sept jours, au terme duquel l’exorciste parvint à enfermer l’esprit maléfique dans la crypte de l’église de Santa Maria, où étaient enterrés les abbés. Pensant que seuls des hommes d’une grande pitié pouvaient parvenir à contenir son incroyable puissance, les corps momifiés des anciens abbés furent alors disposés en cercle autour de l’entrée et une musique aux prodigieux pouvoirs, La Partition du Diable, fut composée par un prêtre exorciste, qui vint en sceller la porte.
Suite à cette effroyable histoire, le 10 Septembre 1784, le Vatican décida de séculariser l’abbaye, qui passa de mains en mains jusqu’en 1937, où elle fut finalement achetée par le marquis Giovanni Gozani di San Giorgio, ancêtre de l’actuelle propriétaire, la comtesse Rosetta Clara Cavalli d’Olivola Salvadori di Wiesenhoff, qui continue à y produire des céréales, surtout du riz, et la fait visiter.
Les Démons de l’Abbaye de Lucedio
L’Abbaye de Lucedio serait le théâtre de manifestations paranormales effrayantes que ses propriétaires actuels tenteraient de minimiser, préférant mettre l’accent sur l’architecture médiévale des bâtiments ou sur les cultures qu’ils font toujours pousser sur leurs terres. S’élevant contre la rumeur populaire, qui soutient qu’un démon se manifeste parfois dans l’abbaye, ils reconnaissent qu’un bon nombre de fantômes hantent les lieux, mais qu’ils sont des plus inoffensifs.
De nombreux phénomènes étranges, parmi lesquels des hurlements, des appels à l’aide, des orbes lumineuses, des ombres furtives et des apparitions fantomatiques auraient été rapportés par les visiteurs et les habitants de la région, qui pensent que l’endroit est maudit. De part leur humidité, les marais sont propices au brouillard mais parfois, se lèverait une brume épaisse qui viendrait entourer l’abbaye et elle seule. Certains y verraient des silhouettes encapuchonnées vociférantes qui disparaitraient rapidement dès qu’un regard humain se poserait sur elles. Ces apparitions seraient les âmes tourmentées des anciens moines qui ne parviendraient pas à trouver la paix.
La Salle du Jugement, où les moines statuaient autrefois, semble être la pièce la plus affectée par les manifestations paranormales. Outre les phénomènes habituels, des gémissements s’élèveraient de la base de la colonne et parfois un liquide semblable à des larmes s’écoulerait le long de la pierre, faisant dire à certains qu’elle pleure pour toutes les horreurs dont elle a été témoin. De nombreux enquêteurs ont tenté de démystifier le phénomène, suggérant que des fuites pouvaient être à l’origine de ces prétendues larmes, mais lorsqu’ils ont essayé de verser un sceau d’eau sur le toit, aucune goute n’a dégouliné le long du pilier.
Le cimetière de Darola, où des sorcières auraient invoqué un démon, serait infesté d’esprits maléfiques et des formes étranges se laisseraient parfois apercevoir, dansant autour des pierres tombales.
Malgré les années écoulées, la grande dalle de pierre qui ferme la crypte de l’église Santa Maria n’a jamais été soulevée et son secret est toujours gardé par les corps des abbés assis sur leurs trônes et disposés en cercle autour d’elle. En 1999, un homme fit une formidable découverte, reconnaissant sur le mur d’une chapelle voisine, l’église de la Madonna delle Vigne, la Partition du Diable dont parlait la légende. Intrigué, il envoya quelques photos au Dr Dr Paola Briccarello, spécialiste en musique ancienne et en liturgie, qui lui expliqua que d’une étrange manière, les premiers accords de la mélodie correspondaient à ceux habituellement utilisés pour un final et que la partition semblait avoir été peinte à l’envers. Elle avait également une autre particularité, et pouvait être jouée indifféremment de gauche à droite ou inversement, ce qui semblait confirmer la légende, qui disait que jouée dans un sens, la musique renforçait le sceau de protection, mais que jouée à l’envers, elle libérait le démon. Remplaçant les notes par des numéros, puis les numéros par des lettres le Dr Briccarello découvrit que les notes de la Partition du Diable avaient un sens caché et qu’elles formaient des mots: Dio, Fede, Abbazzia (Dieu, La Foi et L’Abbaye).
Des témoins auraient vu une créature maléfique, qu’ils ont qualifiée de démoniaque et dont ils ont fait une description identique, dans l’enceinte de l’abbaye. Juste avant qu’elle ne se manifeste, l’endroit se remplirait d’une odeur de chair en décomposition, puis l’air frissonnerait et elle apparaitrait sous la forme d’une masse noire tourbillonnante. La créature serait tellement puissante que ceux qui la verraient pourraient perdre l’esprit ou en devenir aveugle.
Une rumeur populaire, qui court depuis un certain nombres d’années, prévient les téméraires que l’abbaye tient à sa tranquillité et que la visiter n’est pas sans risque. Un tragique accident est venu soutenir cette croyance dans les années 1960, alors que des ouvriers restauraient certaines parties de la structure. Les habitants de la région leur avaient déconseillé de travailler sur la propriété, leur expliquant que s’ils y restaient là-bas durant de longues heures alors l’abbaye prendrait une vie, mais ils n’avaient rien voulu entendre. Peu de temps après, l’un des hommes était mort sur le site, venant confirmer les craintes des villageois. Au cours des années suivantes, un enfant qui marchait avec son grand-père avait accidentellement glissé dans un fossé où il s’était noyé, puis une fille avait été mortellement brûlée et un homme avait été victime d’une crise cardiaque alors qu’il promenait son chien. Peut-être ces accidents n’étaient-ils que des coïncidences, tout comme le taux particulièrement élevé de suicide parmi les visiteurs de l’Abbeye de Lucedio, mais qui pourrait l’affirmer…